Kwame Yamgnane, la force tranquille

Son père avait choisi la politique. C´est à la tête d´une nouvelle école d´informatique gratuite que ce Français d´origine togolaise agit en faveur des « exclus du système ».

Kwame Yamgnane affirme que la chance des immigrés, c’est d’avoir une vision différente. © Christophe Lebedinsky

Kwame Yamgnane affirme que la chance des immigrés, c’est d’avoir une vision différente. © Christophe Lebedinsky

MATHIEU-OLIVIER_2024

Publié le 9 août 2013 Lecture : 4 minutes.

« Dès qu´il a su marcher, il est parti à l´aventure », explique son père, le Franco-Togolais Kofi Yamgnane, qui s´est engagé en politique dans ses deux pays : secrétaire d´État (aux Affaires sociales et à l´Intégration, puis à l´Intégration) sous François Mitterrand, il avait tenté de se présenter à la présidentielle togolaise en 2010, mais sa candidature avait été rejetée. « On ne lui connaissait pas vraiment d´ambition, surtout des rêves, se souvient-il. Nous étions très proches, même si mon entrée en politique m´a parfois tenu loin du foyer. Il a souffert de la jalousie, du mensonge, du racisme… »

Assis en face d´un colosse dont le sourire vous surplombe de vingt bons centimètres, on peine à imaginer l´enfant, né en 1976 à Brest, gambadant dans la campagne du Finistère. Kwame Yamgnane, qui avoue n´avoir « jamais été un bon élève », intègre le Lycée naval, à Brest, et pense un temps choisir l´armée : « Je voulais être pilote de chasse, puis parachutiste, mais ils m´ont dit que ma taille et mon poids posaient problème… Finalement, j´ai fait mon service militaire en tant que secrétaire dans le Médoc ! » s´esclaffe ce grand amateur de vins. Il opte donc pour un autre milieu, sans doute à raison tant on imagine mal ce double mètre jovial troquer son pull marin contre un treillis.

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Après avoir passé une année – où il fait « surtout la fête » – à la faculté de Brest, il sort diplômé en informatique de l´Institut universitaire de technologie de Vannes et prend le large en 1997. Direction les États-Unis, plus précisément la Virginie, où il est employé par une filiale d´Alcatel. « C´était un autre monde, se souvient-il, nostalgique. J´ai appris une façon de vivre et surtout de travailler totalement différente. »

Lorsqu´il revient, deux ans plus tard, dans l´Hexagone, l´informatique est son terrain de jeu. Plein d´aspirations, il intègre Epita, une école du Kremlin-Bicêtre (banlieue parisienne) afin de compléter sa formation d´administrateur réseau. Il y rencontre un futur complice, Nicolas Sadirac. Kwame ne le sait pas encore, mais après quelques années de galère durant lesquelles il crée une entreprise – « plantée par l´explosion de la bulle internet en 2001 » -, puis enchaîne les petits boulots, il va le retrouver, en 2009, à la tête d´une formation ambitieuse, Epitech. Une réussite : les étudiants, souvent issus de classes sociales plutôt modestes ou ayant peiné dans le système scolaire, sont régulièrement embauchés à 4 000 euros par mois.

De quoi séduire le « gros cancre » qui veut travailler avec « les exclus du système ». « Ils peuvent avoir une vision différente. C´est peut-être ça la chance de l´immigré », explique-t-il, plus intéressé par l´initiative sociale que par l´action politique. Son nom circule désormais largement. Jusqu´à atteindre Xavier Niel, fondateur de Free, l´un des géants français d´internet.

>> Lire aussi notre dossier : Informatique : l’Afrique, le nouveau filon mondial

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« Le système français ne marche pas, constate le PDG. Il est coincé entre l´université, gratuite mais peu adaptée à l´entreprise, et des écoles privées, inaccessibles au plus grand nombre. » Niel, Sadirac et Yamgnane, rejoints par un quatrième passionné d´informatique, Florian Bucher, décident donc de lancer une école baptisée 42. L´idée : former 1 000 étudiants, bacheliers ou non, âgés de 18 à 30 ans, qui auront été choisis parmi 4 000 candidats au terme d´un mois de sélection consistant à « bouffer du code quinze heures par jour ». Pour les heureux élus, pas de diplôme mais un label et un cursus de trois ans, gratuit, financé par Xavier Niel, qui a investi 20 millions d´euros pour la création de l´école et prévoit d´en débourser 50 autres dans les dix ans à venir. Kwame Yamgnane en a été nommé directeur général adjoint. « C´est une grande idée ! » s´enthousiasme son père. « Je suis confiant : dans mon village natal, [Kwame] a un cousin qui l´a surnommé « la force tranquille ». »

Cette « force tranquille » – slogan qui a mené François Mitterrand à l´Élysée – sera-t-elle suffisante pour développer des projets jusqu´en Afrique ? « J´ai un père togolais, une mère bretonne, une femme norvégienne, j´ai travaillé aux États-Unis, en Chine… S´il y a des opportunités, je les saisirai », explique l´informaticien, plus à l´aise pour évoquer les arts martiaux japonais ou sa soeur, gynécologue et ancienne candidate (en 2008) aux élections municipales à Paris, que pour parler de sa relation avec le continent, où il se rend régulièrement pour visiter sa famille.

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« Il réfléchit à la création d´établissements en Afrique centrale et en Afrique de l´Ouest, révèle toutefois son père. J´aimerais qu´il poursuive ce que j´ai commencé en politique, sous une forme qui sera la sienne. C´est un père de famille généreux et il aime trop les hommes pour ne pas s´investir dans leur mieux-être. » Un nouveau terrain de jeu ?

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