28 août 1963 : le jour où Washington tomba…

Le 28 août 1963, le pasteur Martin Luther King Jr. livrait un discours devenu aujourd’hui l’un des textes fondateurs de la démocratie américaine. Son assassinat, en 1968, n’a pas mis fin à un combat qui, malgré les progrès enregistrés, reste toujours d’actualité.

Plus de 250 000 personnes déferlèrent sur Washington pour réclamer des emplois et de la liberté. © AFP PHOTO/FILES

Plus de 250 000 personnes déferlèrent sur Washington pour réclamer des emplois et de la liberté. © AFP PHOTO/FILES

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Publié le 28 août 2013 Lecture : 6 minutes.

Martin Luther King prononçant son célèbre discours « I have a dream », le 28 août 1963, à Washington. © AP/SIPA
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Le 28 août 1963, Martin Luther King marchait sur Washington

Le 28 août 1963, 5 ans avant son assassinat, Martin Luther King mène la marche contre les discriminations raciales à Washington. Ce jour-là, le pasteur noir américain, au pied du Mémorial Lincoln, prononce devant 250 000 personnes son célèbre discours « I have a dream » qui demeure, plus d’un demi-siècle plus tard, dans tous les esprits. Retour en musique, archives et témoignages, sur un monument du XXe siècle.

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Ce 28 août 1963, c’est une foule extraordinaire, immense, jamais vue qui déferle sur la capitale fédérale américaine et converge calmement vers le mémorial Lincoln. Jamais vue, parce que les quelque 250 000 manifestants – au bas mot – sont majoritairement des Noirs, toujours victimes de la ségrégation, et ce bien que cent années se soient écoulées depuis l’ »Adresse de Gettysburg » (« À nous de décider que le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple, ne disparaîtra jamais de la surface de la terre », clamait alors Abraham Lincoln) et la proclamation d’émancipation, premier pas vers l’abolition de l’esclavage.

Ils font peur, d’ailleurs, ces Noirs qui réclament « des emplois et la liberté ». La police est sur les dents, et le district de Columbia est virtuellement placé sous la loi martiale. Plus de 150 agents du FBI se mêlent à la foule et investissent les toits du mémorial, de l’Union Station et du département du Commerce. À tous les coins de rue, des policiers chargés d’empêcher les pillages. Ils sont 1 900 à avoir été mobilisés par leur chef, Robert V. Murray, sur des roulements de dix-huit heures au lieu des huit habituelles. Ils disposent de 200 voitures, 86 motos, 24 jeeps, plusieurs hélicoptères et 23 grues, au cas où il faudrait déplacer des bus vandalisés. Ce n’est pas tout : aux abords de la capitale, cinq bases militaires – Fort Myer, Fort Belvoir, Fort Meade, Marine Corps Base Quantico et Anacostia Naval Station – sont en état d’alerte. Une force de 4 000 hommes lourdement armés répondant au nom de code Inside se tient prête à intervenir, et 30 hélicoptères sont disponibles pour assurer son transport. À Fort Bragg, en Caroline du Nord, 15 000 soldats des forces spéciales sont en état d’alerte… Seuls les 69 chiens policiers sont restés dans leurs chenils sur ordre de l’attorney général, Robert Kennedy, afin de ne pas revoir, comme à Birmingham (Alabama), les atroces images d’enfants mordus par des bergers allemands… Mais la guerre civile n’aura pas lieu, et la marche sur Washington restera dans l’Histoire comme un tournant fondateur de la lutte pour les droits civiques. Sous le nom de Council for United Civil Rights Leadership, la coalition qui a préparé l’événement rassemble six organisations, la Brotherhood of Sleeping Car Porters de A. Philip Randolph, le Congress of Racial Equality de James Farmer, le Student Nonviolent Coordinating Committee de John Lewis, la NAACP de Roy Wilkins, la National Urban League de Whitney Young et, bien entendu, la Southern Christian Leadership Conference de Martin Luther King Jr. Randolph est le meneur officiel de la marche, tandis que son principal organisateur est le conseiller de King, apôtre de la résistance non violente, Bayard Rustin, dont l’homosexualité et l’ancienne appartenance au Parti communiste l’ont contraint à rester dans l’ombre.

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Si le porte-parole de Nation of Islam, un certain Malcolm X, condamne ouvertement la « farce on Washington », les différentes composantes de la coalition ne sont pas toutes sur la même longueur d’onde quant au message à faire passer, en particulier vis-à-vis de l’administration Kennedy. « Il y a alors une forte concurrence entre les organisations, explique l’historien François Durpaire, et chaque équipe essaie d’être la meilleure possible. Les divergences, on peut les constater en prêtant attention au vocabulaire utilisé pour désigner la communauté noire. Martin Luther King Jr. emploie toujours le mot « negro » tandis que d’autres mouvements en gestation utilisent pour la première fois le mot « black ». »

I have a dream

Dans cette compétition feutrée, c’est King qui va s’imposer comme la figure centrale et incontournable de la lutte pour les droits civiques. Prenant la parole en dernier, sous l’oeil de nombreuses caméras, il se lance dans un discours scolaire, peu incarné. Ses premiers mots vont à Abraham Lincoln… et rappellent tout le chemin qui n’a pas été parcouru depuis la proclamation d’émancipation, en 1863, condamnant le nègre à n’être qu’un « exilé dans son propre pays ».

