Souhayr Belhassen : « Le gouvernement doit se démettre mais laissons l’ANC terminer sa mission »

Ancienne présidente de la Fédération de la ligue des droits de l’Homme (FIDH), la Tunisienne Souhayr Belhassen pointe la responsabilité de la troïka, et de Moncef Marzouki en particulier, dans l’impunité qui règne aujourd’hui, selon elle, dans son pays, dans une interview qu’elle a accordée à Jeune Afrique le 30 juillet.

L’ancienne présidente de la FIDH, Souhayr Belhassen. © Vincent Fournier pour J.A.

L’ancienne présidente de la FIDH, Souhayr Belhassen. © Vincent Fournier pour J.A.

Publié le 13 août 2013 Lecture : 3 minutes.

Jeune Afrique : Quel est votre diagnostic de la situation en Tunisie ?

Souhayr Belhassen : En tant que défenseur des droits de l´homme, j´estime qu´on ne peut pas pratiquer l´impunité sans en subir les conséquences. L´assassinat de Mohamed Brahmi était prévisible dans la mesure où celui de Chokri Belaïd est encore aujourd´hui nimbé de mystère. Du rapport balistique aux noms des assassins, le peu d´éléments dévoilés est aussi ridicule que surréaliste. Il faut se mobiliser contre la banalisation de l´assassinat politique. On se focalise sur les islamistes parce qu´ils sont hégémoniques, mais la responsabilité est celle de la troïka et principalement celle du président Moncef Marzouki. Je ressens comme une humiliation a posteriori d´avoir eu Moncef Marzouki à la tête de la Ligue tunisienne des droits de l´homme (LTDH) et Mustapha Ben Jaafar comme vice-président. Leur responsabilité est énorme. Au fond, Ali Larayedh est plus conséquent avec lui-même. On ne pouvait attendre mieux de sa part. La position et la démission de Jebali étaient appréciables, même si c´était une stratégie intelligente d´Ennahdha pour détourner les Tunisiens de l´affaire Belaïd. Face à son échec, le gouvernement actuel doit se démettre. On dit que la police est divisée entre républicains et sympathisants du pouvoir, cela n´est pas l´affaire des citoyens. Soit Lotfi Ben Jeddou, ministre de l´Intérieur, se donne les moyens d´assurer leur sécurité, soit il s´en va. Il en est de même pour la Justice et les Affaires étrangères.

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Que pensez-vous de la position du chef du gouvernement ?

Son discours est indigent au regard de l´ampleur de la crise. Larayedh renverse les rôles et place son gouvernement au-dessus de la Constituante, institution souveraine qui l´a désigné. Il est inacceptable qu´il réduise des assassinats politiques à de simples incidents et qu´il soit à ce point impuissant face au terrorisme, qui exige une réactivité immédiate. Le drame qu´a vécu l´armée est aussi une humiliation qui engage sa responsabilité politique.

Faut-il imputer la crise aux seuls islamistes ?

Non, mais le projet de société d´Ennahdha est inquiétant. Et les méthodes pour le concrétiser le sont tout autant. On entretient l´insécurité, l´injustice et les difficultés économiques pour créer un appel d´air vers les mosquées. Mais les prêches partisans ont détourné les Tunisiens des lieux de culte. Objectivement, ils vivent plus mal qu´il y a trois ans et sont écoeurés. Je connais bien les islamistes pour les avoir longtemps défendus. Je désapprouve leur façon de conduire les affaires du pays et de s´approprier la révolution, mais il est hors de question de les exclure. Ennahdha doit avoir une place conforme à son poids réel.

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L´opposition a-t-elle des torts ?

Oui. Sous Ben Ali, l´opposition s´était élevée contre le système d´un homme. Aujourd´hui, on attend d´elle qu´elle élabore un programme et une feuille de route, mais certains ont voulu jouer aux plus malins. Le « ôte-toi de là que je m´y mette » leur a fait perdre des occasions importantes. Elle doit tirer les leçons des élections de 2011, dépasser ses clivages et adopter une ligne de conduite commune, même sans leadership.

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Comment sortir de l´impasse ?

On brandit la menace du vide institutionnel, mais il n´y a pas de craintes à avoir. Après la révolution, des solutions ont été trouvées. Nos concitoyens ont prouvé qu´ils étaient responsables en assurant la continuité de l´État. Nous sommes en Tunisie, ce ne sera jamais l´anarchie. Nous devons reprendre confiance, mais Ennahdha doit cesser d´entretenir la violence et le terrorisme à travers le discours de certains de ses dirigeants et l´activisme de son bras armé, les Ligues de protection de la révolution (LPR). Les élus de l´ANC ont accompli un travail important. Je comprends les députés qui ont gelé leur activité, mais il ne faut pas jeter le bébé avec l´eau du bain. L´ANC doit achever, selon les voeux des Tunisiens et sous la supervision d´experts, le projet de Constitution et réactiver l´ancienne Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie). L´éviction de Kamel Jendoubi, qui avait dirigé la première Isie, est aussi une forme d´assassinat politique. On l´a écarté en le salissant parce qu´il était honnête. Sinon Ennahdha n´aurait pas gagné les élections. Dans l´immédiat, on doit aller vers un nouveau gouvernement d´indépendants, une équipe restreinte dont les membres ne se présenteraient pas aux prochaines élections, et achever la rédaction de la Constitution.

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