Le précieux allié sud-africain de Kinshasa
Si une brigade d’intervention internationale est déployée à Goma, c’est grâce à Pretoria, qui a su convaincre l’ONU. Un allié précieux pour Kinshasa, isolé sur le plan diplomatique.
Il est des moments où l’on se sent bien seul. Lorsque les représentants du président Kabila ont pris place à la table des négociations, en décembre à Kampala, ils ont énuméré leurs soutiens. Et paru bien à la peine face au Rwanda, accusé de soutenir les rebelles du Mouvement du 23-Mars (M23) qui, quelques semaines plus tôt, s’étaient emparés de Goma (est de la RD Congo). Mais cela, c’était avant qu’un allié de poids entre discrètement dans le jeu : le président sud-africain, Jacob Zuma.
Auditionné par le Parlement français, le 12 juin, le représentant permanent de la France à l’ONU, Gérard Araud, a assuré que c’est Pretoria qui avait "demandé au Conseil de sécurité de créer une brigade d’intervention, avec pour mission de combattre les groupes comme le M23". Après la prise de Goma en novembre 2012, renchérit une source diplomatique à New York, "le Conseil de sécurité était divisé sur les actions à entreprendre. L’Afrique du Sud voulait agir avec une force robuste pour faire le travail".
L’intervention française au Mali, en janvier, a ajouté à la détermination sud-africaine. "Zuma et son entourage ont trouvé choquant que des Africains aient besoin d’appeler Paris à l’aide, indique une autre source à Pretoria. C’est pour cela qu’ils ont voulu prendre le problème à bras-le-corps." Bene M’Poko, l’ambassadeur congolais en Afrique du Sud, assure que celle-ci "n’a pas fait tout le travail", mais reconnaît qu’elle "a estimé qu’il fallait introduire de nouveaux parrains régionaux".
Et l’activisme de Zuma a payé. Une brigade d’intervention de plus de 3 000 hommes a été mise sur pied. Les Sud-Africains en constituent l’ossature, avec leurs alliés régionaux tanzaniens et malawites, et un mandat offensif inédit leur a été confié pour désarmer les groupes rebelles, qui ont, depuis, quitté Goma.
Cet épisode illustre l’importance grandissante de l’axe Pretoria-Kinshasa, plus précieux que jamais pour Joseph Kabila. "On ne peut pas nier qu’il a tendance à s’isoler diplomatiquement", regrette une source proche du gouvernement congolais. Si l’on excepte la Tanzanie, en froid avec le Rwanda, Kinshasa n’a plus guère de voisin sur qui compter : il voit Kigali et Kampala comme des adversaires et Bujumbura compte peu à ses yeux. Kabila n’attend rien de Denis Sassou Nguesso, à Brazzaville, et sa relation avec l’Angolais José Eduardo Dos Santos s’est beaucoup dégradée, notamment du fait de contentieux pétroliers.
>> Lire aussi : Angola, RDC et Afrique du Sudsignent un accord de coopération militaire
Une entente de longue date
La bonne entente entre la RD Congo et l’Afrique du Sud n’est pas nouvelle. Élu en 1994, peu avant la première guerre du Congo, Nelson Mandela s’était impliqué dans la résolution de la crise, officiant comme médiateur entre l’ancien président Mobutu et Laurent-Désiré Kabila, qui n’était encore qu’un chef rebelle. Thabo Mbeki, successeur de Madiba, a poursuivi dans cette voie. Quant à Jacob Zuma, affable et peu regardant sur les critères démocratiques, il s’entretient régulièrement avec Joseph Kabila.
L’actuel président sud-africain connaissait déjà bien le Congo, pour avoir été l’un des principaux médiateurs des accords de Sun City, en 2003. "À l’époque, se souvient Bene M’Poko, il était chargé des négociations bilatérales entre la RDC et le Rwanda." Sa grille de lecture d’alors, marquée par la rivalité entre Kinshasa et Kigali, a sans doute joué un rôle dans ses prises de position ultérieures. "En juin 2010, la tentative d’assassinat contre Faustin Kayumba Nyamwasa, général rwandais réfugié en Afrique du Sud, a fait basculer Zuma dans le camp de Kinshasa, analyse Paul-Simon Handy, directeur de recherche à l’Institut d’études de sécurité de Pretoria. Le gouvernement sud-africain a laissé entendre que Kigali en était responsable."
