Isabel dos Santos est riche, mais elle se soigne
Classée première femme milliardaire africaine par Forbes, l’Angolaise Isabel dos Santos est désormais contrainte de sortir de l’ombre. Cependant, elle a bien l’intention de maîtriser son entrée en scène.
Opulence et démesure, voyage au coeur de la planète fric
Elle est belle, fortunée et intelligente… Isabel dos Santos, 40 ans, semble vivre un parfait conte de fées. Apparemment, tout lui réussit. Dans les affaires comme dans la vie privée. Côté business, elle détient un gros portefeuille d’actions dans les télécoms (Unitel, premier opérateur d’Angola, et Zon, deuxième opérateur du Portugal) et la finance (Banco Internacional de Crédito, BIC, quatrième banque angolaise, et la Banque portugaise d’investissement, BPI, quatrième banque du Portugal). Côté famille, elle est mariée au collectionneur d’art congolais Sindika Dokolo – l’un des fils de l’ex-banquier kinois Augustin Dokolo -, avec qui elle a eu trois enfants. À la différence de sa demi-soeur, Tchizé dos Santos, elle évite la jet-set et la presse people. Elle n’imite pas non plus son demi-frère, José Filomeno dos Santos, qui se pique de politique. La « princesse », comme la surnomment les Angolais, est discrète et travailleuse. Pas d’interviews, très peu d’apparitions publiques… Comme son père José Eduardo dos Santos, le chef de l’État angolais, elle suit le fameux adage « pour vivre heureux, vivons cachés ».
Le problème, c’est que, depuis cette année, Isabel est sous les projecteurs du monde entier. En janvier, le magazine américain Forbes l’a désignée comme la femme la plus riche du continent, et même comme la toute première femme milliardaire africaine, en dollars. Fini l’époque où elle voyageait incognito entre Luanda et Lisbonne dans un avion de ligne vêtue d’un jean déchiré et d’un tee-shirt. À ses côtés, la nounou de ses enfants paraissait plus élégante ! Aujourd’hui, l’executive woman porte des tailleurs et voyage en jet privé. Le 29 mai, c’est à bord d’un Embraer Legacy 600 qu’elle s’est rendue à Marrakech pour assister, avec plusieurs dirigeants d’Unitel, à la 48e assemblée générale de la Banque africaine de développement (BAD). La jeune femme doit assumer sa position, et donc se dévoiler un peu. Elle commence à participer à des séminaires économiques, tel le New York Forum Africa qui s’est tenu du 14 au 16 juin à Libreville. Et surtout, petit événement, elle a accordé fin mars sa toute première interview au Financial Times (FT) de Londres.
>> Lire aussi : Angola : la famille Dos Santos poursuit sa quête de pouvoir
Isabel dos Santos : la petite fille aux oeufs
Outre le message central de cette interview (« Je ne fais pas de politique, je fais du business »), tous les médias de Luanda ont retenu cette phrase : « Depuis que je suis toute petite, j’ai le sens des affaires ; à 6 ans, je vendais des oeufs. » Évidemment, la presse angolaise s’en est donné à coeur joie. La princesse est devenue menina dos ovos, « la petite fille aux oeufs »… Mais la partie la plus intéressante de l’entretien est ailleurs. Comme tous les enfants de chefs d’État, Isabel veut prouver qu’elle peut réussir sans l’aide de papa. Alors elle louvoie. D’un côté, elle reconnaît le rôle de son père. « Quoi qu’il fasse, il est là, presque comme un nuage au-dessus de moi », déclare-t-elle en passant une main au-dessus de sa tête. De l’autre, elle n’assume pas totalement. Quand le FT l’interroge sur ses relations avec le général Leopoldino Fragoso do Nascimento, elle esquive à deux reprises.
