Un retour au pays natal

Alain Mabanckou, romancier congolais.

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  • Alain Mabanckou

    Alain Mabanckou est écrivain et professeur de littérature francophone à UCLA (États-Unis). Depuis 2016, il occupe la chaire de création artistique au Collège de France.

Publié le 9 septembre 2013 Lecture : 2 minutes.

Marie Darrieussecq est arrivée dans le paysage littéraire français en 1996 avec Truismes, un roman qui reçut un accueil critique unanime et un succès populaire qui la placèrent d’emblée parmi les écrivains de premier plan. Par la suite, l’auteur confirma son talent avec des livres naviguant entre autofiction, réflexion sur la mort, sur la perte d’un être cher ou encore sur le sexe et le corps féminin – notamment dans Clèves (POL, 2011) avec un regard éloigné des tabous sur l’adolescence et la transformation du corps.

Son nouveau roman, Il faut beaucoup aimer les hommes, montre un écrivain qui bouscule l’imaginaire dans une confrontation de « races » et de classes sociales. L’Afrique est présente – et c’est une réjouissance de voir enfin la littérature « franco-française » porter un autre regard sur le continent noir, hors des lisières du « sanglot de l’homme blanc » décrié par Pascal Bruckner. Darrieussecq n’est-elle pas, au fond, « une écrivaine africaine » par ricochet, elle qui a vécu au Cameroun ? Solange – personnage déjà présent dans Clèves – est devenue une comédienne française, sinon la Française de service, dans le monde très fermé de Hollywood où elle côtoie des célébrités comme George Clooney et tourne avec de grosses pointures (notamment Matt Damon). C’est au cours d’une soirée chez Clooney que Solange rencontre Kouhouesso, un acteur noir qui joue les seconds rôles et qui rêve d’adapter Au coeur des ténèbres, de Conrad, dans son pays d’origine, le Cameroun.

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Darrieussecq revisite la confrontation des civilisations, de deux mondes, l’un prétendument civilisé, l’autre plongé au coeur des ténèbres, avec en arrière plan les moeurs hollywoodiennes. Et ce tournage qui se déroule enfin au Cameroun nous offre sans doute les plus belles pages écrites sur notre continent par un auteur français de la nouvelle génération. Loin des clichés, des lieux communs, la romancière prend le parti d’opposer l’Afrique mythique à celle de la dure réalité, l’Afrique du dedans face à celle qu’on nous vend avec un élan d’exotisme désobligeant. Darrieussecq défend vigoureusement le peuple africain en s’attaquant au discours de Nicolas Sarkozy qui affirmait à Dakar que l’homme africain n’était pas « assez entré dans l’Histoire » ! Mais quelle « Histoire » ?

Il faut beaucoup aimer les hommes se lit comme une bifurcation au coeur des ténèbres pour entreprendre un véritable « retour au pays natal ». Kouhouesso n’est-il d’ailleurs pas un grand lecteur d’Aimé Césaire, l’un des chantres de la négritude ?

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