L’année suivante, Pretoria vient au secours de Kinshasa, où l’élection présidentielle est mal engagée. "Son soutien a été déterminant, concède Bene M’Poko. Les bailleurs de fonds refusaient de financer les scrutins, alors nous nous sommes tournés vers l’Afrique du Sud." Celle-ci accepte d’assurer la logistique et se charge du transport du matériel électoral. Dans la foulée, Kinshasa confie à Robert Gumede, un homme d’affaire proche du Congrès national africain (ANC, le parti au pouvoir), le contrat d’impression des bulletins de vote. Après le scrutin, la mission d’observation de l’Union européenne dénoncera de "nombreuses irrégularités et fraudes", mais Pretoria félicitera Kabila pour sa réélection.
L’Afrique du Sud sait, bien sûr, où se trouve son intérêt. Elle est le premier fournisseur de la RD Congo (avec 21,6 % de ses importations en 2012). Sa compagnie de téléphone mobile, Vodacom, domine le marché congolais, ses experts miniers sont nombreux à travailler au Katanga et une partie du cuivre de cette province transite par l’Afrique du Sud, d’où il est exporté. Quant au projet de barrages hydroélectriques de Grand Inga (articulé autour de deux centrales déjà existantes, Inga I et Inga II), il intéresse tout particulièrement Pretoria, confronté à un important déficit énergétique. Le 7 mars, l’Afrique du Sud s’est donc engagée à acquérir plus de 50 % du courant qui doit être produit par le futur barrage d’Inga III. "Le soutien des Sud-Africains nous crédibilise et devrait faciliter la récolte de fonds auprès des bailleurs, reconnaît un conseiller à la primature congolaise. Sans eux, cela aurait été très difficile." Le seul problème, regrette Claude Ibalanky, fondateur du cabinet Invest in Congo, "c’est que ces relations sont déséquilibrées. Les Sud-Africains continuent de mettre trop de barrières à l’entrée de leur propre marché".
Une mauvaise organiation de l’Afrique du Sud à Bangui
Il existe aussi des liens plus opaques entre Pretoria et Kinshasa. D’après l’agence Bloomberg, le neveu de Jacob Zuma, Khulubuse, a obtenu en 2010 des concessions pétrolières sur le lac Albert, à la frontière avec l’Ouganda. Les deux sociétés ayant acquis les permis, Caprikat et Foxwhelp, avaient été immatriculées aux îles Vierges britanniques trois mois avant la transaction, jugée défavorable aux intérêts de l’État congolais par l’ONG britannique Platform. Outre l’avocat Michael Hulley, qui avait assisté Khulubuse et est devenu, depuis, conseiller juridique de la présidence sud-africaine, l’homme d’affaires israélien Dan Gertler, très proche de Kabila, a également été cité comme un possible bénéficiaire de cette opération.
Jusqu’à récemment, on retrouvait aussi sur la Place congolaise African Rainbow Minerals, la société du milliardaire Patrice Motsepe, et SacOil, un groupe en partie détenu par la famille de Dikgang Moseneke, vice-président de la Cour constitutionnelle sud-africaine. La compagnie Dig Oil possède, elle, des participations dans des concessions pétrolières dans l’est de la RD Congo. Dirigée par Andrea Brown, une femme d’affaires proche de l’ANC, elle s’était déjà fait remarquer en se lançant dans l’exploration en Centrafrique, du temps où François Bozizé était encore au pouvoir. En janvier, alors que le président centrafricain vacillait face à la rébellion qui allait le renverser, Pretoria n’avait pas hésité à envoyer un contingent de 400 hommes pour lui prêter main-forte.
La débâcle des Sud-Africains à Bangui signifie-t-elle que la brigade d’intervention en RD Congo aura du mal à protéger Goma ? "La configuration n’a rien à voir avec celle de l’opération en Centrafrique, qui avait été précipitée et mal préparée, répond Thierry Vircoulon, directeur Afrique centrale pour International Crisis Group. En RD Congo, les Sud-Africains sont présents depuis plus d’une décennie. Ils ont une expertise." Kinshasa pourra, de toute façon, difficilement trouver meilleur rempart.
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