Crime sans châtiment

FRANCOIS-SOUDAN_2024

Publié le 26 août 2013 Lecture : 3 minutes.

Halabja ou Timisoara ? Massacre à l’irakienne perpétré par Bachar al-Assad contre son peuple, comme hier Saddam Hussein contre les Kurdes, ou manipulation à la roumaine, ainsi que le dénoncent le régime baasiste et son protecteur russe ? Pour ceux qui, comme moi, ont déjà vu en face la mort sale, la mort jaune, la mort convulsive et finalement si propre que donne le gaz sarin, les images diffusées le 22 août par les rebelles syriens ne laissent aucune place au doute. Ces centaines d’hommes, de femmes et d’enfants dont les corps sont alignés sur la place centrale des villages de la plaine de la Ghouta, à l’est de Damas, sont bien morts de ce poison chimique asphyxiant cinq cents fois plus toxique que le cyanure. Mais à qui attribuer ce crime massif contre l’humanité ? À Bachar al-Assad, récidiviste en la matière ? Ceux qui, principalement à Moscou, défendent l’apprenti charcutier alaouite, pointent le timing incompréhensible d’une telle opération. Pourquoi maintenant, alors que les inspecteurs de l’ONU viennent à peine de déposer leurs valises au Four Seasons de la capitale syrienne ? Pourquoi maintenant, alors que l’armée, les milices et le Hezbollah reprennent du terrain aux rebelles ? Pourquoi lui, alors qu’il est désormais pratiquement avéré que ces derniers possèdent eux aussi leur bric-à-brac gazeux ? Qui ne voit pas que cette hécatombe médiatique est une providence éminemment suspecte pour la rébellion ?

Défense de rupture, aurait souri Jacques Vergès, assez curieuse en réalité puisqu’elle revient à dire d’un serial killer : "Ce coup-ci, ça n’était pas lui." Curieuse et réversible. Car on imagine encore mieux un Assad requinqué par la crise égyptienne, qui accapare les esprits et où il fraie dans le même camp pro-Sissi qu’Israël et l’Arabie saoudite, tester l’incapacité de riposte des Occidentaux en augmentant d’un cran la violence de la répression. C’est d’ailleurs ce qu’il n’a cessé de faire, avec succès, depuis le début de la guerre civile, passant de l’artillerie aux bombardements aériens, puis aux Scud, puis à l’arme chimique. La plaine de la Ghouta, où l’insurrection continue de s’accrocher en dépit des énormes moyens déployés contre elle, lui aurait donc fourni un excellent terrain d’exercice, quitte à vitrifier une partie de sa population. Et peu importe que les inspecteurs onusiens l’aient appris à l’heure du petit déjeuner. Même s’ils parviennent à se rendre sur les lieux du crime avant la dispersion des preuves, ce qui est loin d’être acquis, leur mandat ne prévoit pas de désigner des coupables, simplement de confirmer ce que chacun sait déjà : oui, des armes chimiques ont bien été utilisées.

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Si cette thèse l’emporte largement sur la première, si tous les soupçons se portent aujourd’hui sur Assad, ce n’est pas seulement parce qu’il a déjà eu recours à ce type d’armes une demi-douzaine de fois depuis six mois. C’est aussi en fonction d’un raisonnement par l’absurde. Aucun dictateur, aucune rébellion n’a jamais massacré ses propres partisans pour ensuite, dans un mécanisme d’absolue perversité, en accuser l’ennemi. Par contre, tous ont, à un moment ou à un autre, tenté d’éradiquer une partie de leurs compatriotes, considérés comme un corps étranger. En Syrie aujourd’hui, où chaque camp s’estime engagé dans la lutte finale du bien contre le mal, un nouveau cercle de l’enfer a été franchi, le mercredi 21 août, vers 3 heures du matin. En ce sens, l’Histoire retiendra qu’il y a eu un avant et un après Ghouta, comme il y eut un avant et un après Halabja, un avant et un après Srebrenica, autant de tragédies écrites par des assassins.

Plaine de la Ghouta, le 22 août. Plus de 1000 Syriens ont été tués à l'arme chimique.
Plaine de la Ghouta, le 22 août. Entre 1000 et 1500 Syriens, en majorité des femmes et enfants,
ont été tués la veille par un bombardement à l’arme chimique. © Erbin news/Nurphoto/Sipa
 

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