Algérie : Mouloud Feraoun, combattant pacifiste

L’écrivain José Lenzini revient sur l’existence et la forte personnalité de Mouloud Feraoun, fils de pauvre, auteur engagé qui paya de sa vie son humanisme forcené.

Mouloud Feraoun, en 1957. © AFP

Mouloud Feraoun, en 1957. © AFP

Renaud de Rochebrune

Publié le 6 septembre 2013 Lecture : 3 minutes.

Il aurait eu 100 ans en 2013. Tout comme celui qui fut son ami malgré leurs divergences, Albert Camus. Mais Mouloud Feraoun est mort, lui aussi, il y a bien longtemps, très exactement le 15 mars 1962.

Ce jour-là, à Alger, alors que de l’autre côté de la Méditerranée les négociateurs du Front de libération nationale (FLN) et des autorités françaises planchaient sur les tout derniers détails des accords d’Évian, qui mettraient fin à sept ans et demi de guerre, un commando de l’Organisation armée secrète (OAS) faisait irruption dans un local au lieu-dit Le Château-Royal. Étaient réunis là la plupart des responsables des Centres sociaux éducatifs créés en 1955 par l’ethnologue progressiste Germaine Tillion pour mener enfin, après cent vingt-cinq ans de colonisation, l’immense tâche de scolariser autant que possible les enfants algériens et d’apporter une aide médico-sociale auprès des plus démunis. Des projets considérés par les ultras de l’Algérie française comme éminemment suspects. Les six hommes présents, parmi lesquels Feraoun, furent donc exécutés "pour l’exemple" à coups de rafales de mitraillette, sur ordre de l’ex-lieutenant Degueldre, qui dirigeait les équipes de tueurs les plus déterminés de l’organisation terroriste.

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Le fils de pauvres à l’école normale d’instituteurs

Feraoun était le seul des six martyrs qui avait déjà acquis une certaine notoriété grâce à ses publications chez de grands éditeurs parisiens, même s’il n’est pas prouvé qu’il fut alors une cible plus particulièrement visée. Comme le montre l’excellente biographie que vient de lui consacrer José Lenzini, si c’est la mort de l’écrivain kabyle qui fit événement, il méritait surtout d’être connu pour son existence et sa forte personnalité. Celles d’un humaniste, témoin privilégié du vécu de la population sous la colonisation, et plus particulièrement durant la guerre.

Originaire d’une famille paysanne de Tizi-Hibel, l’un de ces villages déshérités voisins du massif du Djurdjura, le jeune Mouloud aurait dû s’appeler Aït-Chaabane, mais les officiers français des "bureaux arabes", chargés d’établir des listes d’état civil après la grande insurrection kabyle de 1870 dirigée par le Cheikh el-Mokrani, baptisèrent autoritairement les siens du nom Feraoun. Son père, quoique "véritablement un gueux", comme il l’écrira plus tard, décida pourtant un jour que son fils âgé de 7 ans, jusque-là destiné à travailler aux champs, irait à l’"école indigène". Où, après un début très laborieux pour apprendre à lire et à écrire dans cette langue des roumis dont il connaissait surtout les gros mots, il devint bon, et même très bon. "Un rôle qui me convenait", avouera le futur lettré. Qui lui convenait d’ailleurs tellement que, non sans péripéties, il finit par gravir tous les échelons jusqu’à l’école normale d’instituteurs. Ce qui le conduisit, avant de rejoindre les Centres sociaux, à devenir enseignant et à diriger des écoles primaires dans diverses communes kabyles, puis à Alger, tout en menant un prolifique travail d’écrivain.

Un humaniste pacifique pendant la guerre

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Son premier roman, très autobiographique et édité non sans mal en 1934, s’intitule tout naturellement Le Fils du pauvre. Suivront La Terre et le Sang et Les chemins qui montent, où il conte sa terre natale, ses traditions et la fierté de ceux qui l’habitent. Auteur également de recueils de textes pour les écoliers, d’essais et de chroniques, il aurait voulu – mais il n’a pas réussi à convaincre à temps ses éditeurs – voir paraître pendant la guerre son journal commencé en 1955. Une initiative qui lui aurait permis de faire taire les critiques de certains de ses compatriotes qui lui reprochèrent, hâtivement et injustement, de pactiser avec le colonisateur qui l’employait. Mais il est vrai qu’être à la fois humaniste, indépendantiste et pacifiste n’était pas facile à faire admettre entre 1954 et 1962.

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