Mouna Hachim : « L’histoire marocaine est celle de tous les mélanges »
Selon Mouna Hachim, spécialiste des patronymes marocains, les mythologies familiales du royaume alaouite, fondées sur l´origine, sont sujettes à de nombreuses remises en question.
Jeune Afrique : Les Marocains semblent manifester un intérêt croissant pour la généalogie. Est-ce un phénomène nouveau ?
Mouna Hachim : Les Arabes en général ont toujours été friands de généalogie, que l´on appelle ´ilm al-Ansab [« la science de la filiation »]. Elle était à l´honneur pendant la Jahiliya [ère anté-islamique] chez les Bédouins, qui aimaient déclamer la geste de leurs ancêtres. Après la mort du Prophète, cette tradition savante s´est perpétuée au sein des familles chérifiennes. Au Maroc, depuis longtemps, de nombreux ouvrages ont été consacrés au sujet, notamment parmi les familles se réclamant de lignées prestigieuses : compagnons du Prophète, chefs de confréries, savants et lettrés. S´agissant de familles plus « roturières », l´héritage est le plus souvent oral, mais il est encore très riche.
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Votre Dictionnaire des noms de famille du Maroc, qui couvre 1 354 patronymes, est un best-seller. Comment vos lecteurs réagissent-ils ?
Je reçois de nombreuses requêtes de personnes dont le nom de famille ne figure pas dans l´ouvrage. D´autres ont été titillées par un traitement qui ne conforte pas certaines mythologies familiales ou qui brise des tabous, qu´il s´agisse de lignées chérifiennes contestées, d´ancêtres controversés, de l´origine juive de familles aujourd´hui musulmanes, etc. Mais en général, l´accueil reste enthousiaste.
Diriez-vous qu´une filiation prestigieuse, chérifienne ou andalouse, reste importante dans la société marocaine ?
Comme dans tous les pays du monde, nous avons une sorte de noblesse jouissant d´avantages certains et, surtout, historiquement très proche des centres du savoir et du pouvoir, ce qui a eu pour effet de conforter sa position de génération en génération. À tel point que nous retrouvons souvent les mêmes patronymes avec des charges quasi héréditaires… Cela n´est pas exclusif aux dynasties chérifiennes ou andalouses mais concerne plus généralement les grandes familles citadines. Cela étant dit, le cercle n´est plus aussi fermé, et tend, malgré les tentations de cloisonnement, à davantage d´ouverture.
Berbères, Fassis, Arabes… Peut-on utiliser des catégories aussi exclusives pour évoquer les origines des familles marocaines ?
Sûrement pas ! Combien de familles données pour Berbères, peuplant des régions exclusivement amazighophones, brandissent des documents attestant de leur origine arabe ? Par ailleurs, de très nombreuses familles considérées comme étant d´origine arabe sont de souche amazigh. Citons, à ce titre, les Bennani, issus de la tribu berbère nefzaouane des Benana, initialement originaire du Sud tunisien. Deux tiers de la population de Fès serait d´origine amazigh. Quant aux Andalous, installés au Maroc en grand nombre depuis la Reconquista, ils ne sont pas que dans les grands centres urbains tels que Fès, Rabat ou Tétouan, mais aussi dans les villages, montagnes et campagnes, aux quatre coins du pays, suivant en cela leur mode de vie passé en Andalousie. L´histoire du Maroc est celle de tous ces mélanges : Amazighs, Arabes, Noirs, Européens, Turcs… Tout essai de classification figée et systématique reste une pure utopie.
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