Al-Qaïda résiste encore

Après l’élimination de Ben Laden en mai 2011, le président Obama disait Al-Qaïda sur le point d’être « vaincue ». Douze ans après l’attentat du World Trade Center, la nébuleuse terroriste continue de frapper.

Un salafiste d’Al-Qaïda en Somalie, en 2011. © ABDURASHID ABDULLE / AFP

Un salafiste d’Al-Qaïda en Somalie, en 2011. © ABDURASHID ABDULLE / AFP

ProfilAuteur_LaurentDeSaintPerier

Publié le 9 septembre 2013 Lecture : 7 minutes.

Combien de vies connaîtra encore Al-Qaïda ? L’organisation terroriste "est décapitée et sera vaincue", paradait le président américain Barack Obama en mai 2011, après avoir rencontré le commando qui venait d’abattre, dans son repaire pakistanais, l’ennemi numéro un, Oussama Ben Laden. La mission semblait bientôt accomplie : aucune action d’envergure n’avait touché l’Europe depuis les attentats de Londres en 2005, l’armée furtive des drones avait transformé ses meilleurs chefs et nombre de ses combattants en "chaleur et lumière", et l’élan démocratique du Printemps arabe avait sanctionné sa défaite politique. Début 2013, la déroute sous les bombes françaises d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), qui s’était emparée avec ses alliés jihadistes du Nord-Mali, illustrait l’échec de sa stratégie de territorialisation.

Mais la mouvance radicale est comme l’hydre dont les têtes repoussent aussitôt coupées ; protéiforme et clandestine, elle a appris à s’adapter à tous les terrains et à toutes les circonstances. Le 22 août, le chef dissident d’Aqmi, Mokhtar Belmokhtar, donné pour mort il y a quelques mois, unissait sa katiba au Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) et constituait le groupe des Mourabitoune avec, semble-t-il, la bénédiction de l’organisation centrale d’Al-Qaïda. "Nous disons à la France et à ses alliés dans la région [que] les ­moudjahidine se sont réunis et ont décidé de vaincre vos armées et de détruire vos plans et vos projets", déclarait à cette occasion le cerveau de la sanglante prise d’otages de janvier 2013 sur le site pétrolier d’In Amenas, en Algérie. Réfugiés en nombre dans le Sud libyen, les jihadistes continuent d’opérer dans toute la région. En mai, deux attaques sont menées au Niger, et des vétérans du Mali prennent part aux violents combats qui opposent, depuis début août, l’armée tunisienne à des éléments radicaux dans le mont Chaambi. "L’icône Ben Laden est morte, vive le jihad : l’idéologie est là, bien vivante encore et même stimulée par les nombreux espaces de crises apparus dans la région", constate le chercheur Abdelasiem El Difraoui, auteur d’Al-Qaïda par l’image (Presses universitaires de France, 2013).

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Une nidification dans tous les États affaiblis

Depuis sa création il y a exactement vingt-cinq ans dans un Afghanistan en guerre, la "base" a nidifié dans tous les États affaiblis, faillis ou voyous de la région, des zones tribales du Pakistan et du Yémen au Soudan de l’extrémiste Hassan el-Tourabi, de la Somalie ruinée à l’Irak en guerre. Elle prospère dans le chaos et la violence, et les difficiles transitions révolutionnaires dans le monde arabe ont mis à sa disposition un terrain inespéré. En Syrie, l’État islamique d’Irak et du Levant (EIIL) et la Jabhat al-Nosra, ses filiales locales, combattent en première ligne de l’insurrection et se distinguent des autres groupes anti-Assad par leurs capacités d’organisation et leur expérience du combat. Dans les régions qu’ils contrôlent, leurs katibas jettent les fondements d’un État islamique, préparant l’avènement ultime du califat. La charia y est appliquée avec une rigidité absolue et les jihadistes, en position de force, n’hésitent plus à s’attaquer aux Kurdes et aux éléments de l’Armée syrienne libre (ASL) qui entravent leurs conquêtes. Au Yémen, l’armée échoue à reprendre aux trois ou quatre milles combattants d’Al-Qaïda dans la péninsule arabique (Aqpa) les territoires reculés qu’ils occupent. Dans la région Afghanistan-Pakistan, où les attaques de drones ont fait des ravages parmi les qaïdistes, le retrait américain de Kaboul et le retour en force des talibans auxquels ils restent liés pourraient leur apporter un second souffle. Enfin, pour nombre d’experts, la prochaine terre de leur jihad pourrait vite devenir l’Égypte – patrie du numéro un de la nébuleuse, Ayman al-Zawahiri -, où les violences se multiplient entre l’armée et les partisans islamistes du président Morsi, déchu le 3 juillet. Trois mille jihadistes seraient réfugiés dans le désert rocheux du Sinaï, y opérant des attaques meurtrières contre l’armée depuis l’éviction des Frères musulmans.

