Algérie : comment revivre après les incendies de l’été 2021

Indemnisations, reconstruction, deuil… Les habitants du village d’Ikhlidjen et de ses hameaux restent traumatisés un an après les feux qui ont ravagé la Kabylie.

Un incendie dans les collines boisées de Kabylie, le 12 août 2021. © Ryad KRAMDI/AFP

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Publié le 21 juillet 2022 Lecture : 6 minutes.

C’était un petit village de 1 200 âmes niché dans un écrin de verdure et accroché au flanc d’une montagne au pied de laquelle coule la rivière de Berkmouch. Avec ses maisons en pierres et ses tuiles rouges, le village d’Ikhlidjen et ses quatre hameaux – Agoulmime, Taourirt Lalla, Imathouken et Ath Ali – n’a rien à envier à ces villages qui figurent chaque année au palmarès des plus beaux villages de France.

Mais de cet écrin de verdure, de ces forêts et de ces maquis touffus, de ces maisons en pierre et de cette douceur de vivre, rien ou presque ne subsiste. À Ikhlidjen, la vie s’est arrêtée le 10 août 2021 lorsque les flammes ont transformé ce petit paradis en un enfer de cendres et de désolation, en quelques heures seulement. Ici, le temps se conjugue désormais au passé.

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Journées de l’apocalypse

Ce mardi-là, en moins de quatre heures, vingt-quatre personnes d’Ikhlidjen et des localités environnantes sont mortes brûlées ou asphyxiées par les gigantesques incendies. Des dizaines de maisons ont été totalement ou partiellement endommagées alors que l’on compte plus d’une centaine de blessés dont certains présentent de graves brûlures.

Ces feux qui ont touché la Kabylie du 9 au 12 août 2021 ont fait au total 103 victimes dont 24 militaires. De toutes les communes qui ont enduré ces quatre jours, Agoulmime est sans doute celle qui a payé le plus lourd tribut. Au milieu du village, vingt-deux tombes alignées témoignent de l’horreur de ces journées brûlantes.

Plaies béantes

Un an plus tard, les stigmates sont toujours visibles, comme autant de plaies béantes. La forêt n’est plus qu’un paysage d’arbres calcinés et les habitations détruites ou endommagées sont restées dans l’état où les a laissées les incendies. Quatre saisons sont passées mais les villageois ne parviennent pas à faire le deuil.

Pour faire face à l’ampleur des pertes humaines et de dégâts matériels, l’État a annoncé l’octroi d’une indemnité de 1 million de dinars (6 700 euros) pour les parents de victimes, des compensations financières pour les habitations affectées ainsi que pour le cheptel perdu et bien sûr, la prise en charge pour les grands brûlés.

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Moins de quinze jours après l’extinction des feux, les familles ont commencé à toucher cette indemnité, qui s’ajoute aux diverses aides versées par les bénévoles, les particuliers ainsi que les associations à l’intérieur comme à l’extérieur du pays.

Traumatismes

« Le village est un désert aujourd’hui, soupire Dahoune Saïd, habitant d’Agoulmime. La vie s’est arrêtée ce funeste mardi. Rien ne sera plus jamais comme avant. » Son frère Aziz, 34 ans, serveur, est un miraculé. Ce jour-là, il sort précipitamment de la maison familiale pour porter secours à Belaid et Massylia, le garçon et la fille de son voisin, qui tentent de fuir les flammes.

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Encerclés par les feux, les deux adolescents meurent asphyxiés tandis qu’Aziz est brûlé au quatrième degré. Il est évacué en septembre 2021 en Turquie au frais du gouvernement, comme une dizaine d’autres blessés. Après 10 mois de soins intensifs, diverses greffes ainsi que des séances de réduction, l’état de santé d’Aziz est en voie d’amélioration. « Il va mieux mais il n’est pas encore hors de danger et reste traumatisé », souffle son frère Saïd.

Salem Loumi, la trentaine, ne veut plus retourner dans la vieille maison de ses parents à Ikhlidjen. Aujourd’hui encore, son corps porte les séquelles de la fournaise. Après avoir mis ses parents à l’abri du feu le 10 août, Salem retourne chez lui pour récupérer l’argent que son père a mis des années à économiser afin que ce fils unique dispose d’un toit, se marie et fonde une famille.

Pris dans les flammes, Salem perd sa petite fortune et s’en sort avec de graves blessures aux bras et aux jambes. Soigné à l’hôpital de Douera, dans la banlieue d’Alger, il n’a toujours pas regagné son poste de travail dans une usine de Tizi Ouzou. Marié depuis, Salem s’est installé dans un autre village loin du sien. Trop de mauvais souvenirs pour y remettre les pieds.

