L’été déchaîné de Manuel Valls

Pas de repos pour le ministre de l’Intérieur français, Manuel Valls. Multipliant interviews, discours et visites sur le terrain, il est omniprésent dans les médias. Une stratégie payante.

Manuel Valls était dans les Landes le 1er août, à la rencontre des CRS surveillant les plages. © Dupuy Florent/Sipa

Manuel Valls était dans les Landes le 1er août, à la rencontre des CRS surveillant les plages. © Dupuy Florent/Sipa

ProfilAuteur_AlainFaujas

Publié le 13 août 2013 Lecture : 6 minutes.

La nouvelle est tombée au coeur de l’été, dans les pages de l’hebdomadaire français Marianne daté du 3 au 9 août : "Si Manuel Valls se présentait contre lui, Nicolas Sarkozy perdrait la présidentielle." À en croire le sondage Harris Interactive réalisé du 17 au 19 juillet, 49 % des Français préféreraient voir à l’Élysée le ministre de l’Intérieur que l’ancien président, quand 44 % seraient plutôt favorables à un retour de ce dernier. Manifestement, Manuel Valls – le membre du gouvernement préféré des Français, selon les médias – mord sur l’électorat gaulliste et de centre droit, ainsi que sur la frange la plus âgée.

Une douce musique pour celui que ses ennemis dans son propre camp surnomment le Sarko de gauche et qui n’avait obtenu que 5,6 % des suffrages lors de la primaire organisée fin 2011 par le Parti socialiste (PS) pour désigner son candidat à la présidentielle. Car cette preuve incontestable de popularité confirme qu’il a fait les bons choix et surtout que sa stratégie d’occupation de la scène médiatique depuis le début de l’été est payante.

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Il faut dire qu’on l’a vu partout. Alors que le gouvernement auquel il appartient est amorphe et que le chef de l’État enchaîne les records d’impopularité dans les sondages, Manuel Valls est en pleine forme sur les photos qui le montrent bravache dans une manade camarguaise, sévère dans les rues de Trappes au lendemain de la prise d’assaut du commissariat de police, affable aux côtés des responsables du Conseil français du culte musulman à l’occasion de la rupture du jeûne, sensible à Brétigny-sur-Orge après la catastrophe ferroviaire du 12 juillet. Rien n’échappe à sa vigilance et à ses conseils – pas même les baigneurs ou les montagnards imprudents.


En Camargue, le 13 juillet. © Alain Robert/Apercu/Sipa

La tête de Turc de l’UMP

Ses coups de gueule ne sont pas toujours d’une formidable efficacité, comme en Corse ou à Marseille où on continue à s’entretuer en dépit de ses injonctions. Mais sa voix est la plus audible du gouvernement… avec celle de son adversaire de toujours, Arnaud Montebourg. Et le ministre de l’Intérieur n’a pas à assumer le fardeau du chômage en hausse et du pouvoir d’achat en berne, qui plombe l’exécutif.

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Alors, qu’importe – voire tant mieux – si les ténors de l’Union pour un mouvement populaire (UMP, le parti de Nicolas Sarkozy) le choisissent comme tête de Turc. Tant mieux si Brice Hortefeux, l’un de ses prédécesseurs, estime qu’il "reste le ministre de l’Intérieur le plus mauvais de ces treize dernières années". Si Christian Estrosi juge que "son discours est le copier-coller de celui de Nicolas Sarkozy". Si Nadine Morano le qualifie de "ministre du bluff" et Éric Woerth de "fort dans la parole, faible dans les actes". Autant d’hommages rendus à son omniprésence et à sa dangerosité pour la droite.

Il est vrai que Nicolas Sarkozy et Manuel Valls ont des points communs. Comme l’ancien président, le ministre socialiste est jugé courageux (par 66 % des personnes interrogées par l’Ifop pour le Journal du dimanche du 28 juillet) et doté d’autorité (64 %). Comme Sarkozy en 2007, il a affiché sa virilité en allant au contact des taureaux camarguais – marquant même un veau au fer rouge. Comme l’ancien président, il adore chasser sur les terres où prospère le Front national et se pose en défenseur des Français.

