Le pape François déplace des montagnes
Refusant de s’installer dans ses luxueux appartements de fonction, prêchant la tolérance vis-à-vis des homosexuels, le nouveau pape, François, bouscule les habitudes. Sur la forme comme sur le fond : il cherche à réformer le Vatican.
"L’Église ne doit pas avoir peur de changer ses vieilles structures", affirmait le pape François dans l’une de ses homélies, le mois dernier. Le résumé, en une phrase, de la ligne directrice qu’il entend donner à son pontificat – au sens matériel, dans le fonctionnement de la curie, comme au sens spirituel. Arrivé sur le trône de Pierre en mars, le nouveau souverain pontife a entrepris, au terme de plusieurs mois de réflexion, de grandes réformes.
Gouverner pour l’exemple
Celle de la curie romaine était attendue, après le scandale Vatileaks (la fuite, en mai 2012, de documents révélant l’existence d’un large réseau de corruption au Vatican). Favorable à la collégialité, François a chargé une commission consultative de huit cardinaux de réfléchir sur ce sujet. Point important : aucun de ses membres (parmi lesquels figure un Africain, le Congolais Laurent Monsengwo Pasinya) n’est issu de la curie. Leur réunion à Rome avec le souverain pontife, qui se tiendra du 1er au 3 octobre prochain, marquera certainement une nouvelle étape. "Il prépare la réforme de la curie romaine avec détermination, en consultant beaucoup, souligne le père Éric Jacquinet, responsable de la section jeunes du Conseil pontifical pour les laïcs, à Rome, et coorganisateur des Journées mondiales de la jeunesse (JMJ). Son entourage est marqué par sa capacité de travail et par sa grande écoute. Il veut gouverner par l’exemple." Et avec une main de fer dans un gant de velours, selon bon nombre de vaticanistes.
En s’appuyant sur le texte de "Constitution dogmatique de l’Église" Lumen Gentium, issu du concile Vatican II, le pape prône aussi, de manière plus insistante que tous ses prédécesseurs, la décentralisation des structures de l’Église. Lui qui aime à se présenter d’abord comme l’évêque de Rome, plutôt que comme le pasteur suprême de l’Église catholique, souhaite que les différents épiscopats du monde participent davantage aux prises de décision.
La pauvreté comme mode de vie
Fortement imprégné de la spiritualité franciscaine, le premier pape jésuite de l’Histoire incite fidèles, prêtres, évêques et cardinaux, sans distinction, à vivre en cohérence avec le message de l’Évangile, dans la pauvreté et l’humilité. Avec lui, les deniers de l’Église semblent entre de bonnes mains. Lorsqu’il est arrivé au début des années 1990 à Córdoba, en Argentine, les finances de la communauté jésuite locale étaient dans un piteux état. Lorsqu’il en est reparti, moins de deux ans plus tard, celle-ci n’avait plus un peso de dette.
Estimant que le clergé doit montrer l’exemple, François ne le ménage pas. "J’ai mal quand je vois un prêtre dans une belle voiture", avait-il ainsi lancé lors d’une réunion, à Rome, avec les nonces apostoliques du monde entier. Lorsqu’il était archevêque de Buenos Aires, Jorge Mario Bergoglio avait l’habitude de raccommoder lui-même ses vêtements et de se faire la cuisine. Sa nouvelle charge à la tête de l’Église lui a conféré des privilèges qu’il est difficile de rejeter. Il a cependant choisi de ne pas occuper les appartements pontificaux et de rester à la résidence Sainte-Marthe, l’hôtellerie du Vatican, pour, a-t-il expliqué, ne pas vivre isolé.
En venant aux JMJ à Rio de Janeiro, fin juillet, il déclarait : "Je n’ai ni or ni argent, mais je vous apporte ce qui m’a été donné de plus précieux : Jésus Christ." À peine élu pape, il a d’ailleurs troqué l’anneau en or que portaient ses prédécesseurs contre de l’argent doré. Même chose pour ses mocassins, noirs et non rouges. Enfin, au Brésil, François portait lui-même une mallette noire dont il a détaillé le contenu aux journalistes : son agenda, un livre de sainte Thérèse, un rasoir. Pour lui, il est "normal" de voyager avec sa valise, même pour un pape.
Qualifiant l’Église de "pauvre parmi les pauvres", le souverain pontife souhaite plus de transparence et de respect des lois au Vatican, pour rompre avec les scandales financiers qui ont entaché la réputation de l’Institut pour les oeuvres de religion (IOR, la banque vaticane), dont il a obtenu la démission du directeur général, Paolo Cipriani, et du directeur général adjoint, Massimo Tulli. L’arrestation, le 28 juin, de Nunzio Scarano, l’ex-chef de la comptabilité de l’Administration du patrimoine du siège apostolique (Apsa, l’agence qui gère le patrimoine du Vatican), soupçonné d’avoir servi d’intermédiaire pour des virements suspects en provenance de Monaco à travers l’IOR, a défrayé la chronique. Deux jours plus tôt, le pape avait créé une commission spéciale d’enquête pour s’assurer que les activités de la banque, très présente dans le domaine caritatif, soient en harmonie avec la mission de l’Église. "Je ne sais pas ce que va devenir l’IOR. Certains disent qu’il faudrait peut-être que ce soit une banque, d’autres que ce soit un fonds d’aide, et d’autres veulent le fermer. J’ai confiance dans le travail […] de la commission", a-t-il déclaré à la presse.
