La liberté de la presse, une question de culture
Joachim Mbanza est directeur de « La Semaine africaine ».
Au Congo, le cadre juridique et institutionnel consacre le libre exercice des activités de presse. Mais qui dit cadre juridique dit distinction entre des pratiques admises et d’autres qui ne le sont pas, dont l’interdiction est assortie de sanctions administratives et pénales. Tout journaliste doit donc en principe être conscient que, pour être libre, l’exercice de son métier doit se faire dans le respect de la loi, pourvu que celle-ci ne soit pas liberticide ou contraignante et que les mécanismes de son évolution soient démocratiques. Or, souvent, la loi est, sinon ignorée, du moins considérée comme un obstacle à l’exercice de cette liberté. À cet égard, la société congolaise a encore du chemin à faire pour devenir réellement démocratique et dotée d’une culture admettant la liberté de la presse.
Ma petite expérience professionnelle m’incite plutôt à dire qu’on se crée des ennemis chaque fois qu’on fait usage du pouvoir critique de la presse, et qu’on se fait en revanche de bonnes relations dès qu’on publie un article favorable ou un commentaire laudatif. Un phénomène qui vient, selon moi, du niveau très élevé d’intolérance culturelle qui règne dans notre société. Et quand s’en mêlent la réalité tribale ou ethnique, le droit d’aînesse, le pouvoir de l’argent, le pouvoir tout court, le trafic d’influence, les tracasseries administratives, etc., l’exercice de la liberté de la presse devient périlleux et le quotidien du journaliste, un véritable parcours du combattant.
Les choses sont encore plus complexes quand il s’agit de politique. Ici, selon que vous critiquez ou non telle ou telle décision, on vous colle une "étiquette". Une réaction qui s’explique aussi par le peu de professionnalisme dont les acteurs des médias font eux-mêmes preuve. C’est pourquoi il me paraît important que le journaliste soit conscient de sa responsabilité sociétale. La formation est donc un paramètre incontournable. Pour exercer le métier de journaliste, il faut en avoir appris les bases et les principes, connaître le média dans lequel on travaille… Les sociologues ont classé les médias en deux catégories, chauds et froids, en fonction de leur impact sur la société. Évidemment, le rythme qu’on peut avoir en presse écrite ne doit et ne peut pas être exactement le même que dans l’audiovisuel – la radio et la télévision n’ayant pas le même effet ni la même influence sur la population que la presse écrite.
>> Lire aussi : Liberté de la presse : les dix lieux les plus dangereux de la planète, selon RSF
L’enjeu du travail journalistique est énorme dans la vie d’une société démocratique. La presse est, dit-on, le quatrième pouvoir après l’exécutif, le législatif et le judiciaire. Dès lors, les journalistes doivent être conscients de leurs responsabilités. Ils peuvent abuser de ce pouvoir, mal l’exercer ou l’aliéner. Ils peuvent diviser la société, créer des situations de violence, remettre en question l’unité nationale, ruiner des carrières, provoquer des crashs bancaires, exacerber des maux ou des conflits sociaux… Ils peuvent aussi renforcer l’unité nationale, participer à la consolidation de la paix, accroître la tolérance démocratique, élever le niveau de connaissances dans la société, sensibiliser celle-ci au pluralisme politique, médiatique, d’opinion, et aux principes démocratiques.
Le journaliste joue à la fois un rôle d’arbitre, d’éducateur et d’éclaireur. Il favorise le dialogue par le débat, qui est un véritable régulateur des tensions politiques et sociales. Et c’est le débat qui, entre autres, empêche ces tensions de dégénérer en violences ou, pire, en conflits armés.
Le Congo est l’un des pays du continent qui ont pris conscience de l’importance de la liberté de la presse. C’est une avancée politique majeure, qui va dans le sens du progrès démocratique. Mais le chemin est encore long et l’exercice de cette liberté est encore entravé par la faiblesse de la culture démocratique : certains la revendiquent mais l’exercent mal, quand d’autres s’en méfient comme d’une menace dans la pratique des responsabilités publiques.
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