Centrafrique : vers une mise sous tutelle
Le président de la transition ne tient plus l’ex-rébellion de la Séléka, qui multiplie les exactions, poussant la communauté internationale à s’engager davantage en Centrafrique. Oui, mais avec qui et sous quelle forme ?
Ils sont arrivés en file indienne, coupant à travers champs comme une armée en détresse. Baluchons à la main, ils ont contourné les chars de l’armée française, puis investi le tarmac de l’aéroport. Mardi 27 août vers 20 heures, après une nouvelle incursion d’éléments de la Séléka, les habitants du quartier Boeing, dans le nord de Bangui, ont craqué. Combien étaient-ils ? Au plus fort de la journée de mercredi, quelque 4 000 hommes, femmes et enfants. "Ce n’est pas une surprise, confie un diplomate français. L’exaspération de la population, qui est allée là où elle pouvait être le plus visible, a atteint son paroxysme." Le 29 août, la Force multinationale de l’Afrique centrale (Fomac) et le détachement Boali de l’armée française ont refoulé les manifestants. Plusieurs heures de négociations, l’emploi de canons à eau et de gaz lacrymogène ont été nécessaires pour les évacuer.
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Après une légère accalmie en mai, Bangui est redevenue une ville où le danger est permanent, omniprésent. Tout a commencé après la prestation de serment du président de la transition, Michel Djotodia, le 18 août. Les nouvelles autorités sont persuadées que d’anciens militaires complotent dans le quartier Boy-Rabe, fief du président déchu François Bozizé. Elles procèdent à une opération de désarmement qui tourne à l’expédition punitive. Plus d’une centaine d’hommes de la Séléka violent les domiciles et pillent pendant plusieurs jours. Bilan : au moins 20 civils tués et plus de 100 blessés. Plusieurs quartiers du nord de la capitale subissent ainsi les foudres de l’ex-rébellion, dont les effectifs sont passés de 4 000 à plus de 20 000 hommes depuis le coup d’État du 24 mars.
Un pays géré par les seigneurs de guerre
Dans le reste du pays, le pouvoir a nommé de nouveaux préfets qui peinent à asseoir leur autorité face aux rebelles. "Ces soldats incontrôlés se servent sur la bête", explique le général Babacar Gaye, nouveau représentant de Ban Ki-moon, le secrétaire général des Nations unies, en Centrafrique. Ils affrontent parfois la population, qui se rebiffe, ont rétabli les barrages illégaux sur la route menant au Cameroun et prélèvent des taxes sur les commerçants. Plus que jamais, la Centrafrique donne l’image d’un pays géré par des seigneurs de guerre. De nouvelles institutions (Conseil national de transition, Cour constitutionnelle…) ont été mises en place, mais elles ne gouvernent qu’en apparence. Coincé entre les chefs de la Séléka et la communauté internationale, Michel Djotodia apparaît comme un roi nu qui "contrôle à peine sa secrétaire", ironise un diplomate africain en poste à Bangui. Contraint de suivre les injonctions du "club des cinq", un groupe informel représentant les intérêts de la France, des États-Unis, de l’Union africaine (UA), de l’Union européenne (UE) et de l’ONU, Djotodia a accepté de s’atteler au maintien de l’ordre. Retour au mardi 27 août : en fin de matinée, Babacar Gaye se rend au palais présidentiel accompagné de deux diplomates européens et d’une représentante de l’UA. Ils remettent au président une liste de mesures à prendre. "La requalification de la police et de la gendarmerie et le strict cantonnement des combattants de la Séléka devraient offrir l’avantage de réduire les pillages et les exactions contre les populations", peut-on lire dans ce document. Ces unités doivent être placées sous l’autorité du nouveau ministre de la Sécurité, Josué Binoua, l’un des derniers fidèles de Bozizé.