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À Paris, le 2 août, pour évoquer la sécurité sur les lieux touristiques. © François Mori/AP/SIPA

"La sécurité précède le progrès"

Il ne fait aucun doute que le "premier flic de France" sera un jour candidat à l’Élysée, lui qui a déclaré : "J’ai toujours pensé que j’avais la capacité d’assumer les plus hautes responsabilités de mon pays." De son copain Stéphane Fouks, patron de Havas Worldwide et conseiller de Lionel Jospin et de Dominique Strauss-Kahn, il a appris l’art de composer un personnage qui lui corresponde tout en répondant aux attentes d’une majorité d’électeurs.

Cet été, il a donc surjoué l’autorité pour en finir avec "le cliché de la droite répressive et de la gauche laxiste", s’en prenant aux casseurs qui ont eu un comportement "inacceptable" à Trappes. "Il faut restaurer pleinement l’autorité", a-t-il affirmé, et pas seulement dans cette ville des Yvelines, car "la voix des parents, de l’enseignant, du juge, du policier, de l’élu est trop souvent contestée". Jour après jour, le ministre a répété que "la sécurité n’est ni de droite ni de gauche. C’est une valeur de la République".

Le franc-maçon qu’il a été ne transige pas dans ce domaine. Pas plus que Clemenceau – dont le portrait trône dans son bureau -, qui affirmait que "la sécurité précède le progrès" et réprimait brutalement les grèves ouvrières. Pour Manuel Valls, il ne fait aucun doute que "notre société a besoin de règles, d’interdits" et que les couches populaires sont les plus menacées par la délinquance, qui risque de les pousser dans les bras des extrémistes de tous bords.


Avec l’imam d’Ozoir-la-Ferrière pour la rupture du jeûne de ramadan, le 1er août.
© Aurélien Meunier/Sipa

Un réformisme assumé

Mais il rééquilibre ses vigoureuses prises de position qui apparaissent très "droitières" aux yeux de ses camarades socialistes. Oui, le contrôle d’identité d’une femme en burqa est "indispensable", mais il doit être mené de façon respectueuse. Oui, il fera évacuer les camps illégaux de Roms, parce qu’il n’est "pas acceptable que des personnes s’installent illicitement sur la propriété d’autrui", mais il faut faire en sorte qu’ils trouvent des aires d’accueil. Et pour prouver qu’il ne cible aucun groupe, le ministre condamne aussi bien les excités des manifestations contre le mariage pour tous ou les syndicalistes casseurs de préfecture que les "voyous" des cités.

Le 13 juillet, Manuel Valls a gravi une nouvelle marche en se posant en meilleur porte-parole d’un François Hollande qui hésite toujours à prendre des positions tranchées. Car le ministre de l’Intérieur a délivré en Camargue un véritable discours de politique générale afin de répondre à la question qu’il avait lui-même posée : "Qu’est-ce que le hollandisme ?"

La méthode "hollandaise" (ou "vallsaise") ? "C’est celle d’un réformisme assumé et non plus honteux. Un réformisme qui a fait le choix d’affronter les problèmes plutôt que de raser les murs." Il s’est aventuré sur le terrain économique : "Le sérieux budgétaire n’a rien à voir avec l’austérité. Je veux le dire à mes amis de gauche qui doutent." Il a défendu l’Europe, qui n’a pas toujours bonne presse au PS : "Je suis un Européen convaincu et je ne comprends pas ceux qui, notamment à gauche, font de l’Europe la raison de tous leurs problèmes."

Un vrai discours de présiden­tiable, mais qui ne vise pas à faire de l’ombre au chef de l’État – auquel Manuel Valls "souhaite" d’effectuer deux mandats. L’objectif est plutôt de prendre l’ascendant sur ses camarades avant l’université d’été du PS, qui aura lieu à La Rochelle du 23 au 25 août. Et notamment sur Arnaud Montebourg. Pour l’instant, Valls domine largement l’autre trublion du gouvernement : selon l’Ifop, 66 % des sympathisants de gauche le préfèrent au ministre du Redressement productif.

Toutefois, il est confronté à un problème que n’a pu surmonter l’ex-Premier ministre Michel Rocard, l’un de ses mentors : il est plus populaire dans l’opinion que dans son propre parti. Valls a tout fait, ces dernières semaines, pour que l’une influence l’autre. Mais il lui faudra sans doute d’autres étés comme celui-ci pour y parvenir.

>> Lire aussi : Manuel Valls : "Il faut combattre la violence qui s’exerce au nom d’un islam radical et dévoyé" 

Valls, l’Islam et la République : Extraits d’une interview publiée dans le quotidien Le Parisien du 20 juillet.

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