L’immigration en Italie en pleine croissance
Depuis un an, plus de 24 000 migrants ont débarqué sur les côtes de la péninsule. Un afflux ininterrompu que l’Italie a bien du mal à gérer.
Cadavres rejetés par les flots, femmes accouchant sur les plages, clandestins épuisés et assoiffés arrivant en loques dans des embarcations de fortune… Depuis une vingtaine d’années, les habitants de Lampedusa vivent chaque semaine le drame des immigrants africains. Venu en juillet "pleurer les morts" de la petite île (territoire italien plus proche des côtes tunisiennes que de la Sicile), le pape François a fustigé "la mondialisation de l’indifférence".
Si la gauche italienne a applaudi ses propos, la droite a relancé le débat sur le sort des immigrés. "Il y a une différence entre la prédication religieuse et la gestion par l’État d’un phénomène aussi difficile, complexe et insidieux", a rappelé Fabrizio Cicchitto, un député du Peuple de la liberté (PDL, le parti de Silvio Berlusconi). Des élus de la Ligue du Nord, formation régionaliste d’extrême droite, ont exhorté le souverain pontife à donner de "l’argent et des terres pour y mettre tous les extra-communautaires". De quoi réveiller les démons xénophobes après les violences de Rosarno, érigées en symbole de l’intolérance à l’égard des étrangers et du laxisme des pouvoirs publics. En 2010, dans cette petite ville du coeur de la Calabre, des ouvriers agricoles africains s’étaient révoltés contre les agressions dont ils étaient victimes, avant de se faire chasser par la population à coups de pioche et de tirs de chevrotine.
Réseaux mafieux et exploitation des immigrés
La part des immigrés dans la population de la péninsule (61 millions au total) a triplé ces dix dernières années pour atteindre 7,9 %. Depuis un an, plus de 24 000 migrants ont débarqué sur les côtes italiennes et, ces six derniers mois, plus d’une quarantaine ont péri dans leur tentative. La plupart des immigrés enregistrés dans les centres d’accueil de Lampedusa arrivent du sud du Sahara : Somaliens (19 %), Nigérians (18 %), Érythréens (12 %), Ghanéens (7 %)…
Ces Subsahariens rejoignent en général la Libye par camions, grâce à des filières très organisées. Une fois arrivés, ils sont placés par les réseaux mafieux au sein de sociétés ou de riches familles. Ils y travaillent dur pour un salaire de misère, le temps de rassembler la somme nécessaire au voyage (entre 450 et 1 100 euros). Ensuite, des passeurs les regroupent, et, quand les migrants sont suffisamment nombreux pour remplir une embarcation, ils sont envoyés en mer, de nuit, sans aucun instrument de navigation. Pour le journaliste italien Francesco Viviano, les organisateurs de ces trafics sont si nombreux et les sommes en jeu tellement colossales – il estime le chiffre d’affaires des filières transitant par la Libye à près de 10 milliards de dollars (7,5 milliards d’euros) par an – qu’il sera très difficile d’y mettre fin.
Au port de Lampedusa, ce sont les forces de l’ordre qui "accueillent" les rescapés de ce long et périlleux périple, puis les dirigent vers un centre où ils reçoivent des soins (visite médicale, distribution de vivres, etc.) et où on y contrôle leur identité. "Construit pour accueillir 190 personnes au maximum, ce centre en héberge jusqu’à 800, souligne Jean-Baptiste Sourou, un journaliste et chercheur béninois qui a enquêté de longues années sur le sujet (Chronique d’un été glacial, le rêve naufragé des Africains devrait être le titre français d’Affondo, de Jean-Baptiste Sourou). Les immigrés y passent quelques jours en attendant d’être identifiés et transférés dans d’autres centres plus grands, à Agrigente [Sicile], Crotone [Calabre] ou Bari [Pouilles]." Leur principale préoccupation ? Ne pas être rapatriés. Ils déclinent donc généralement une fausse identité, en évitant de mentionner les pays qui ont des accords avec l’Italie (notamment l’Égypte, la Tunisie ou le Maroc). Certains bénéficient de l’asile politique quand ils arrivent à prouver qu’ils viennent d’un pays en guerre, d’autres d’une protection humanitaire. Un graal très difficile à obtenir. La majorité des immigrés reçoit des permis temporaires avec obligation de quitter le territoire.
Certains partent alors vers la France, l’Allemagne ou la Suisse, d’autres s’entassent dans des taudis. Ils basculent rapidement dans les petits boulots, la mendicité, la prostitution, la drogue, l’alcool, le désespoir. D’autres encore rejoignent des exploitations agricoles. Douze à quatorze heures par jour, ils assurent le ramassage des tomates ou la cueillette des mandarines, oranges ou kiwis. "Pour être sûrs d’avoir du travail, explique Sourou, ils s’en remettent à des groupes mafieux qui les transportent comme des bêtes de somme dans des camions vers les plantations où, sur les 20 euros gagnés en fin de journée, au moins 5 vont aux caporali [mafieux] pour le transport et le pain quotidien." Chaque mois, entre 200 et 300 euros par travailleur iraient directement dans la poche de ces intermédiaires.
Cécile Kyenge face au racisme
Comme il y a quelques années en Espagne pour les étrangers travaillant dans la construction ou le tourisme, les autorités italiennes ont tendance à fermer les yeux sur la situation de cette main-d’oeuvre informelle bon marché. Officiellement, Rome collabore avec les pays du sud de la Méditerranée pour contenir l’immigration, signant des accords de coopération et offrant, comme ses voisins européens, des équipements (véhicules tout-terrain, jumelles pour la vision nocturne, caméras thermiques…) pour la surveillance des côtes et des frontières.
De son côté, la nouvelle ministre italienne de l’Intégration, Cécile Kyenge, originaire de RD Congo, tente de faire bouger les choses. Mais depuis sa nomination, fin avril, elle a été la cible d’insultes et d’attaques racistes, à la Chambre des députés et en dehors. Après s’être fait traiter de "singe congolais" ou de "vilaine petite Noire" par des représentants de la Ligue du Nord, elle a essuyé des jets de bananes. Sans réels moyens, elle ne peut guère aller plus loin que de tenter de modifier l’image que ses compatriotes ont des immigrés, accusés de tous les maux (vols, mendicité, chômage). "La solution à ces problèmes se trouve en Afrique, conclut Sourou. Il faut investir massivement dans l’éducation, la santé, l’emploi des jeunes, et favoriser l’émergence de sociétés démocratiques. Sinon il y aura toujours des candidats à l’exil et des morts inutiles."
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