Wided Bouchamaoui, la patronne des patrons tunisiens, se lie aux syndicats contre les islamistes

Face aux prétentions hégémoniques des islamistes au pouvoir, la patronne des patrons a choisi de faire cause commune avec la principale centrale syndicale. Du jamais vu !

Wided Bouchamaoui et Houcine Abassi, secrétaire général de l’UGTT, au siège de l’Utica. © Hichem

Wided Bouchamaoui et Houcine Abassi, secrétaire général de l’UGTT, au siège de l’Utica. © Hichem

Publié le 3 septembre 2013 Lecture : 3 minutes.

On la croyait discrète, voire effacée, mais, en deux ans, Wided Bouchamaoui, 42 ans, patronne des patrons tunisiens, a fait la preuve qu’elle était une femme de tête et de poigne. Celle qui veille aux destinées de l’entrepreneuriat privé s’exprime rarement en public, mais toujours avec discernement. Aussi est-elle écoutée par ses pairs et par les partenaires internationaux du pays. Quand elle assène, le 1er août, que "l’économie tunisienne agonise", on la prend au sérieux. Quand elle accuse l’exécutif de passivité, on la croit. Désignée en mars 2011 à la tête de l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica) pour remettre de l’ordre dans une institution largement compromise avec le régime de Ben Ali, elle a fait preuve de détermination, résisté aux campagnes menées par ses détracteurs, et a été reconduite à son poste en mai dernier.

Patronat et syndicats main dans la main

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Cette chef d’entreprise et fille d’entrepreneurs a un objectif clair : rassurer le monde des affaires pour relancer l’économie. Les élections d’octobre 2011 auraient dû favoriser un retour de la confiance, mais les tâtonnements du gouvernement et l’explosion des revendications sociales ont refroidi les opérateurs. Bouchamaoui ne tarde pas à tirer la sonnette d’alarme : "Il faut oser dire aux gens la vérité sur la situation économique du pays, ses potentialités et ce qu’il peut réellement offrir en termes d’emplois réels. Lorsqu’on ne tient pas ses promesses, on ouvre grand la porte à une seconde révolution."

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Jouant pleinement son rôle, elle tente de sensibiliser le gouvernement aux problèmes des entreprises, prône la révision du code des investissements, propose des solutions pour les sociétés placées sous séquestre et réclame que les cas d’hommes d’affaires interdits de voyage soient rapidement examinés pour éviter la paralysie de pans entiers de l’économie. Mais les autorités font la sourde oreille. Tenace, la première femme arabe patron des patrons prend alors une initiative osée : elle opère un net rapprochement avec l’Union générale tunisienne du travail (UGTT). Du jamais vu. Patronat et syndicats entament les négociations sociales, court-circuitant l’exécutif. Après tout, sauvegarder le tissu entrepreneurial tunisien est essentiel aussi bien pour le capital que pour les travailleurs. L’Utica monte en puissance et soutient le dialogue national lancé en décembre 2012 à l’initiative de l’UGTT mais se défend de toute politisation. "Le seul facteur qui détermine les positions de l’Utica reste la défense des intérêts supérieurs de la Tunisie", affirme sa présidente.

Il n’empêche. À l’instar de l’UGTT, l’Utica s’est invitée de facto dans le débat politique. Et Bouchamaoui ne mâche pas ses mots : "Le gouvernement ne prend pas les mesures nécessaires car il pense aux futures élections." Et de fustiger aussi le laxisme de l’administration face à l’expansion de l’économie informelle.

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L’assassinat du député de gauche Mohamed Brahmi le 25 juillet et le gel des activités de l’Assemblée nationale constituante (ANC) exacerbent la crise. Très vite, l’Utica fait sienne la position de l’UGTT : formation d’un gouvernement de compétences et maintien de l’ANC pour qu’elle finalise la Constitution et mette en place l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie), au plus tard le 23 octobre. Houcine Abassi, secrétaire général de l’UGTT, précise que les deux centrales "n’accepteront d’entamer un dialogue national que si le gouvernement est dissous". Bouchamaoui est plus pugnace : "Il faut un gouvernement de technocrates, compétents, sans agenda politique et aptes à gérer les dossiers techniques. L’intérêt du pays doit primer. J’ai envie de dire aux politiciens : "Reposez-vous et laissez-nous travailler."" Message reçu par Ennahdha, qui a fini par accepter, le 22 août, de dialoguer sur la base de l’initiative de l’UGTT.

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