« Le Majordome » : Forest Whitaker dans les cuisines de la Maison Blanche

La vie d’Eugene Allen, au service de la présidence pendant trente-quatre ans, a inspiré le film « Le Majordome », qui sort sur les écrans le 11 septembre. Une histoire (presque) vraie, un casting exceptionnel et une grande fresque pédagogique sur la lutte pour les droits civiques aux États-Unis.

(De g. à dr.) Lee Daniels, Oprah Winfrey et Forest Whitaker à la première du Majordome. © Charley Gallay / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

(De g. à dr.) Lee Daniels, Oprah Winfrey et Forest Whitaker à la première du Majordome. © Charley Gallay / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

NICOLAS-MICHEL_2024

Publié le 10 septembre 2013 Lecture : 5 minutes.

«Pour faire un bon film, il faut premièrement une bonne histoire, deuxièmement une bonne histoire, troisièmement une bonne histoire. » Attribuée au réalisateur français Henri-Georges Clouzot, cette citation est certainement familière au cinéaste africain-américain Lee Daniels, oscarisé pour Precious en 2010. Comme elle l’était sans doute à la productrice Laura Ziskin, aujourd’hui décédée, qui avait vu en la vie d’Eugene Allen le sujet tout trouvé d’un scénario de film.

Souvenez-vous, c’était en 2008 et le monde, à l’époque, s’émouvait à l’idée qu’un Noir puisse enfin entrer à la Maison Blanche. Un journaliste du Washington Post, Wil Haygood, avait alors raconté l’édifiante histoire de ce majordome africain­-américain ayant, pendant plus de trente ans, servi les diverses administrations présidentielles se succédant dans la capitale fédérale, de Harry Truman à Ronald Reagan.

la suite après cette publicité

Cinq ans plus tard, Obama est toujours président, Eugene Allen est mort (le 31 mars 2010) et The Butler (« Le Majordome ») sort sur les écrans à l’heure où l’on fête les 50 ans de la marche sur Washington. Outre-Atlantique, le succès est au rendez-vous, puisque deux semaines après sa sortie le film pointe premier au box-office et a réalisé plus de 52 millions de dollars (39 millions d’euros) de recettes. Il faut dire que Lee Daniels et ses producteurs ont réussi à réunir un casting exceptionnel avec, au générique, Forest Whitaker, Oprah Winfrey, Mariah Carey, Jane Fonda, John Cusack, Cuba Gooding jr., Robin Williams, Lenny Kravitz et quelques autres. Certains auraient même, au dire du réalisateur, accepté des cachets bien inférieurs à ceux auxquels ils sont habitués… Sans nul doute parce que l’histoire est de celles qui font rêver les Américains.

>> Lire aussi : Cinéma : Eugene, star de la Maison Blanche

Les anecdotes des présidents

Un homme né pauvre, un 14 juillet de l’année 1919 à Scottsville, dans l’État de Virginie, commence sa carrière comme serveur au Homestead Resort de Hot Springs, la poursuit dans un Country Club de Washington avant d’entendre parler, en 1952, d’un poste à la Maison Blanche. Où il rencontre le maître d’hôtel, Alonzo Fields, avec qui le courant passe bien. Pour 2 400 dollars par an, Eugene Allen va, trente-quatre années durant, laver les assiettes, briquer l’argenterie, nettoyer les toilettes et côtoyer de près les hommes les plus puissants de la planète.

la suite après cette publicité

Devenu lui-même maître d’hôtel en 1980, « Gene » Allen avait en réserve une large palanquée d’anecdotes. Gerald Ford (président de 1974 à 1977), avec qui il discutait golf, était aussi né un 14 juillet, si bien que chaque fois que le chef de l’État fêtait son anniversaire, sa femme ne manquait jamais de souligner auprès de ses invités : « C’est aussi l’anniversaire de Gene aujourd’hui ! » Sous Kennedy, il rencontra Martin Luther King Jr., qui avait insisté pour saluer les employés – souvent noirs – de la Maison Blanche et le complimenta sur la coupe de son smoking. De LBJ (Lyndon Johnson, 1963-1969), il détesta le vocabulaire vulgaire et souvent raciste, mais loua l’implication en faveur des droits civiques qui aboutit à la signature du Civil Rights Act de 1964. Sous Ronald Reagan (1981-1989), il fut invité par Nancy, la première dame, à partager un repas avec le chancelier allemand Helmut Kohl. Ce soir-là, en compagnie de son épouse Helene, le majordome n’était pas du côté de ceux qui servent le champagne, mais auprès de ceux qui le boivent… Heureux souvenir qui ne pouvait effacer celui, beaucoup plus sombre, du 22 novembre 1963. Ce jour-là, John Fitzgerald Kennedy était abattu à Dallas. Malgré une invitation personnelle, Allen ne se rendrait pas aux funérailles : « Il fallait bien que quelqu’un soit à la Maison Blanche pour servir tout le monde au retour de l’enterrement. » En revanche, il mettrait plus tard sous cadre la cravate de JFK offerte peu après par Jackie Kennedy.


 "J’ai pleuré non seulement parce que je pensais aux majordomes qui ont travaillé ici à la Maison Blanche, mais aussi à
une génération entière de gens qui étaient capables et talentueux, mais qui ont été bridés à cause des lois raciales,
à cause des discriminations", a déclaré Barack Obama après la projection du film.

la suite après cette publicité

 

Une leçon d’histoire passionnante

Le réalisateur Lee Daniels s’est emparé de ce matériau humain exceptionnel pour bâtir une vaste fresque hollywoodienne qui couvre le XXe siècle et le début du XXIe, du règne de l’arbitraire dans les champs de coton à l’élection d’Obama. Comme il fallait rendre l’histoire plus romanesque, Daniels a ajouté quelques éléments de son cru à la biographie d’Eugene Allen, pour créer le personnage de Cecil Gaines. Celui-ci, magistralement interprété par un Forest Whitaker tout en retenue soumise, a vécu le viol de sa mère et le meurtre de son père par le même propriétaire blanc. Père de deux garçons, Louis et Charlie (Allen n’en avait qu’un, Charles, enquêteur pour le département d’État), le majordome se retrouve confronté à l’engagement du premier dans la lutte pour les droits civiques, d’abord auprès de Martin Luther King Jr. puis auprès des Black Panthers, alors que lui-même continue de servir avec la même rigueur professionnelle les présidents démocrates comme républicains, fussent-ils profondément rétrogrades… Ces choix font du Majordome un film pédagogique et scolaire, qui devrait être projeté dans les collèges afin que chacun se fasse une idée de toute l’âpreté de cette lutte qui permit aux Noirs américains d’acquérir – enfin, presque… – les mêmes droits que les Blancs. Pour ceux qui savent déjà, la leçon d’histoire à la sauce Wikipédia est assez soporifique, et les présidents réduits à leur caricature, Lee Daniels étant bien plus à l’aise dès lors qu’il s’agit de raconter une saga familiale. L’on se prend donc à regretter que les scènes réunissant Oprah Winfrey et Forest Whitaker ne soient pas plus nombreuses. Car malgré une couche de fard un peu trop visible à l’écran, la présentatrice vedette (et milliardaire) qui avait fait une incursion remarquée au cinéma dans La Couleur pourpre en 1985 est touchante dans le rôle de Gloria, la femme du majordome, délaissée, aimante, jouisseuse et alcoolique, morte quelques heures avant l’élection tant espérée de 2008. Il y avait là une vraie histoire à raconter, à défaut d’une histoire tout à fait vraie.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires