Procès Bo Xilai : réseaux et corruption en Chine
Retransmis sur internet, le procès de Bo Xilai a levé le voile sur les réseaux d’influence et le train de vie fastueux de l’ancienne figure de proue du courant néomaoïste. Un exercice de transparence inédit, mais à double tranchant.
Un mélange entre le procès d’O.J. Simpson et la vie de Paris Hilton : c’est à cela que ressemble l’événement politico-judiciaire qui a passionné la Chine ces derniers jours. Au fil des audiences dans l’affaire Bo Xilai, le monde entier a pu se délecter des croustillantes révélations sur le train de vie fastueux de la femme et du fils de l’ancien membre du Politburo, grâce aux transcriptions mises en ligne par le tribunal.
Par ce grand déballage, le Parti communiste chinois (PCC) au pouvoir et les ennemis du politicien déchu espéraient manifestement démolir sa crédibilité et prouver la bonne foi des autorités dans leurs efforts pour mettre fin aux malversations politiques. Mais cette litanie d’excès et de privilèges pourrait, au contraire, alerter les masses sur l’aisance avec laquelle les élites politiques chinoises transforment leur pouvoir en richesse ostentatoire. "D’après la loi, un acte de corruption impliquant plus de 100 000 yuans [plus de 16 000 dollars] peut conduire à une peine minimale de dix ans de prison. Mais si celle-ci était réellement appliquée, beaucoup de cadres devraient aller en prison", s’exclame Han Deqiang, un ex-fervent supporteur de Bo Xilai et cofondateur du site d’activistes Utopia.
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Des "sommes insignifiantes" pour Bo Xilai
Au tribunal, l’ancien secrétaire du PCC pour la municipalité autonome de Chongqing (une métropole de 32 millions d’habitants dans le sud-ouest de la Chine) s’est défendu avec véhémence. Mais il semblait ne pas prendre très au sérieux certaines des charges retenues contre lui et a laissé entendre que les sommes évoquées – plusieurs millions de dollars – étaient insignifiantes pour un homme de son importance. Accusé d’avoir détourné 5 millions de yuans destinés à un "projet de construction gouvernemental secret" il y a dix ans, il a ainsi répondu qu’il ne se souvenait pas des détails et que de telles sommes n’avaient pour lui aucun intérêt.
En effet, d’après les témoignages écrits de bon nombre de cadres, Bo Xilai brassait plutôt des milliards. Il était notamment impliqué dans un projet de coentreprise entre une société saoudienne et le groupe Dalian Shide. Mobilisant un investissement de 43 milliards de yuans, le joint-venture aurait généré des revenus annuels de 30 milliards de yuans. D’après des témoins, l’accusé était le principal promoteur de ce projet pétrochimique. Or le propriétaire de Dalian Shide, Xu Ming, est un proche de la famille Bo. Son témoignage est crucial pour prouver que le "prince rouge" et ses proches ont touché des pots-de-vin en échange d’un patronage politique.
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Des voyages financés par Xu Ming pour Bo Guagua et ses amis
Bo Xilai avait déclaré l’année dernière aux enquêteurs – des dépositions sur lesquelles il est revenu pendant le procès – qu’il avait fourni une aide "exceptionnelle" et "immense" à Xu Ming, en échange de quoi celui-ci "avait pris soin" de son fils et de sa femme.
Cette dernière, Gu Kailai, dont le témoignage écrit et audio joue aussi un rôle primordial dans les accusations contre son mari, a été condamnée l’an dernier à la peine de mort avec sursis (c’est-à-dire une peine de prison à vie) pour le meurtre de l’homme d’affaires britannique Neil Heywood. Le fils du couple, Bo Guagua, qui vit aux États-Unis, a récemment intégré l’université de droit de Columbia après être passé par la Kennedy School of Government de Harvard. Il avait auparavant étudié en Grande-Bretagne, à Harrow et Oxford.
Lors des audiences, des témoins ont affirmé à la cour qu’en août 2011 Bo Guagua et cinq de ses amis avaient dépensé plus de 130 000 dollars pour un voyage en Afrique à bord d’un jet privé, le tout payé par l’entrepreneur Xu Ming sur ordre de Gu Kailai. D’après le témoignage de cette dernière, son mari savait qui finançait le voyage. Il aurait même déclaré que le fait de savoir que tout avait été arrangé par Xu Ming le rassurait.
En fait, à partir de 2003, l’homme d’affaires a payé tous les vols internationaux de Gu Kailai, son fils et leurs amis, pour une facture totale de 4 millions de yuans entre 2004 et 2012. Il a notamment pris en charge les billets d’avion et les coûts d’hébergement lorsque Guagua a invité quarante camarades de classe de Harvard à visiter Pékin, Chongqing et Shanghai. Et payé de coûteux voyages dans la capitale chinoise au vice-directeur de Harrow et à un professeur de Bo Guagua.
Selon les procureurs, financer le train de vie fastueux de la famille Bo a permis à Xu Ming de tisser des liens étroits avec elle, ce qui l’a aidé à prospérer dans le monde opaque des affaires. Qui s’intéresse au business en Chine sait que ce genre d’échanges est la voie la plus sûre vers la réussite, mais il est rare d’avoir accès à autant de détails sur les compensations.
Des preuves liées à l’achat par Gu Kailai d’une villa de 350 m2 à Nice, payée par Xu Ming, ont également été présentées. En tout, l’entrepreneur y a consacré plus de 3 millions de dollars, rénovations comprises. Cette transaction a été réalisée avec l’aide d’agents étrangers, dont Neil Heywood. Dans un témoignage écrit présenté le 23 août, l’épouse de Bo Xilai a déclaré qu’elle voulait acquérir cette villa pour assurer des rentes à Guagua ou lui permettre d’y résider s’il le souhaitait. Elle a ajouté que son mari était au courant et avait approuvé le cadeau fait à sa famille par Xu Ming.
Assassinat de Neil Heywood
En 2007, Gu Kailai a demandé à Heywood de s’occuper de la propriété. Mais en 2011, le Britannique a commencé à menacer la famille de rendre publics ses actifs à l’étranger s’il n’était pas grassement rémunéré pour ses services. Gu a donc convié Heywood à Chongqing, le 14 novembre 2011, officiellement pour discuter d’un arrangement. Après l’avoir invité à dîner et l’avoir fait boire, elle l’a assassiné dans sa chambre d’hôtel en lui versant du cyanure dans la gorge. Grâce à ses liens étroits avec Wang Lijun, le chef de la police locale – au dernier jour de son procès, Bo Xilai a affirmé qu’ils avaient une liaison -, les forces de l’ordre l’ont couverte, prétendant que la mort de Neil Heywood avait été causée par une consommation d’alcool excessive. Et le corps a rapidement été incinéré.
Le crime n’aurait sans doute jamais été puni et Bo Xilai serait encore au pouvoir si Wang Lijun n’avait pas rompu avec le couple et trouvé asile au consulat américain en février 2012, au terme d’une fuite rocambolesque qui avait mis le web chinois en ébullition et attiré l’attention du monde entier. Le début de la fin pour le "prince rouge" de Chongqing.
© Financial Times et Jeune Afrique 2013. Tous droits réservés.
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