L’Espagne et le Royaume-Uni se déchirent les eaux de Gibraltar
Autour du « rocher », la crise dure. Mais cette fois, ce sont des blocs de béton destinés aux poissons qui créent la polémique entre l’Espagne et le Royaume-Uni. Retour sur un problème de fond.
Depuis qu’elles ont perdu leur empire, les anciennes puissances coloniales se chamaillent parfois pour les miettes du gâteau. Dernier Fachoda ? L’incident diplomatique à propos de Gibraltar, entre le Royaume-Uni, qui règne sur quatorze territoires d’outre-mer, et l’Espagne, qui possède toujours au Maroc les communautés autonomes de Ceuta et Mellila. L’affaire est sérieuse : fin juillet, trois siècles après le traité d’Utrecht, qui a fait de Gibraltar un territoire britannique, les autorités du "rocher" ont immergé au large de ses côtes 70 blocs de béton, afin de construire un récif permettant aux poissons de se reproduire.
Ce soudain souci écologique n’est pas du goût des pêcheurs espagnols – que l’on sait fort peu soucieux des fonds marins -, qui y voient une manoeuvre pour les empêcher d’accéder à des eaux poissonneuses. Le gouvernement de Mariano Rajoy, empêtré dans les filets d’une lourde affaire de corruption, a aussitôt pris la défense de ses administrés et lancé la contre-offensive. Notamment en multipliant les formalités à la frontière – 1,2 km de long – entre l’Espagne et Gibraltar. Objectif officiel ? "Contrôler la contrebande, le blanchiment d’argent et le trafic illicite", selon José Manuel García-Margallo, le chef de la diplomatie espagnole. Mais certains n’hésitent pas à souligner que, pour ses 30 000 ressortissants, le "rocher" a importé la bagatelle de 140 millions de paquets de cigarettes en 2012. L’Espagne se dit dans son bon droit, arguant du fait que ni Gibraltar ni le Royaume-Uni ne font partie de l’espace Schengen. Mieux, Madrid menace d’instaurer une taxe de passage de 50 euros pour compenser le manque à gagner de ses pêcheurs…
Comme par hasard, le 19 août, un navire de la Royal Navy, le HMS Westminster, fait escale à Gibraltar pour des manoeuvres militaires "prévues de longue date". La veille, la police de Gibraltar a échangé force injures avec des pêcheurs espagnols venus manifester. Si les dirigeants des deux pays usent d’un langage plus châtié, le ton est le même, rappelant les prétentions espagnoles sur les 6,8 km2 de ce territoire et la longue fermeture de la frontière (1969-1983). Pour le Premier Ministre britannique David Cameron, qui a demandé à la Commission européenne d’envoyer "d’urgence" des observateurs, le risque de détérioration des relations entre son pays et celui de Rajoy est "réel". Ce dernier, quant à lui, menace son homologue de s’adresser aux Nations unies…
bookmakers
S’agit-il vraiment d’un problème de poissons ? Quelques blocs de béton n’empêcheront pas les pêcheurs d’accéder au domaine marin entourant Gibraltar. Si l’enclave agace, c’est aussi parce qu’elle offre un régime fiscal très attrayant – un taux d’imposition d’environ 10 %, une TVA inexistante – et ne se montre guère regardante quant aux sociétés écrans et au blanchiment d’argent. Officiellement, 18 000 entreprises y ont leur siège. En particulier des banques, des bookmakers et des opérateurs de jeux en ligne. Tout près d’une Espagne en crise, l’insolente santé de Gibraltar (avec un PIB en hausse de 7,8 % en 2012) s’appuie pour certains sur une concurrence déloyale. Sur le "rocher", dont les habitants veulent rester sous la coupe britannique, on souligne plutôt le rôle de locomotive régionale d’un territoire qui emploie quelque 10 000 Espagnols. Les deux pays ayant beaucoup à perdre, il y a fort à parier que le statu quo finisse par l’emporter.
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