Qui est ce général, que les Angolais appellent « Dino » ? L’un des trois hommes à qui José Eduardo dos Santos a confié la clé du coffre-fort angolais, avec le général Manuel Hélder Vieira Dias, dit Kopelipa, et Manuel Vicente, l’ex-pétrolier aujourd’hui vice-président. Bien entendu, ce n’est pas en vendant des oeufs qu’Isabel a démarré sa carrière. Née à Bakou, fruit du mariage de son père avec une championne d’échecs russe, la jeune métisse suit des études d’ingénieur au King’s College, à Londres. Puis elle rentre à Luanda, où elle ouvre un restaurant. Sans succès. En 1999, changement de braquet. Elle prend la direction d’Urbana, qui détient le monopole du nettoiement de la ville. Puis, en 2001, elle entre au capital d’Unitel, dont elle devient ensuite la directrice. Qui contrôle alors ces deux sociétés, via le groupe Geni ? Le général Dino…
Qu’aurait-elle fait sans papa ? La question s’est posée encore plus crûment en 2007, quand le journal italien La Stampa a publié – sous le titre « La déesse noire des intrigues » – une enquête choc qui reliait les affaires d’Isabel à celles de Vito Palazzolo, un chef de la mafia sicilienne, et la présentait comme le prête-nom d’un empire financier qui appartiendrait à son père. Aussitôt, elle a attaqué le journal en diffamation. Et dans sa plainte il y a cette phrase : « Je suis la fille du président José Eduardo dos Santos et je ne gère aucun bien, encore moins un empire financier, appartenant au président – un « empire » qui n’existe pas, tout simplement. » Réplique de Rafael Marques, le célèbre journaliste angolais qui a créé en 2008 Maka Angola, une ONG anticorruption : « Mais où Isabel dos Santos a-t-elle trouvé l’argent pour devenir actionnaire d’Unitel, l’une des plus grosses sociétés privées d’Angola ? » Abel Chivukuvuku, le numéro deux de l’opposition, a l’ironie mordante : « Nous sommes fiers de compter parmi nous la femme la plus riche d’Afrique, d’autant qu’elle a bâti sa fortune en moins de dix ans… »
Son secret : « savoir s’entourer »
Isabel n’est-elle qu’une fille à papa ? Pas si simple. Évidemment, les relations de son père l’ont beaucoup aidée. Son argent ? Sans doute aussi. Mais tous les hommes d’affaires qui traitent avec elle – y compris le magnat portugais Américo Amorim, qui est en conflit avec elle – s’accordent à dire qu’elle est un stratège. Si Pascaline Bongo, la fille d’Omar, ex-président du Gabon, administre avant tout la fortune acquise par son père, Isabel dos Santos, elle, est l’héritière devenue tycoon. Son secret ? « Savoir s’entourer », confie-t-elle. En Angola, elle ne fait rien qui puisse fâcher ses parrains : Dino, Kopelipa, Vicente et le diamantaire Noé Baltazar. Au Portugal, elle a constitué une équipe de choc autour de deux hommes : le gestionnaire Mário Filipe Moreira Leite da Silva – qu’elle a chipé au groupe Amorim – et l’avocat Jorge de Brito Pereira.
Est-ce en prévision du jour où son père – trente-quatre années au pouvoir – ne sera plus là pour la protéger ? Méthodiquement, la jeune femme tisse autour d’elle un réseau de fidèles. En 2002, le jour de son mariage dans les jardins du Palais rose – siège de la présidence à Luanda -, un millier d’invités venus du monde entier étaient présents, dont José Manuel Barroso, le Premier ministre portugais de l’époque. Mais elle s’appuie avant tout sur quelques dizaines de proches. Tous les ans, avec son époux, elle les invite le plus discrètement possible dans un lieu de rêve. Un yacht à Ibiza, dans l’archipel des Baléares. Ou un palace à Marrakech – c’était l’an dernier, pour ses 39 ans.
Selon un témoignage recueilli par Jeune Afrique, c’est dans une somptueuse île-hôtel de l’archipel des Maldives, à l’abri de tout chasseur d’images, que la jeune milliardaire a fêté ses 40 ans, en avril. Autour d’elle et de son mari, une quarantaine de proches. Quelques-uns de ses frères, mais ni José Filomeno ni sa soeur Tchizé ne se sont montrés. Surtout des amis. Isabel aime le champagne. De sa jolie voix douce, elle a reçu ses hôtes une coupe à la main. L’an dernier, la même femme a fait mettre à la porte un vigile d’Unitel qui ne l’avait pas reconnue et n’avait pas voulu la laisser entrer dans l’entreprise sans badge. Isabel, c’est à la fois un sourire enjôleur et ce que l’historien angolais Carlos Pacheco appelle « l’arrogance des grands pétroliers ».
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