Pourquoi les islamistes algériens ont la foi

Malgré les difficultés que connaissent leurs homologues tunisiens et égyptiens, les islamistes algériens baignent dans l’optimisme et préparent sereinement l’élection présidentielle d’avril 2014.

En Aglérie, le courant fondamentaliste a aujourd’hui le vent en poupe. © Fayez nureldine/Afp

En Aglérie, le courant fondamentaliste a aujourd’hui le vent en poupe. © Fayez nureldine/Afp

Publié le 26 août 2013 Lecture : 5 minutes.

Épargnée par les vents révolutionnaires du Printemps arabe, l’Algérie est souvent qualifiée par les commentateurs d’exception régionale : un système de gouvernance atypique, un parcours chaotique, une expérience démocratique avortée, avec les conséquences dramatiques que l’on sait, une population plus prompte à l’émeute et à la jacquerie qu’à la contestation organisée… À ces particularités qui la distinguent de ses voisins orientaux (Tunisie, Libye, Égypte) et occidental (Maroc) s’ajoute une autre différence révélée par les événements qui secouent son environnement régional : la situation des islamistes. Au moment où les Frères musulmans sont fortement contestés en Tunisie, déstabilisés au Maroc, objet de violences meurtrières en Libye et écartés du pouvoir en Égypte, les islamistes algériens – en dehors d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), assiégée dans les maquis de Kabylie et des Aurès – ont le vent en poupe.

Il n’est pas dit que la prochaine échéance électorale – la présidentielle d’avril 2014 – leur soit promise, mais face à une classe politique atone, engluée dans les dissidences internes et les problèmes de succession, un pouvoir baignant dans une ambiance de fin de règne et une opinion écrasée par la canicule et l’érosion du pouvoir d’achat, les partis fondamentalistes occupent, seuls, le terrain. "Le plus inquiétant dans cette affaire, déplore Me Miloud Brahimi, ancien président de la Ligue des droits de l’homme, c’est qu’ils passent pour être l’unique alternative possible au pouvoir actuel." Un scénario que nul n’aurait envisagé il y a quelques mois après la déroute des islamistes aux législatives de mai 2012. Une claque mémorable qui a fait passer les fondamentalistes du statut de deuxième force politique du pays à celui de minorité "quasi symbolique" dans les deux chambres du Parlement. Comment ont-ils réussi à inverser la tendance ?

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Une atomisation du courant islamiste

Hormis à la fin des années 1980, avec la malheureuse expérience du Front islamique du salut (FIS), l’islamisme politique en Algérie n’a jamais réussi à fédérer l’ensemble de ses forces sous une seule bannière. La faute, sans doute, à une question de leadership qui, au fil des années, a atomisé ce courant idéologique et éclaté sa représentation en une dizaine de formations et une multitude de micropartis. La matrice de ce courant idéologique est l’organisation transnationale des Frères musulmans. Fondée par feu Mahfoud Nahnah en 1990, sa principale vitrine politique, le Hamas, s’est transformée en 1996 en Mouvement de la société pour la paix (MSP) après que la révision de la Constitution eut interdit les partis se revendiquant de la religion. Depuis, le MSP a donné naissance à plusieurs formations créées par des dissidents qui contestaient le choix de Nahnah de s’allier au pouvoir contre quelques strapontins gouvernementaux au lieu d’inscrire son action dans l’opposition.

Le décès de Nahnah, en 2003, ne bouleverse pas la donne, puisque son successeur, Bouguerra Soltani, adopte la même stratégie. Il ira même plus loin en rejoignant les deux grands partis du courant nationaliste, le Front de libération nationale (FLN) et le Rassemblement national démocratique (RND), au sein de l’Alliance présidentielle. Cette stratégie, si elle permet aux Frères musulmans d’être associés à l’exécutif, exclut toute candidature du parti aux présidentielles de 2004 et de 2009. À ces deux scrutins, le courant islamiste présente des candidats sans grande envergure qui peinent à atteindre 3 % des suffrages. En signe de protestation contre la ligne de Soltani, des cadres du MSP claquent la porte pour créer leur propre parti, accentuant ainsi l’atomisation du courant islamiste.

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Un coup de jeune pour les Frères musulmans

En 2011 intervient le Printemps arabe, puis les succès électoraux des Frères musulmans en Tunisie, au Maroc et en Égypte. Sentant son heure arriver, Bouguerra Soltani décide de quitter l’Alliance présidentielle et demande aux ministres affiliés au MSP de démissionner du gouvernement. Premier couac : sur les quatre Frères ministres, deux refusent de se démettre, préférant la loyauté à Bouteflika à la discipline partisane. Pis : le plus charismatique des deux, Amar Ghoul, ministre des Travaux publics, sans doute le membre de l’exécutif le plus populaire pour avoir mené à terme le chantier du siècle (l’autoroute est-ouest), quitte le MSP, crée un nouveau parti et draine avec lui plusieurs dizaines d’élus locaux et nationaux du MSP. Le coup est rude, mais Soltani maintient le cap. La bérézina subie aux législatives finit par l’emporter. Une année après le scrutin, il est remercié par le congrès du MSP qui élit à sa tête Abderrezak Mokri, réputé pour sa constante opposition à la stratégie "participationniste" de son prédécesseur. Mokri, universitaire de 53 ans formé aux États-Unis, donne un coup de jeune aux Frères musulmans. D’emblée, il annonce la couleur : l’action du MSP s’inscrit désormais dans l’opposition. Et affiche ses ambitions : remporter la présidentielle de 2014 pour assurer l’alternance politique et le changement pacifique.

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Pour réussir ce pari, Mokri ne compte pas sur le seul courant islamiste. "Même si d’un point de vue arithmétique nous pouvons gagner sans les autres, affirme-t-il plein d’assurance, la nature du système en place et la conjoncture régionale nous imposent de dépasser les clivages idéologiques pour parvenir à une plateforme électorale commune." Depuis son intronisation à la tête du MSP, Mokri multiplie les rencontres avec les partis de toutes obédiences. Il répond à toutes les sollicitations de débat, et ne ménage pas sa peine, si bien qu’il est devenu l’épouvantail de la présidentielle. Reste à savoir si le système peut envisager l’arrivée d’un Frère à El-Mouradia. L’absence de relève au sein du courant nationaliste, qui gouverne depuis plus d’un demi-siècle, et l’impatience de l’armée et des services de renseignements (rouages clés du système) face aux atermoiements des partis pourraient conduire le pouvoir à se laisser séduire par la nouvelle étoile montante des Frères. Mais, contrairement à ce qu’affirme Mokri, l’actualité régionale, notamment les déboires d’Ennahdha en Tunisie et de Mohamed Morsi en Égypte, aura une incidence directe sur la présidentielle d’avril 2014. Car si en Tunisie et en Égypte on redoute un "scénario à l’algérienne", en Algérie, opinion, pouvoir et classe politique ne veulent pas d’une évolution à la tunisienne ou à l’égyptienne.

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