Un charisme adapté à la jeunesse
Tout en insistant sur le fait que "si certains font scandale, il y a aussi beaucoup de saints à la curie", le pape a renforcé les sanctions contre la pédophilie, la corruption et le blanchiment d’argent, dans un motu proprio du 11 juillet, poursuivant ainsi la réforme du code pénal initiée par Benoît XVI et mettant en adéquation les lois du Saint-Siège avec les conventions internationales.
Âgé de 76 ans, François est un pape imprévisible, tant en matière de protocole – qu’il n’affectionne guère – que dans ses discours, qu’il s’entête à prononcer sans les corrections de la secrétairerie d’État (le "gouvernement" du Vatican). Sans céder au sensationnalisme, il apparaît spontané, simple et chaleureux, comme au cours des JMJ, qui ont réuni jusqu’à 3,7 millions de jeunes à Rio de Janeiro. "Lors de ces JMJ, le nouveau pape s’est dévoilé. Sa proximité avec les gens a touché le coeur des jeunes, explique le père Jacquinet. Son discours est tout aussi profond que celui de Benoît XVI, mais plus simple. Son charisme est très adapté à la jeunesse."
Prônant l’humilité, il préfère de simples mocassins noirs aux souliers
rouges de ses prédecesseurs. © Luca Zennaro/AP/Sipa
La tolérance, pour les gays comme pour les enfants nés hors-mariage
Durant le vol de retour, François est venu parler avec les journalistes dans l’avion, de façon imprévue. Il a répondu à toutes les questions, du rôle des femmes dans l’Église à la situation des divorcés remariés. Une rupture avec les habitudes de Benoît XVI, qui préférait préparer ses réponses à l’avance. "Si une personne est gay et qu’elle cherche le Seigneur avec bonne volonté, qui suis-je pour la juger ? Le catéchisme de l’Église catholique dit très bien qu’on ne doit pas marginaliser les homosexuels. Ils sont nos frères. Le problème n’est pas d’avoir cette tendance, c’est de faire du lobbying", a-t-il lancé au cours de cet échange.
Une prise de position qui a suscité de nombreux commentaires dans la presse, poussant Mgr Timothy Dolan, archevêque de New York, à tempérer : "Le pape François serait le premier à dire : "Ma mission n’est pas de changer l’enseignement de l’Église, mais de le présenter le plus clairement possible."" À l’inverse de ce que beaucoup annonçaient, François n’entend donc pas modifier la doctrine, seulement l’aménager sur la forme. Soucieux d’offrir l’image d’une Église qui ne soit plus enfermée dans des codes rigides, il prône l’accueil des personnes dans leur diversité. Lorsqu’il était archevêque de Buenos Aires, il reprochait ainsi aux prêtres refusant le baptême aux enfants nés hors mariage de laisser les plus fragiles aux portes des églises.
À l’instar de ses prédécesseurs – il ne manque d’ailleurs jamais d’évoquer Jean-Paul II et Benoît XVI et de s’appuyer sur leurs écrits -, François dénonce aussi la pensée économique capitaliste, qui favorise l’exclusion et met à l’écart ceux qui ne sont plus utiles à la société, les personnes âgées, les handicapés, les plus faibles.
Celui que l’on surnomme le pape des pauvres ne perd donc pas une minute depuis son élection sur le trône de Pierre, afin de marquer son empreinte. Au Brésil, il a déjà laissé une trace bien visible de son passage : sur l’immense terrain qui, rendu impraticable par la pluie, n’a pas pu accueillir les jeunes des JMJ pour la veillée de prière et la messe d’envoi, des logements seront construits par la municipalité de Rio de Janeiro pour 20 000 pauvres, à l’initiative de l’Église.
>> Lire aussi : Al-Azhar tente de renouer le dialogue avec le Vatican
Une main tendue aux musulmans
À peine rentré du Brésil, renonçant aux traditionnelles vacances papales à Castel Gandolfo, François a adressé le 2 août un message personnel "aux musulmans partout dans le monde", à l’occasion de l’Aïd el-Fitr, qui marque la fin du ramadan. Les appelant "chers amis", il les invite à réfléchir à "la promotion du respect mutuel à travers l’éducation" et exhorte les deux religions monothéistes à "éviter la critique injustifiée ou diffamatoire" de l’autre. Le pape a également appelé à ne pas traiter les chrétiens en citoyens de seconde zone et à ne pas les expulser de leur terre d’origine, notamment au Moyen-Orient. D’ordinaire, c’est le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux qui adresse ce message annuel. Cette fois, François a tenu à imiter Jean-Paul II, qui l’avait fait en personne en 1991. Le 8 juillet, il avait déjà salué les musulmans qui entamaient le ramadan, lors de sa venue sur la petite île italienne de Lampedusa, au large des côtes tunisiennes, afin de rencontrer des migrants venus d’Afrique. Honorant la mémoire de ceux qui avaient perdu la vie en Méditerranée, il avait reproché au monde occidental son "indifférence" face à leur sort. "Nous avons perdu le sens de la responsabilité fraternelle", avait-il déploré. "Que Lampedusa soit un phare pour le monde entier et que nous ayons le courage d’accueillir ceux qui cherchent une vie meilleure." En avril, lors de la messe du Jeudi saint, le pape avait lavé les pieds de douze détenus, dont une jeune Serbe musulmane.
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