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Puis la voix de la chanteuse Mahalia Jackson vient détourner le cours de l’Histoire : « Tell’em about the dream, Martin! » (« Parle-leur du rêve, Martin! ») l’exhorte-t-elle. King Jr. s’exécute. « I say to you today, my friends, so even though we face the difficulties of today and tomorrow, I still have a dream. It is a dream deeply rooted in the American dream. » L’anaphore, aujourd’hui l’une des plus connues au monde, est immédiatement saluée par John Fitzgerald Kennedy (JFK), lui-même excellent orateur : « He’s damn good! » (« Il est sacrément bon ! ») s’exclame le jeune président. Peu après, il accueillera King, en souriant, avec ces mots : « I have a dream » (« J’ai un rêve aujourd’hui »). « Robert Kennedy était convaincu de l’importance de soutenir la lutte pour les droits civiques, rappelle Durpaire, et il a essayé de convaincre son frère. Mais JFK était inquiet, il avait peur du Sud et des démocrates favorables à la ségrégation raciale. L’enjeu politique lui fait peur, car le parti abolitionniste, c’est à l’origine le Parti républicain ! »

Couplé au succès de la marche, le succès du discours fait de King le représentant incontesté de la lutte. Il est l’homme de l’année 1963 pour le Time, puis Prix Nobel de la paix en 1964. Mais il devient aussi l’homme à abattre. Une note du FBI, signée de l’agent William C. Sullivan, est ainsi rédigée le 29 août 1963 : « À la lumière du discours puissant et démagogique d’hier, il apparaît bien au-dessus de tous les autres dirigeants noirs dès qu’il s’agit d’influencer les masses noires. Nous devons le surveiller désormais, si nous ne l’avons déjà fait, comme le plus dangereux des noirs pour le futur de cette nation, du point de vue du communisme, des noirs et de la sécurité nationale. » Pour John Edgar Hoover, président de l’agence fédérale à l’époque, Martin Luther King Jr., c’est l’avant-garde du communisme, une menace pour les États-Unis, et il ne cessera de l’attaquer sur son point faible : les femmes.

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Si le discours de King fait aujourd’hui l’unanimité, ce n’était pas le cas à l’époque et ce ne fut pas le cas pendant des années. On connaît l’opposition des Africains-Américains plus radicaux, des révolutionnaires comme Malcolm X qui ne peuvent pas comprendre que l’on aille au-devant de l’oppresseur en lui opposant l’utopie d’un rêve. On connaît l’opposition des suprématistes blancs. Mais il est fréquent de sous-estimer à quel point la méfiance a persisté, même des années après l’assassinat de King, le 4 avril 1968, à Memphis (Tennessee). Née dans les années 1970, l’idée d’un « Martin Luther King Day » a mis des lustres à aboutir. Popularisée par la chanson Happy Birthday de Stevie Wonder (« I just never understood / How a man who died for good / Could not have a day that would / Be set aside for his recognition »), la création du jour férié n’a été décidée qu’en 1983. Longtemps, le président républicain Ronald Reagan s’y était opposé, ne s’inclinant qu’après un vote massif du Congrès en faveur du King Day Bill. Celui qui était considéré par beaucoup comme un militant noir proche de la gauche de la gauche n’est pas entré dans les manuels scolaires dès août 1963…

Un président noir cinquante ans plus tard

Aujourd’hui, la situation a changé. Barack Obama, qui s’exprimera depuis le mémorial Lincoln à l’occasion du cinquantenaire de la marche sur Washington, a déjà rendu hommage à Martin Luther King Jr. En déclarant, lors de sa première investiture, être « un homme dont le père il y a moins de soixante ans n’aurait peut-être pas pu être servi dans un restaurant »… Ou encore en déclarant, après l’assassinat d’un jeune noir et l’acquittement de son meurtrier : « Trayvon Martin aurait pu être moi, il y a trente-cinq ans ». « Le plus intéressant, à cette occasion, sera d’évaluer le degré de critique à l’égard d’Obama, soutient néanmoins Durpaire. Si les Américains, y compris républicains, sont en grande majorité très fiers de voir la famille Obama à la Maison Blanche et d’avoir su réaliser le rêve de King, certaines voix discordantes se font déjà entendre au sein de la communauté noire reprochant au président d’être en retrait par rapport à cette même communauté. » Aujourd’hui, le rêve de Martin Luther King Jr., appris dans les écoles, repris, répété, samplé par des musiciens (Common, Public Enemy, U2…), rentrerait presque dans la catégorie « lieu commun », n’était la persistance mortifère, aux États-Unis comme ailleurs, des clichés et des comportements racistes.

Pour aller plus loin : thekingcenter.org et 50thanniversarymarchonwashington.com

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