Tunisiens malgré tout

Fawzia Zouria

Publié le 30 août 2013 Lecture : 2 minutes.

J’aurais bien voulu vous envoyer de bons baisers de Tunis, comme chaque été. Hélas ! Rien n’est plus comme avant dans mon pays. Dès l’aéroport, j’ai l’impression d’atterrir dans un coin du Pakistan. Les barbes et les voiles ont remplacé le touriste européen. Les mises à l’afghane me font saisir le sens de cette phrase de l’ex-ministre français de l’Éducation nationale, François Bayrou, exprimant la défiance de la République face au foulard islamique : "Il s’agit du visage de la France !" Le visage de la Tunisie a bel et bien changé…

Je le vérifie le soir même au milieu des miens. La moitié des cousines sont couvertes de pied en cap et défendent Ghannouchi avec la dévotion due au Prophète. Ma grande soeur les traite de "débiles mentales". Bien qu’elle ne soit jamais allée à l’école, elle sait expliquer comment le gouvernement Ennahdha lui fait acheter sa tomate trois fois le prix, vivre avec la peur au ventre à cause des braquages et des risques d’attentat. Son fils renchérit en fustigeant une troïka qui a démontré son incompétence et qui s’accroche d’autant plus au pouvoir qu’elle risque demain de repasser par la case prison pour biens mal acquis et autres compromissions.

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La nuit, cap sur Le Bardo, où se tiennent les manifs de tous bords. Je rejoins le camp laïc et respire : la Tunisie que je connais est là, fille de Bourguiba et de Tahar Haddad. L’ambiance bon enfant est si prégnante qu’un doute me traverse : et si ce qui affaiblissait l’opposition laïque c’était justement son côté festif et spontané ? Mais je me rassure aussitôt en me disant qu’un pays où l’on proteste en chantant est un État où il reste un espoir.

Le lendemain, cap sur mon village : 300 kilomètres sur la route menant vers les montagnes de Ouergha et de Chaambi, où sévissent les terroristes. Et seulement deux képis qui font la sieste à l’ombre d’un olivier ! J’invoque la baraka et me félicite d’avoir songé à exhiber un moustachu à mes côtés…

J’apprends que, lors des prières de l’Aïd, mes villageois ont été obligés de sacrifier au nouvel islam wahhabite, qui exige de prier pour la circonstance à l’extérieur de la mosquée. "Et pourquoi ces barbus ne répandent-ils pas du sable sur le sol pour s’imaginer en Arabie ?" a fulminé une voix qui s’est aussitôt tue à la vue d’un groupe de salafistes menaçant de s’en prendre à celui ou à celle qui s’aviserait de rendre hommage aux soldats tombés sous les balles des jihadistes. Et l’imam d’enfoncer le clou, transformant le prêche traditionnel en un réquisitoire contre les manifestants du Bardo – dont j’étais -, décrits comme des impies qu’il faut se dépêcher de détruire… Je m’empresse de reprendre le volant en direction de Tunis, non sans avoir fait un détour par le cimetière où sont enterrés mes parents. Penchée sur leurs sépultures, je sens soudain disparaître l’enthousiasme ressenti au Bardo. Un doute engendré par le discours haineux des islamistes le remplace : un pays où la violence risque un jour d’empêcher ses natifs de se recueillir sur la tombe de leurs morts peut-il demeurer un pays d’espoir ?

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