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Les choses vont ensuite s’accélérer. Dans la nuit de mardi à mercredi, de nouveaux dérapages sont signalés à Boeing. Le 28 au matin, les recommandations du club des cinq sont validées par le Conseil national de sécurité. "À compter d’aujourd’hui [mercredi], seules les forces de la police centrafricaine et de la gendarmerie nationale [5 600 hommes dépourvus de moyens] sont habilitées à intervenir", annonce Josué Binoua. Quelques heures plus tôt, environ 600 hommes – dont la moitié issus de la Fomac – ont pris position dans les quartiers nord de Bangui. Toutefois, certains rebelles font toujours des incursions sporadiques, et les pillages continuent dans le reste de la ville.
Échec du comité de suivi
Déplorant la dégradation de la situation, la France est décidée à intervenir. Elle propose d’abord au Rwanda, actuel membre du Conseil de sécurité, et à l’UA de porter le dossier devant l’ONU. En vain. François Hollande prend donc les choses en main. "J’appelle l’ONU et l’UA à se saisir de la crise en Centrafrique, où 60 000 enfants risquent de mourir de malnutrition et qui compte 1,5 million de déplacés", déclare-t-il lors de la conférence des ambassadeurs de France, le 27 août, à Paris. La stratégie élyséenne est d’abord de médiatiser le drame humanitaire d’un pays "au bord de la somalisation", nouveau refuge pour les rébellions de la sous-région comme l’Armée de résistance du seigneur (LRA, de l’Ougandais Joseph Kony) ou les milices janjawid (Soudan). Puis d’y impliquer l’ONU tout en faisant revenir les bailleurs de fonds.
D’où le remplacement de l’ex-représentante de Ban Ki-moon, la Nigériane Margaret Vogt, jugée timorée, par le Sénégalais Babacar Gaye. Ce fin connaisseur des crises en Afrique centrale – il a dirigé les forces onusiennes en RDC – a rapidement pris la mesure de la situation et renforcé la coordination avec le club des cinq. "Plus le temps passe et plus la situation va se dégrader. Il est urgent d’agir", a-t-il signalé aux membres du Conseil de sécurité, dès le 14 août, à New York.
Les Occidentaux déplorent l’échec du comité de suivi, institution créée par les accords de Libreville. Dans leur collimateur, le général Noël Léonard Essongo, président dudit comité et représentant spécial du médiateur, Denis Sassou Nguesso. Ils lui reprochent de ne pas relayer leurs positions. Résultat ? Djotodia s’émancipe de la feuille de route et isole le Premier ministre, Nicolas Tiangaye, qui garde la confiance de la communauté internationale même si celle-ci aimerait qu’il fasse preuve de plus de poigne.
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Sur le terrain, la Fomac, concentrée à Bangui, joue un rôle de dissuasion en patrouillant et en protégeant certains sites et biens. Mais elle ne s’attaque pas au noeud du problème : le désarmement et le cantonnement des rebelles. Elle est aussi en proie à un manque de coordination entre les différentes armées nationales qui la composent, chacune semblant avoir sa propre mission. Officiellement, depuis le 1er août, la Fomac est intégrée dans la Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine (Misca). Ses troupes devraient être portées de 2 000 à 3 600 soldats. Mais les négociations sur le transfert de responsabilités piétinent. Selon les représentants de l’UA, leurs homologues de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (Ceeac) le retardent afin de conserver leur pré carré et leurs privilèges. Ne souhaitant plus perdre de temps ni d’argent, la communauté internationale attend avec impatience que les Africains règlent leurs bisbilles.
La France pourrait intervenir
Quelles sont les troupes susceptibles d’intégrer la Misca ? On parle de l’Afrique du Sud. Si le président Jacob Zuma reste très engagé sur le dossier, il a perdu, par le passé, des soldats en Centrafrique et a déployé récemment plus de 1 000 hommes en RD Congo. Difficile donc de se projeter à nouveau sur le théâtre centrafricain. Des renforts ougandais ont également été envisagés. Mais pour les dirigeants d’Afrique centrale, ces pays sont trop liés au régime Bozizé. Quant à l’Angola, il se tient à l’écart du dossier.
