[Série] Ethiojazz, Bob Marley, Miriam Makeba… La playlist de l’écrivain Abdourahman Waberi

Chaque dimanche de l’été, Jeune Afrique invite écrivains et artistes à partager leurs coups de cœur musicaux. Cette semaine, le romancier franco-djiboutien Abdourahman Waberi évoque les œuvres qui l’accompagnent depuis son enfance.

Abdourahman Waberi.

Publié le 7 août 2022 Lecture : 4 minutes.

Mêlant la poésie, le conte et l’anticipation à ses récits de fiction, Abdourahman Waberi crée une œuvre hantée par les questions transfrontalières. Du Pays sans ombre (1994) au Passage des larmes (2009), de Balbala (1998) à Transit (2003) et Aux États-Unis d’Afrique (2006), le Franco-Djiboutien est l’auteur d’une dizaine de livres. Il sort, dans quelques semaines, Dis-moi pour qui j’existe (éd. Jean-Claude Lattès) le deuxième volet d’un diptyque intime adressé à sa fille et entamé avec Pourquoi tu danses quand tu marches (2019).

Celui qui enseigne les littératures françaises et francophones ainsi que la création littéraire à l’université de Washington aime aussi aborder ces sujets par la musique, qui l’accompagne depuis toujours. Elle a d’ailleurs été le cœur et le prétexte de La Divine Chanson (2015), un récit consacré au musicien africain-américain Gil Scott-Heron. De Mahmoud Ahmed à Aya Nakamura, Abdourahman Waberi nous ouvre sa discothèque.

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Jeune Afrique : Quels sont vos premiers souvenirs musicaux ?

Abdourahman Waberi : Ils viennent d’artistes somalis, de Djibouti, de Somalie, d’Éthiopie aussi. Certaines de leurs œuvres ont été revisitées et rééditées récemment par un label new-yorkais, Ostinato Records, qui a produit un album de la formation musicale officielle du diffuseur national Radiodiffusion-Télévision Djibouti (RTD).

J’ai aussi été baigné, plus tard, par la bande son soudanaise de langue arabe, très célèbre dans la région, et dans l’éthio jazz. Je me souviens des slows déchirants de Mahmoud Ahmed, qui rythmaient les soirées adolescentes. Et, pour l’anecdote, l’un de mes souvenirs de l’époque, c’était le générique radiophonique de l’ORTF, qui était un titre extrait de l’album Kar Kar, de Boubacar Traoré.

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Un album ou un morceau ayant participé à votre éveil, qu’il soit politique ou social ?

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Le morceau de la conscientisation, pour moi, c’est « Get up Stand Up ». Bob Marley a conscientisé tout le « Global South ». Il a eu un rôle d’unificateur, ferment d’un panafricanisme en action, des Haïtiens aux Djiboutiens, des Réunionnais aux Algériens. C’est le Sud qui se réveille. Cette guitare basse de Marley, c’est presque Bandung, elle est là pour appeler et rassembler. Il est à la fois une mémoire, celle d’un combat pour la dignité, et une lutte actualisée. Mais je pense aussi aux artistes de mon enfance, ceux qui habitaient derrière chez moi, dans un bidonville de Djibouti. Dans l’une de ces maisons vivait notamment Aden Farah, artiste populaire, indépendantiste. J’ai grandi durant cette période où le combat anticolonial était à ma porte.

Pour vous, auteur des États-Unis d’Afrique, Bob Marley est-il le musicien qui incarne le mieux le panafricanisme ?

Bob Marley parlait depuis son quartier, de sa réalité en Jamaïque. C’est nous qui analysons son œuvre comme étant panafricaine, entre son premier morceau, le « Rude Boy », et l’un de ses derniers, « Zimbabwe ». Il devient le monde, le Sud noir en tout cas. C’était un panafricanisme naturel. Il y a un panafricanisme plus conscient, plus volontariste, que l’on retrouve par exemple chez Miriam Makeba, avec « Pata Pata ». Je l’ai vue, adolescent, se produire à Djibouti, au Centre culturel français. Je me souviens de ses danses et de sa capacité à réveiller une salle qui n’était pas forcément attentive au départ. Elle soulevait les foules.

Plusieurs de vos œuvres abordent le thème de l’exil et du nomadisme. Quel est le morceau qui les porte ?

Je pense à Idir et au titre « A Vava Inouva ». Même quand on ne comprend pas sa langue, on ressent le déchirement, l’arrachement à la terre.

Quelle musique a accompagné votre arrivée en France ?

Étudiant en Normandie, j’ai eu ma période Léo Ferré, que j’écoutais beaucoup ainsi que les premiers titres de Renaud. Surtout, je suis fan, depuis cette époque, de Barbara, ma diva, que j’ai vue trois fois en concert.

Vos deux derniers romans, des auto-fictions, sont traversées par la maladie et la douleur. Quelles sont les chansons qui vous apaisent ?

Pour moi, un musicien qui guérit – dont j’ai parlé dans Passage des larmes –, c’est le pianiste sud-africain Ibrahim Abdullah. Il a essayé notamment d’inventer un jazz sud-africain spirituel, populaire et savant. Tout son travail de recherche est magnifique. Je me suis soigné [en écoutant] Ibrahim Abdullah.

Vous avez consacré un roman à Gil Scott-Heron, La Divine Chanson. Quelle place occupe-t-il dans votre parcours ?

Il m’a permis de montrer que le Black Atlantic de Paul Gilroy est toujours « actualisable ». Le père de Gil est un migrant jamaïcain qui ira à Chicago et sera l’un des premiers footballeurs noirs de Grande-Bretagne, une star du Celtics. Gil m’a permis de recoudre tous ces fils et de le relier, aussi, aux musiques anatoliennes. Il a été un véhicule à la Gilroy. Il faisait partie de la bande son des musiques noires de mon adolescence. Même si j’ai découvert, plus tard, les Kool and the Gang, Ray Charles, Lionel Richie ou encore Stevie Wonder… Toute la Motown que l’on écoutait en même temps qu’on regardait les films de Shaft.

Dans un contexte colonial, on se vengeait symboliquement en regardant ces films tournant autour du ghetto noir américain. Pour la première fois on voyait un Noir mettre une beigne à des Blancs. Et c’est Isaac Hayes qui a fait la bande son, que j’écoutais beaucoup à l’époque.

Un morceau de plaisir coupable ?

Paolo Conte, notamment le morceau « Via Con Me », que j’ai écouté en boucle.

Vous enseignez la littérature en faisant des liens entre cette dernière et le hip-hop, américain ou français. Quels sont les hits de votre playlist ?

Je suis très impressionné par le hip-hop old school. J’aime beaucoup Eric B. and Rakim, RZA, Wu Tang Clan, et, pour les plus récents, Kendrick Lamar. Il a la plume d’un journaliste et d’un romancier. Côté français, je suis fan d’Aya Nakamura. Elle invente une langue. J’aime aussi son côté bling-bling assumé.

Quelles sont vos dernières découvertes musicales ?

Grâce à mon ami Rocé, notamment, j’ai découvert Elom20ce. Et en discutant avec mes enfants, j’ai, pas plus tard qu’hier, découvert Tiakola et SDM.

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