Les Burkinabè contre le projet de Sénat de Compaoré

Le projet de création d’un Sénat de Blaise Compaoré divise le Burkina Faso. Soutenue par une partie de la population, l’opposition soupçonne le président de vouloir modifier la Constitution afin de briguer un nouveau mandat en 2015.

La mobilisation rassemble des dizaines de milliers de personnes depuis deux mois. © AFP

La mobilisation rassemble des dizaines de milliers de personnes depuis deux mois. © AFP

Publié le 13 août 2013 Lecture : 6 minutes.

« Même à Paris, même en Amérique, une marche n´a jamais changé une loi », a répondu sèchement Blaise Compaoré à ses opposants, le 30 juillet, depuis Yamoussoukro où il participait à un sommet bilatéral avec son homologue ivoirien. Deux jours plus tôt, à l´appel de l´opposition, des milliers de personnes avaient envahi la place de la Nation à Ouagadougou pour manifester contre son projet, très polémique, de création d´un Sénat. Ses adversaires accusent le chef de l´État, arrivé au pouvoir en 1987, de vouloir modifier l´article 37 de la Constitution qui lui interdit de briguer un nouveau mandat en 2015. Pour ce faire, il devrait recourir soit à un référendum, soit obtenir le vote du Congrès, celui-ci incluant l´Assemblée nationale existante et un Sénat, à créer. N´ayant pas la majorité qualifiée à la Chambre des députés, une Chambre haute acquise à sa cause lui serait en effet très utile. Dès le mois de mai, les députés de l´opposition ont boudé l´examen des textes portant création de la seconde Chambre. Ils dénoncent, pêle-mêle, l´inutilité d´un Sénat, son coût, son manque de représentativité régionale, l´âge de ses futurs élus (45 ans minimum) et, bien sûr, l´éventualité que le pouvoir y ait recours pour modifier la Constitution.

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Sortie renforcée des législatives de décembre 2012, l´opposition a réussi à mobiliser ses partisans lors de manifestations qui ont rassemblé des dizaines de milliers de personnes en juin et en juillet. Elle a aussi bénéficié d´autres soutiens, plus inattendus. Dans une lettre pastorale de quinze pages, les évêques du pays s´interrogent sur l´opportunité de la mise en place d´un Sénat budgétivore au détriment des besoins les plus élémentaires des populations en matière de santé, d´éducation et d´emploi. « Les institutions ne sont légitimes que si elles sont socialement utiles », rappellent les prélats, qui fustigent une gouvernance de plus en plus déconnectée de la réalité, une fracture sociale béante, la montée de la violence et de l´incivisme, ainsi que la très grande pauvreté. Une ingérence dans le débat politique très mal vécue par le pouvoir. « De quoi se mêlent-ils ? Veulent-ils déclencher une guerre de religions ? s´emporte un proche de Compaoré. Les imams seront-ils les seuls à siéger au Sénat ? » poursuit-il, rappelant que des représentants des communautés religieuses sont censés y nommer certains de leurs membres.


Manifestation des anti-Sénat le 28 juillet. © Ahmed Ouoba/AFP

Une opposition féroce

Dans la foulée, l´opposition s´est également félicitée de la création du Balai citoyen, un mouvement civique inspiré de Y´en a marre au Sénégal. À sa tête, deux artistes engagés, Sam´s K Le Jah et Smokey, auteurs d´un album rendant hommage au journaliste Norbert Zongo, assassiné en 1998. Ils participent depuis le 29 juin aux marches anti-Sénat.

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Fort de ces nouveaux soutiens, l´opposition se sent beaucoup plus forte. « On va continuer la mobilisation », martèle Zéphirin Diabré, le président de l´Union pour le progrès et le changement (UPC). Très remonté, le chef de file de l´opposition, qui compte 19 députés à l´Assemblée, a su fédérer un grand nombre de partis autour de son combat. Une posture idéale pour s´affirmer comme un candidat sérieux à la présidentielle de 2015. « N´allez pas trop vite en besogne, tient-il à souligner. Nous sommes unis autour d´une cause commune, ce qui ne veut pas dire que l´on va s´allier politiquement ou présenter un candidat unique. » Certes, mais le nouveau leader n´a pas caché que si Blaise Compaoré ne se représentait pas, tout devenait possible.

