Ami Yerewolo : « La politique au Mali est K.-O., mais la culture est encore debout »
La rappeuse malienne se produisait au festival Banlieues bleues pour défendre son dernier opus publié sur le label de Blick Bassy. Après sa tournée estivale, c’est pourtant sans lui qu’elle décidera du tournant de sa carrière.
L’enfant terrible du rap malien, une large combinaison sarouel sur le dos, débite ses vers musclés en bambara sur le parvis du théâtre de Montreuil, en région parisienne. Ami Yerewolo chante la réalité d’un pays touché par une crise sécuritaire et politique qu’une bonne partie de l’auditoire ne connaît pas. Mais, en cette fin d’après-midi ensoleillée, elle fédère tous les publics. La foule est métissée. Tontons, tantines, jeunesse de la diaspora et quidams venus de la capitale s’agitent de concert au rythme des frappes de tambour et des beats électroniques.
À 31 ans, la native de Mahina – une petite ville située dans la région de Kayes – porte en elle une fougue que seuls les combatifs connaissent. Pour preuve, après une décennie de galère à rechercher un producteur et à se faire un nom dans le cercle très fermé et masculin du rap francophone, l’ex-artiste indépendante est approchée par Blick Bassy, chouchou de l’intelligentsia décoloniale et de la presse musicale branchée.
Fière de ses origines
Aminata Dianoko, de son vrai nom, voit enfin ses efforts récompensés et devient la première artiste à signer sur Othantik AA, le label du chanteur et producteur camerounais. Et publie en 2021, après deux albums auto-produits, Ay. Une reconnaissance pour celle qui a commencé sa carrière dans les balani shows de Bamako, des bals de quartier sans prétention. « Blick Bassy m’a permis de faire une tournée internationale. Cette signature a été une vraie opportunité », glisse l’amazone, qui a pourtant décidé de ne pas renouveler son contrat, lequel arrive à son terme en septembre.
Après une tournée estivale marathon, passée à fouler les scènes françaises, elle rentre au bercail. « Après dix ans en indépendante, c’est compliqué de travailler avec un label. Blick a fait de son mieux pendant deux ans, moi aussi. On va continuer nos routes », raconte celle qui tire son nom de scène de l’expression « yerewolo den », qui signifie « fier de ses origines ». « Là, je sens qu’il faut que je rentre au Mali pour penser la suite de ma carrière dans les meilleures conditions. Il me faut ce temps de réflexion. »
On ne peut pas vivre notre passion, nos désirs et avoir de l’ambition
Mais s’il y a bien une chose dont Ami est certaine, c’est de l’importance de la visibilité et de la reconnaissance des artistes femmes. « On nous compte sur les doigts d’une main, nous les rappeuses africaines. C’est représentatif de la manière dont les femmes sont traitées dans nos sociétés, accuse cette fan de la rappeuse française Diam’s et de l’Africaine-Américaine Missy Elliott. On ne peut pas vivre notre passion et nos désirs, avoir de l’ambition… On veut nous voir mariées et mères, certainement pas debout sur le devant d’une scène à porter un discours réservé aux hommes », estime-t-elle.
« On met des bâtons dans les roues à toutes les rappeuses maliennes qui pourraient voir leur carrière décoller. Il y a trop de pression de la part de la famille, de la société et du showbiz, qui perçoivent les rappeuses comme des objets sexuels ou qui estiment qu’elles n’ont pas leur mot à dire », s’insurge celle qui a effectué des tournées avec le collectif de rappeuses Jokko Fam – qui réunit des artistes maliennes, mauritaniennes, sénégalaises et marocaines – dans les villages isolés pour encourager la scolarisation des petites filles.
Le Mali a aussi des rappeuses
On sent de la colère dans la voix, de la lassitude aussi. Cet électron libre, qui ne se revendique pas féministe, ne veut compter que sur elle-même pour faire bouger les lignes. Elle a ainsi créé en 2017 le festival Le Mali a aussi des rappeuses, qui organise des concerts, mais aussi des ateliers de formation et un concours à destination des rappeuses en herbe, donc. Une manifestation que l’ex-étudiante en finances à l’université de Bamako gère sur fonds propres. « Je reverse 5 % de mes cachets d’artiste pour mettre sur pied chaque édition », confie-t-elle.
Élevée par des grands-parents griots qui lui racontaient des contes autour du feu, Ami a également été bercée au son de musiques mandingues traditionnelles portées par des figures incontournables comme Salif Keita et Oumou Sangaré. Des légendes qui ont un impact sur les populations.
C’est d’ailleurs là toute l’ambition de la rappeuse, éveiller les consciences en « parlant des problèmes de la société ». En 2020, elle adresse, en vers et en prose, une « lettre ouverte » à Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), alors président du Mali, avant que le pays ne devienne le théâtre d’un premier putsch. « Si on m’avait dit que le pays évoluerait de cette manière, je ne l’aurais pas cru. Je ne me suis jamais intéressée à la politique, mais quand la pandémie de Covid est survenue, le gouvernement a calqué son modèle sur la France en nous sommant de rester chez nous. Or, l’État ne nous aide pas financièrement quand on ne peut pas travailler ! s’indigne-t-elle. Il fallait parler. Trois mois plus tard, il y a eu le coup d’État. Puis les autres ont suivi. La jeunesse n’en peut plus et se noie dans les océans. Heureusement qu’il y a la culture. Politiquement, le pays est K.-O., mais culturellement, il est encore debout », conclut l’artiste, qui compte bien le prouver lors de la 5e édition de son festival, qui se tiendra du 15 au 20 août à Bamako.
Découvrir la programmation du festival Banlieues bleues (jusqu’au 24 juillet) ici
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