Tunisie : les électeurs appelés à se prononcer pour une nouvelle Constitution
Neuf millions de Tunisiens sont appelés aux urnes ce 25 juillet. Ils doivent approuver, ou rejeter, le projet de nouvelle Constitution qui consacre un pouvoir ultra-présidentiel et fait craindre un retour de l’autocratie.
Ce 25 juillet est ordinairement le jour de la commémoration de l’avènement de la République, en 1957. Mais aujourd’hui, en guise de festivités, les Tunisiens doivent se prononcer sur un virage important de leur vie politique, économique et sociale en répondant par oui ou non à la question : « Approuvez-vous le projet de la nouvelle Constitution de la République tunisienne ? »
À la terrasse d’un café du quartier d’El Menzah 1, juste en face du bureau de vote local, Ahmed, webmanager, cache sa main droite : « Je n’ai pas voté et je ne le ferai pas. Mais je risque d’être trahi par mon index qui ne porte aucune trace d’encre bleue – signe qu’on a voté. Je ne veux surtout pas de disputes avec mes amis. » Car s’il fallait retenir quelque chose de cette campagne référendaire assez chaotique et bien peu respectueuse des règles d’équité électorale, ce sont les clivages et les échanges tendus entre les soutiens à la nouvelle Constitution et ses opposants.
« La constitution est un prétexte : aujourd’hui, on valide une confiance à Kaïs Saïed qui a décidé seul depuis un an du devenir du pays. Certains estiment qu’il mérite un plébiscite…», assure Jaafar. Il a finalement décidé de boycotter les urnes.
« Éliminer la racaille politique »
« Le président, à qui ce texte confère tous les pouvoirs, n’a pas respecté le silence électoral et s’est adressé sans complexe à la population après avoir voté à l’ouverture des bureaux de vote. Il fait comme ça l’arrange : c’est peut-être un détail mais j’ai réalisé que désormais nous n’avons plus aucun recours contre ses dépassements. »
De son côté, Wassila, une septuagénaire accompagnée de sa fille, chante les louanges de Kaïs Saïed « qui a éloigné les islamistes et mis la Tunisie sur le chemin du bien ». Un mantra répété par les soutiens du président et qui souligne le malentendu qu’il a laissé s’installer : loin d’être en désaccord idéologique avec le parti islamiste, le président vise surtout son leader Rached Ghannouchi, à qui il n’a pas pardonné ses airs de président bis, lorsqu’il était à la tête de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP).
Comme beaucoup de ses compatriotes, Wassila n’a pas vraiment étudié le contenu de la Constitution mais elle voue une admiration sans bornes au président. « Saïed a éliminé la racaille politique, il ne peut nous vouloir que du bien, il est après tout de la génération des fils de Bourguiba, de ces hommes instruits et compétents », assure-t-elle. La fille de Wassila la houspille : il faut rentrer, elle-même veut encore réfléchir et peut-être, revenir plus tard. La chaleur à 11h30 est à peine supportable – le thermomètre indique déjà 38°C – et l’asphalte semble fondre comme du plastique.
Victoire de l’abstention ?
Les rues et les bureaux de vote se vident. Tunis somnole déjà en ce jour férié. L’Instance indépendante supérieure des élections (Isie) assure qu’un taux de participation de 6,32 % a été enregistré à 9h30 sur les 11 236 bureaux de vote ouverts de 6 heures du matin à 22 heures en présence de 5 678 observateurs locaux et 174 étrangers.
Farouk Bouasker, président de l’Instance assure que c’est mieux qu’aux législatives de 2019 en omettant de dire que pour ce scrutin là, les bureaux avaient ouvert à 8 heures. « Ceux qui sont décidés à voter prennent en compte la chaleur. Nous nous attendons à un afflux après 18h30 », assure un membre du réseau Mourakiboune [réseau citoyen d’observation des élections, ndlr]. Du côté des instituts de sondages, qui n’ont pas encore le droit de diffuser des estimations, il ne fait aucun doute que l’abstention sera le grand vainqueur du scrutin.
« Le boycott est une prise de position politique et non une approbation non exprimée. Il signifie au contraire un rejet total du projet du président », veut croire une militante du « mouvement contre le coup d’État ». « C’est le mouvement de ceux qui ont montré leur désapprobation et qui sont partis à la plage qui l’emporte », renchérit Manel, une étudiante prise à parti par la police pendant la manifestation anti-Saïed du 27 juillet et qui parle d’une « majorité silencieuse ».
« Nous avons bien compris que Kaïs Saïed est au-dessus des lois, il ne cherche même pas à sauver les apparences », poursuit la jeune femme, référence à la prise de parole du président à sa sortie de son bureau de vote au mépris du silence électoral et aux affiches géantes à son effigie qui ornent les murs de centres urbains depuis dimanche soir.
« C’est vraiment paradoxal. Il y a quelques années, Kaïs Saïed défendait l’idée selon laquelle les référendums dans les pays arabes menaient à la dictature. Cherche-t-il à tester sa théorie in vivo ? » s’interroge le compagnon de Manel. Pour lui, les jeux sont faits : « La Tunisie passe sous un joug autoritaire, voire dictatorial. » Il craint par-dessus tout le bourrage d’urnes en raison d’un nombre insuffisant d’observateurs.
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