Maroc – Mohammed Benmoussa : « Il faut une muraille entre la politique et le monde des affaires »

Alors que le Parlement s’apprête à discuter deux projets de loi relatifs au Conseil de la concurrence et à la liberté des prix, ceux du carburant continuent de flamber. L’économiste Mohammed Benmoussa décrypte les enjeux de ces deux textes et les politiques publiques menées par l’exécutif.

Le Marocain Mohammed Benmoussa, économiste, membre de la Commission spéciale pour le nouveau modèle de développement (CSMD),en septembre 2019. © Mohamed Drissi Kamili

Publié le 21 juillet 2022 Lecture : 10 minutes.

Économiste et professeur universitaire, membre de l’Istiqlal depuis 20 ans, Mohammed Benmoussa est un homme aussi rigoureux qu’engagé. Nommé par le roi Mohammed VI à la Commission pour le Nouveau modèle de développement (NMD) en 2019, il a prôné des réformes structurelles pour lutter contre l’économie de rente, les conflits d’intérêts, et donner plus de pouvoir au Conseil de la concurrence.

Cette institution, censée faire l’objet de deux réformes bientôt discutées au Parlement, prévoit d’ouvrir une nouvelle enquête sur un dossier explosif : le prix des carburants, qui connaissent une flambée historique. Les distributeurs sont en effet soupçonnés d’entente illicite et de réaliser des « marges immorales ». Parmi les principaux concernés : Aziz Akhannouch, chef du gouvernement mais aussi actionnaire principal d’Akwa Group, une holding détenant Afriquia, groupe leader sur le marché des hydrocarbures, actuellement visé par une campagne virale sur les réseaux sociaux où des milliers d’internautes appellent à sa démission…

Jeune Afrique : Après deux ans d’attente, le projet de réforme du Conseil de la concurrence est enfin à l’agenda législatif. Quels sont les changements notables de ce texte par rapport à celui qui est en vigueur ?

Mohammed Benmoussa : Deux textes de loi ont été déposés au Parlement. Le premier traite de la réforme du Conseil de la concurrence. Un seul apport positif est à relever : les membres du Conseil ont aujourd’hui l’obligation de déclarer au président leur patrimoine et leurs intérêts au début de leur prise de fonction. Le nouveau texte leur imposera une mise à jour annuelle de ces déclarations.

Hormis ce point, on note des reculs importants. La déclaration ne concerne que le patrimoine des intéressés, pas celui des conjoints et des enfants. Les notions d’intérêts et de conflit d’intérêts ne sont pas définies. La loi actuelle interdit à un membre du Conseil de délibérer sur une affaire où il a eu un intérêt, sans prescription. Le projet de loi introduit un délai de prescription de cinq ans.

Mais le président du Conseil lui-même, Ahmed Rahhou, s’est déjà libéré de cette contrainte, en rendant un avis sur le prix des huiles de table en octobre 2021, alors qu’il a été PDG de Lesieur-Cristal de 2003 à 2009. Enfin, ce projet de loi ne prévoit aucune procédure de déport en cas de conflit d’intérêts du président.

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Le but de la réforme du Conseil de la concurrence, souhaitée par le roi Mohammed VI, était de lui octroyer plus d’indépendance. Est-ce bien le cas ? 

Elle apporte plutôt des limites. Ce projet de loi donne le pouvoir au règlement intérieur du Conseil de fixer la répartition des attributions entre les différentes formations du Conseil. Or, rien ne dit comment le règlement doit organiser cette répartition, ni comment il doit être adopté, avec le risque qu’une simple section se voit attribuer un pouvoir exorbitant.

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Le projet de loi donne le pouvoir au président de déroger au règlement intérieur en cas de « circonstances particulières » et d’affecter directement une affaire à l’une des formations, ouvrant ainsi la voie à un possible enterrement de dossier.

Le président peut valablement tenir une réunion avec la moitié du quorum du collège en cas de « saisine urgente », sans que le projet de loi ne précise ce qui pourrait justifier une telle urgence. Un membre du Conseil qui siègerait à une section spécifique n’aura pas le droit d’assister aux réunions et aux délibérations d’une autre section, ce qui permet d’écarter certains membres de certains sujets.

Le nouveau texte engage la responsabilité pénale des membres du Conseil au cas où ils révèleraient la teneur de délibérations, ce qui est une façon de les intimider et de verrouiller les informations sensibles. Le projet de loi permet au Conseil de ne pas publier ses décisions.

Ces deux textes sont très décevants

Observez-vous le même type de recul dans la loi relative à la liberté des prix et la concurrence ?

Ce deuxième projet de loi donne en effet la possibilité au rapporteur général de faire une proposition transactionnelle à l’entreprise qui a commis une infraction, après avoir obtenu l’aval du Conseil de la concurrence.

Bien s’informer, mieux décider

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