Certains appellent la France à la rescousse depuis que ses soldats se retirent progressivement du Mali. Paris, dont les troupes sécurisent déjà l’aéroport et procèdent à des rondes à Bangui, se montre disponible mais n’ira pas seul. Le pays pourrait intervenir sous bannière onusienne si les Africains commencent le travail en sécurisant la capitale et quelques grandes villes. "D’ici là, le financement et le mandat de la Misca devront être clarifiés devant le Conseil de paix et de sécurité de l’UA, début septembre, souligne Babacar Gaye. Ce mandat doit être robuste, et les 3 600 soldats doivent être déployés rapidement."
Ces hypothèques levées, la communauté internationale pourrait s’engager davantage. Deux solutions sont à l’étude : le financement et l’appui logistique à la Misca, sur le modèle de la Mission de l’Union africaine en Somalie (Amisom), ou la création d’une mission onusienne aux prérogatives larges (sécurisation, surveillance des droits de l’homme, réforme des forces de sécurité et organisation d’une élection inclusive, crédible et transparente dans les dix-huit mois). À condition, bien sûr, de convaincre les Américains, pour lesquels la Centrafrique est loin d’être une priorité. "Cela risque d’être long pour trouver les hommes et le financement, explique un diplomate onusien. Le Black Caucus, lobby africain-américain proche des démocrates, n’est pas très mobilisé et il faut une approbation du Congrès."
Le 28 août, 4000 personnes se sont rassemblées sur le tarmac de l’aéroport de
Bangui-M’Poko pour dénoncer les abus de la Séléka. © Pacome Pabandji/AFP
Une mise sous tutelle de la Centrafrique ?
Bangui pourra-t-il attendre ? Rien n’est moins sûr. En novembre, le gouvernement centrafricain, s’il ne bénéficie pas d’aide extérieure, ne pourra plus honorer les salaires des fonctionnaires. Depuis le début de la crise, les étrangers ont largement abandonné la capitale, laissant sur le carreau leurs employés de maison. Nombre d’entreprises ont mis la clé sous la porte ou réduit la voilure. Et l’UE se trouve quasiment seule à assurer le financement des actions humanitaires. Cette situation pourrait amener les populations à se révolter. L’une des priorités pour les autorités est de démobiliser les barrages de la Séléka sur la route menant au Cameroun, afin de permettre aux agents des douanes de prélever les recettes fiscales. Pour le Fonds monétaire international (FMI), c’est un préalable à son retour dans le pays et à la remise en oeuvre d’un programme d’appui.
Aux Nations unies, la France devrait présenter une résolution en septembre. On se dirige vers une mise sous tutelle africaine ou onusienne de la Centrafrique. Mais la route semble encore bien longue avant que le pays ne sorte de la crise. Le petit déjeuner du 25 septembre et la conférence humanitaire consacrée à la Centrafrique, en marge de l’assemblée générale de l’ONU, devraient permettre d’y voir plus clair sur la volonté réelle des uns et des autres, au-delà des déclarations de bonnes intentions.
Le "général" Arda Akoma.
© Vincent Fournier pour J.A.
Michel Djotodia contre les seigneurs de guerre
Se rendant compte que la situation n’était plus tenable, Michel Djotodia a engagé l’épreuve de force avec les seigneurs de guerre. "Je n’ai aucune raison de ne pas croire en sa bonne volonté, mais sera-t-elle suffisante ?" s’interroge Babacar Gaye. Le président de la transition se trouve dans une situation très délicate et risque de tout perdre en s’attaquant à ses protecteurs. De fait, son pouvoir est largement tributaire du bon vouloir d’une dizaine d’officiers autoproclamés qui disposent d’hommes fortement armés et le lui rappellent constamment. À Bangui, les plus puissants d’entre eux, les "généraux" Arda Akoma et Moussa, ont lancé l’opération de Boy-Rabe au mépris des ordres de Djotodia. Le premier, 32 ans et originaire de la Vakaga, était aux avant-postes lors de l’offensive finale sur Bangui, fin mars. Fort de 700 mercenaires, le second, un Goula soudanais sur lequel Djotodia s’est longtemps appuyé, est très influent : il distribue notamment la prime générale d’alimentation à l’ensemble de l’ex-rébellion. "On se rapproche de l’heure de vérité, confie un diplomate. Si Djotodia ne parvient pas à reprendre la main, ces chefs de guerre pourraient bien prendre sa place."
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