Égypte : retour sur l’échec des médiations internationales
Quelques jours avant la dispersion sanglante des sit-in organisés par les Frères musulmans, des émissaires étrangers se sont succédé au Caire pour éteindre l’incendie. Mais les jeux étaient déjà faits.
"Nous avons épuisé toutes les voies diplomatiques […] pour mettre fin à la violence et à l’effusion de sang." C’est par ces mots que, le 7 août, le président égyptien par intérim, Adly Mansour, a annoncé l’échec des médiations internationales visant à trouver une solution politique au conflit qui oppose les nouvelles autorités à la confrérie des Frères musulmans depuis la déposition par l’armée du président islamiste Mohamed Morsi, le 3 juillet. Une semaine plus tard, le 14 août, les forces de sécurité dispersaient dans le sang les sit-in organisés par les Frères. Au seul camp de Rabaa al-Adaweya, dans l’est du Caire, l’intervention a fait, d’après Human Rights Watch, au moins 377 morts. Deux jours plus tard, des affrontements armés opposaient partisans et adversaires de la confrérie à travers le pays. Bilan : 173 morts et 1 330 blessés, selon des chiffres officiels. Aujourd’hui, le pays semble plus que jamais engagé dans le scénario du pire.
>> Lire aussi : Crise en Égypte : les médiations étrangères échouent à instaurer des négociations
L’Europe et les États-Unis, manipulés par l’Égypte ?
Jusqu’au bout, pourtant, plusieurs émissaires occidentaux et arabes se sont succédé au Caire pour rencontrer les acteurs de la tragédie égyptienne et tenter de trouver une issue à la crise. Parmi eux, le secrétaire d’État américain adjoint William Burns et l’émissaire de l’Union européenne (UE) Bernardino León, lesquels étaient tout près de toucher au but le week-end du 4 août. "Ils voulaient calmer le jeu, créer un contexte de confiance propice au dialogue", explique Nevine Malak, membre du Front de la conscience, une coalition qui soutient les Frères musulmans. Avec Amr Darrag, du Parti de la liberté et de la justice (PLJ, organe politique des Frères), Mohamed Ali Bishr, de la confrérie, et Tarek el-Malt, du parti islamiste modéré Wassat, elle faisait partie de la délégation chargée de rencontrer à deux reprises les émissaires occidentaux. Selon Tarek el-Malt, William Burns et Bernardino León avaient élaboré un plan de sortie de crise en plusieurs points que les deux parties auraient approuvé : la libération des prisonniers islamistes, la création d’une commission chargée d’enquêter sur les violences, la réduction progressive de la taille des sit-in et l’interruption temporaire des marches de protestation qui paralysaient la capitale. "Jusqu’au matin du jour où le gouvernement a annoncé l’échec des médiations, rapporte Tarek el-Malt, Bernardino León était en contact permanent avec Amr Darrag, à qui il a assuré que les autorités avaient juste pris un peu de retard et qu’elles allaient commencer par libérer Abou Elela Madi (le chef du Wassat) et Saad al-Katatni (figure des Frères musulmans), avant que les autres détenus soient relâchés progressivement. Plus tard dans la journée, il lui a indiqué qu’il essayait d’empêcher le gouvernement d’annoncer l’échec des médiations étrangères." Sans succès. Américains et Européens sont repartis furieux, persuadés qu’ils avaient été manipulés par le pouvoir.
Pour Michael Hanna, du think tank américain The Century Foundation, les autorités égyptiennes portent l’entière responsabilité de cet échec. "Elles ont tout simplement décidé de ne pas éviter le bain de sang, il n’y a pas d’autre explication possible", tranche-t-il. Le chercheur reconnaît que "les Frères musulmans ont commis des actes de violence et qu’il y a eu des cas de torture sur les lieux des sit-in". Mais, selon lui, "une solution qui ne fait qu’aggraver la situation n’est pas une solution. L’Égypte va en subir les conséquences pendant de nombreuses années". Selon Michael Hanna, le choix des autorités marque la victoire des partisans de la solution sécuritaire au sein du gouvernement, qui ont vu dans la dispersion violente des sit-in "l’occasion de se débarrasser définitivement des Frères musulmans".
De son côté, le représentant au Caire du groupe libéral au Parlement européen, Koert Debeuf, estime que la méfiance qui règne entre les deux camps a conduit l’armée à intervenir avant que la situation ne devienne totalement incontrôlable. "Les militaires ont cru que les Frères essayaient de gagner du temps en acceptant le dialogue : les sit-in de la confrérie étaient de mieux en mieux organisés, et des armes ont commencé à y circuler."