À un peu plus de deux ans de la fin de son mandat, le chef de l´État cultive le plus grand secret sur ses intentions. Mais ses partisans ne cachent pas leur volonté de lever le verrou constitutionnel. « Oui au Sénat ! Oui à la modification de l´article 37 ! Et oui à la candidature du président Blaise Compaoré en 2015 ! » pouvait-on lire sur les banderoles des manifestants du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP, parti présidentiel), le 6 juillet, à Bobo Dioulasso et à Ouagadougou. « Le fait de bloquer un homme ou un parti, ça n´a pas de sens », a renchéri François Compaoré, le frère cadet du président chargé des mouvements associatifs au sein du CDP. Élu député en décembre 2012, il s´est désisté au profit de son suppléant. L´opposition craint qu´il ne brigue la présidence du Sénat, ce qui ferait de lui le dauphin du chef de l´État.

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« La crispation des positions nous mène tout droit vers un clash, s´inquiète le professeur Augustin Loada, directeur du Centre pour la gouvernance démocratique (CGD). Si le pouvoir tente de modifier la Constitution, les centrales syndicales, les organisations estudiantines et les mouvements des droits de l´homme pourraient rallier l´opposition. » Pour l´instant, cette société civile, aux orientations idéologiques révolutionnaires, se tient à l´écart des débats. En réalité, elle n´apprécie ni le libéralisme prôné par Diabré ni son ancienne appartenance au camp présidentiel. De son côté, le pouvoir bénéficie du soutien d´une bonne partie des opérateurs économiques et des chefs traditionnels. Assimi Kouanda, le secrétaire exécutif national du CDP, courtise assidûment les imams dont il tient à s´attirer les faveurs. Mais au sein du parti, certains caciques, qui attendent leur heure depuis vingt-six ans, seraient favorables à ce que Compaoré passe la main. « Au lieu d´imposer l´épreuve de force, l´opposition et l´Église feraient mieux de donner des garanties au chef de l´État et à sa famille, explique un proche du président. Son clan craint une chasse aux sorcières en cas de changement et le conforte dans son envie de rester. »

Du côté de la communauté internationale, l´inquiétude est palpable. Les pays du nord de l´Europe ont manifesté leur attachement à la Constitution burkinabè. Même ligne de conduite, officiellement, du côté des Français et des Américains. Mais Paris et Washington ne cachent pas leur embarras. Se servant du Burkina comme plateforme de renseignements et de lutte antiterroriste, les deux capitales souhaitent éviter toute déstabilisation alors que la Côte d´Ivoire est en pleine reconstruction et le Mali encore instable. On préférerait une transition souple et on réfléchit déjà à l´avenir de Compaoré qui pourrait se concrétiser à l´Union africaine, à la Francophonie ou au Conseil de l´entente.


Blaise compaoré, à bruxelles, le 15 mai. © Thierry Charlier/AFP

L’armée divisée

Tout le monde a encore en mémoire la crise du Printemps 2011. De violentes émeutes avaient touché plusieurs villes du pays. « L´armée est apparue pour la première fois divisée entre officiers supérieurs et hommes du rang, et en partie hostile à un président qui s´était pourtant employé à contrôler et à organiser une institution dont il est issu, rappelle Rinaldo Depagne, chercheur à l´International Crisis Group (ICG). Depuis, la crise sociale n´est éteinte qu´en apparence. Des conflits locaux à caractère foncier, coutumier ou portant sur les droits des travailleurs se sont multipliés dans un pays qui a une longue tradition de luttes sociales et de tentations révolutionnaires. » Blaise Compaoré, qui a remplacé le chef d´état-major et s´est octroyé le portefeuille de la Défense, semble avoir repris le contrôle d´une armée qu´il compte réformer. Il a demandé les conseils de la France et du Ghana pour l´aider à être plus à l´écoute de ses troupes.

« Le pouvoir a remanié la hiérarchie militaire, ajoute le professeur Loada. Il n´y a pas de risques que la Grande Muette bascule dans le camp de l´opposition. Mais une partie des hommes du rang se sentent en phase avec les aspirations de l´opposition. » Le principal risque d´embrasement vient plutôt de la jeunesse (59,1 % de la population a moins de vingt ans). « Cette jeunesse est insatisfaite et en manque de repères, déplorent les évêques. L´image que leur renvoient ceux qui exercent le pouvoir est plutôt négative car elle est brouillée par la corruption et le clientélisme. D´où la tentation de la violence. » Voilà le chef de l´État prévenu. La route qu´il choisira d´emprunter, s´il souhaite s´accrocher au pouvoir, pourrait vite se transformer en chemin de croix.

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