Dans les autres pays de la région, Al-Qaïda poursuit son oeuvre de séduction, constate le spécialiste des mouvements islamistes Dominique Thomas : "Aujourd’hui, son idéologie a essaimé dans la quasi-totalité des pays arabes. C’est aussi sa force et sa victoire, et je ne vois pas de raisons pour que cette tendance s’inverse." Privés par l’invasion américaine de leur base afghane, contraints par la "guerre globale contre le terrorisme" à limiter leurs mouvements et leurs contacts, les dirigeants d’Al-Qaïda ont opté pour une stratégie de territorialisation opportuniste par des groupes plus ou moins autonomes. Une concentration sur le "jihad local" qui ne les amène toutefois pas à délaisser les objectifs mondiaux contre "l’ennemi lointain" : les États-Unis, Israël et leurs alliés. Ces dernières semaines, la multiplication d’actions spectaculaires et de menaces a démontré la capacité de nuisance encore phénoménale d’Al-Qaïda. Fin juillet, ses commandos attaquaient des prisons dans neuf pays, dont l’Irak, la Libye et le Pakistan, libérant des milliers de détenus parmi lesquels des dizaines de membres de l’organisation. Le 3 août, Washington ordonnait la fermeture d’une vingtaine de représentations ­diplomatiques en Afrique et au Moyen-Orient : ses services de renseignements venaient d’intercepter une communication où le chef d’Aqpa promettait à Zawahiri un attentat qui "changera l’Histoire", a précisé le président du Yémen. "La menace la plus précise et la plus crédible depuis le 11 Septembre", avait alors averti Michael McCaul, président du Comité pour la sécurité intérieure du Parlement américain. En Europe, selon les mêmes sources sécuritaires américaines, Al-Qaïda aurait projeté des attentats contre des trains à grande vitesse. Aucune de ces menaces ne s’est – encore – concrétisée, mais le bruit et l’angoisse générés sont déjà une victoire pour la mouvance terroriste.

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Les principales succursales qaïdistes. L’ONU a rencensé 66 entités attachés
ou qui se revendiquent associés d’Al-Qaïda. © J.A. Cliquez sur l’image pour l’agrandir.

 

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Enfin, si l’Occident n’a plus connu depuis huit ans d’attentat de grande ampleur comme ceux de New York, Madrid et Londres, la propagande en ligne d’Al-Qaïda convainc un nombre croissant de partisans zélés de passer à l’action. À Toulouse, Mohamed Merah abattait 7 personnes dont 3 enfants en mars 2012. En avril 2013, au marathon de Boston, les bombes des frères Tsarnaev faisaient 3 morts et 264 blessés. Un mois plus tard à Londres, Michael Adebolajo et Michael Adebowale tuaient un soldat britannique à l’arme blanche. Des actions beaucoup moins mortifères que les grandes attaques des années 2000, mais dont l’impact médiatique reste considérable. Du "loup solitaire" des villes d’Occident aux milliers de combattants de Syrie, Al-Qaïda opère désormais via tous types de cellules autonomes. "Al-Qaïda, c’est un peu tout à la fois, avec une organisation centrale affaiblie qui exerce différents degrés de contrôle sur ses succursales, d’Aqpa, gérée par un proche de Zawahiri, à l’EIIL, sur lequel elle a une influence minimale, en passant par la franchise Aqmi", explique Difraoui.

La branche au Yémen est la plus structurée

La tête pensante de l’hydre reste le successeur officiel de Ben Laden, l’Égyptien Ayman al-Zawahiri, qui a cofondé l’organisation en 1988. Avec ses épaisses lunettes et son carré de barbe blanchie, ce chirurgien de formation issue de la bonne bourgeoisie cairote a tout sauf l’allure romantique du cavalier Ben Laden. Il n’en est pas moins dépourvu de charisme et d’une effrayante intransigeance dans la violence. Reclus dans les zones tribales du Pakistan, siège de la "centrale", ce "Vieux de la montagne" de 62 ans instruit, excommunie, anathématise et menace via les relais internet de l’organisation. Et les groupes qui s’en réclament se placent par le même biais sous son autorité. "Zawahiri exerce une autorité morale et il reste le calife à qui l’on prête allégeance mais que l’on n’écoute pas forcément", explique Difraoui. En avril, son refus d’intégrer la Jabhat al-Nosra syrienne à l’EIIL n’a ainsi pas été suivi. Est-ce pour raffermir son autorité qu’il a nommé quelques semaines plus tard comme numéro deux de l’organisation Nasser al-Wuhayshi, le chef d’Aqpa ?

La branche basée au Yémen est en effet la plus apte et la mieux structurée d’Al-Qaïda, la seule qui ait multiplié les tentatives d’opérations extérieures ces dernières années, piégeant par exemple en 2010 deux imprimantes destinées à être convoyées par avion aux États-Unis et au Qatar. Alors que se réveillait en Occident la peur de nouvelles attaques, le portrait de l’artificier d’Aqpa, Ibrahim Hassan al-Asiri, s’est affiché dans les journaux. Ce talentueux chimiste aurait inventé un liquide qui, imprégné sur des vêtements et séché, se transformerait en explosif. À propos de cette assertion comme sur la déclaration faite par Bagdad le 1er juin annonçant le démantèlement d’unités de production de gaz sarin, Dominique Thomas conseille la plus grande prudence : "La puissance de propagande d’Al-Qaïda est l’une de ses meilleures armes, et les deux camps se livrent à une vraie guerre de la communication."

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