"La légitimité est aux mains du peuple égyptien"
Depuis la déposition de Morsi, le discours officiel vis-à-vis des Frères musulmans et de leurs partisans s’est considérablement durci. Dans une allocution prononcée le 24 juillet à l’académie navale d’Alexandrie, le commandant en chef des forces armées, le général Abdel Fattah al-Sissi, appelait ainsi ses concitoyens à descendre manifester pour le soutenir dans sa "lutte contre le terrorisme" des Frères musulmans. Le 18 août, le nouvel homme fort du pays n’en assurait pas moins qu’il avait donné "toute latitude aux médiateurs internationaux pour résoudre la crise de manière pacifique", insistant sur le fait qu’il avait mis en garde ces derniers contre les intentions réelles des Frères : "Sont-ils prêts à participer à un réel processus démocratique, ou cherchent-ils la confrontation ? Telle est la question que nous avons posée à tous les responsables qui sont venus en Égypte."
Sous les applaudissements nourris de l’auditoire, Sissi a également chaleureusement remercié tous ceux qui ont apporté leur soutien à l’Égypte, à savoir l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Koweït, la Jordanie et Bahreïn. Il a également profité de l’occasion pour lancer un message "à tous les autres" : "Reconsidérez votre position. Si vous parlez de liberté, de démocratie et de légitimité, sachez que la légitimité est aux mains du peuple égyptien et qu’il la donne et la retire à qui il veut."
Car les condamnations visant les autorités égyptiennes se multiplient à l’étranger, attisant la rage de l’opinion publique, persuadée que la communauté internationale soutient les Frères musulmans. Le 18 août, dans un communiqué commun, le président de la commission européenne, José Manuel Barroso, et le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, ont ainsi affirmé "regretter profondément que les propositions et les efforts internationaux visant à établir un processus politique inclusif […] aient été mis de côté au profit d’une poursuite de la confrontation".
Aux États-Unis, le dossier divise. Washington n’exclut plus de suspendre une partie des aides militaire et économique accordées à l’Égypte. Le 16 août, les sénateurs américains John McCain et Lindsey Graham, de retour d’une visite au Caire, avaient estimé que "le gouvernement civil intérimaire et les forces de sécurité – soutenus, malheureusement, par les militaires – [étaient] en train de conduire l’Égypte vers l’abîme, et [que] les États-Unis ne devaient pas se laisser entraîner sur cette voie", exhortant l’administration de Barack Obama à suspendre toutes les aides. La veille, le président américain avait simplement annoncé l’annulation d’exercices militaires conjoints prévus pour septembre. Selon l’International Herald Tribune, le lobby israélien aux États-Unis est opposé à une suppression de l’aide militaire de 1,3 milliard de dollars (970 millions d’euros) qui "accentuerait l’instabilité en Égypte, porterait atteinte aux intérêts des États-Unis et aurait un impact négatif sur l’allié israélien". Droit dans ses bottes, le Premier ministre égyptien, Hazem al-Beblawi, a affirmé le 20 août que son pays pourrait survivre sans l’aide américaine, regrettant cependant les tensions entre deux alliés de longue date. Pour Michael Hanna, la suppression de cette aide militaire n’est pas improbable : "À court terme, il n’y a aucune chance de voir les violences diminuer. Ce qui signifie que les relations bilatérales entre l’Égypte et les États-Unis sont réellement menacées."
Manque de flexibilité des deux côtés
Même si elles venaient à se concrétiser, ces menaces à peine voilées n’inquiètent pas outre mesure Le Caire, qui peut compter sur le soutien inconditionnel de l’Arabie saoudite, du Koweït et des Émirats arabes unis, lesquels lui ont promis, au lendemain de la chute de Morsi, une aide de 12 milliards de dollars. Hostiles aux Frères musulmans, les pays du Golfe – hormis le Qatar – sont aujourd’hui les alliés indéfectibles des militaires dans leur lutte contre la confrérie. Pourtant, si l’Égypte veut éviter un scénario à l’algérienne, il lui faut à tout prix parvenir à un compromis politique. Même s’ils ont échoué par le passé, les médiateurs étrangers auraient alors un rôle à jouer, en particulier l’UE. Le 20 août, Catherine Ashton, haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères, s’est ainsi dite disposée à retourner en Égypte. "Il n’y a pas beaucoup d’acteurs extérieurs jouissant encore de la confiance des deux camps pour pouvoir jouer ce rôle de médiateur, les États-Unis étant considérés en Égypte comme trop proches des Frères musulmans", estime Koert Debeuf. En attendant, Nevine Malak reconnaît, à titre personnel, insiste-t-elle, que les deux camps ont fait montre d’intransigeance, d’obstination et d’un manque de flexibilité. "Nous nous sommes tous agrippés à des positions jusqu’au-boutistes, il n’y avait pas de terrain d’entente, et cela a fait couler le sang des innocents. Tout le monde va sortir perdant de cette bataille. Il faut trouver de toute urgence une solution politique."
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