Mohand Belkalem, la cinquantaine, est une des chevilles ouvrières de ce réseau de solidarité mis en place pour venir en aide aux sinistrés. Petit entrepreneur avant les incendies, son camion a été endommagé. Aujourd’hui au chômage, Mohand ne ménage pas ses efforts pour accompagner les familles dans leurs démarches administratives afin d’obtenir les aides promises par les autorités.

Imbroglio sur les indemnités

C’est que, passés les premiers jours d’entraide, les habitants d’Ikhlidjen et de ses environs se trouvent livrés à eux-mêmes face au maquis de l’administration. Obtenir les aides pour reconstruire ou réparer les habitations endommagées relève du parcours du combattant. À ce jour, aucune maison n’a été totalement restaurée sur la cinquantaine qui ont été touchées par les feux.

Pour évaluer l’ampleur des dégâts et déterminer le montant des indemnisations, des ingénieurs et des architectes du Contrôle technique des constructions (CTC) ont été dépêchés sur les lieux quelques jours après la fin des incendies pour classer les habitations en zone « verte », « orange » et « rouge » en fonction de l’ampleur des dégâts.

Ces premiers contrôles effectués, une autre commission s’est rendue sur place afin de déterminer les sommes à verser. Mais entre les montants des évaluations et les coûts réels des travaux de réfection, l’écart est souvent substantiel. Kabi Saïd en a fait l’amère expérience. Père de cinq enfants, infirmier, il a vu la maison qu’il a mis plus de vingt ans à bâtir partir en fumée en quelques minutes alors qu’il fuyait les lieux pour sauver sa famille d’une mort certaine.

Dix jours après les incendies, la commission d’évaluation estime à 3 millions de dinars (21 100 euros) le montant des travaux nécessaires pour restaurer la maison classée catégorie « orange ». Mais c’est la douche froide quand les autorités décident finalement de fixer le montant de l’aide entre 250 000 et 700 000 dinars (entre 1 680 et 4 700 euros).

« Ils m’ont remis un chèque de 700 000 dinars sans un centime de plus, regrette Kabi Saïd. C’est la seule aide financière qu’ils nous ont donnée. J’ai tout perdu, le feu à tout emporté. Il ne me reste que les murs dans cette maison. Ils n’ont jamais cherché à savoir si nous sommes logés ou si nos enfants ont mangé à leur faim. Heureusement que des âmes charitables sont là. »

Matériel électrique, faïences, quelques sacs de ciment… Cette aide a permis à l’infirmier d’effectuer de menus travaux dans sa maison. Mais celle-ci est loin d’être aux normes pour y abriter à nouveau sa famille. En attendant, il habite chez sa mère dans des conditions précaires.

Agoulmime, village martyr

Pour l’avocate Nacera Haddouche qui assiste de nombreux sinistrés dans leurs démarches administratives, l’indemnité de l’État s’est transformée en une aide forfaitaire au motif que les habitations ne sont pas assurées. « Les villageois mettent 20 à 30 ans pour construire une maison avec parfois de maigres économies et personne ne songe à contracter une assurance, plaide-t-elle. C’est une situation exceptionnelle qui nécessite des aides exceptionnelles. »

Des commerces, des villas, des véhicules, des vaches et des chèvres et une fromagerie qui employait cinq personnes : la famille Ighmouracen est l’une des plus aisées d’Agoulmime. Mais elle est aussi parmi celles qui ont payé le plus lourd tribut aux flammes.

Six membres de cette famille, dont un nourrisson de 8 mois, ont trouvé la mort le 10 août. Une vingtaine de vaches et une soixantaine de chèvres et de brebis qui produisaient du lait pour la fromagerie familiale ont également péri. Mohand Ighmouracen a aussi perdu 9 véhicules, et ses trois appartements sont complétement calcinés.

En guise d’indemnité, il lui a d’abord été promis 700 000 dinars (4 700 euros). Après son recours, la somme a été revue… à la baisse pour n’atteindre que 400 000 dinars.

« Ce montant ne couvre même pas les frais de peinture, avance Mohand Belkalem. Heureusement que les populations ne comptent pas sur les autorités pour se reconstruire et surmonter ces épreuves. Il y a la solidarité et l’entraide ancestrales mais également les soutiens qui proviennent d’un peu partout. Cela donne du baume au cœur et aide à surmonter l’insurmontable. »

À Agoulmime, les vingt-deux sépultures des victimes sont peintes en blanc et les pierres tombales en marbre gris tacheté sont régulièrement fleuries par les villageois. Aménagé quatre mois après les incendies, le cimetière est devenu un lieu de mémoire de la tragédie d’août 2021.

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