Les cinq chantiers qui attendent le futur président malien
À peine élu, le nouveau président devra s’atteler à la tâche. Et elle s’annonce rude, de la réconciliation nationale à la refonte de l’armée, en passant par le retour à la démocratie.
1. La paix au Nord
Qu’il soit élu ou non à une large majorité, le nouveau président n´aura pas le choix : s’il veut aboutir à une paix durable dans le nord du pays, il devra ouvrir des discussions avec les mouvements rebelles, et vite. Les accords de Ouagadougou signés le 18 juin entre le gouvernement de transition, le Mouvement national de libération de l´Azawad (MNLA) et le Haut Conseil pour l´unité de l´Azawad (HCUA) stipulent qu´« à l´issue de l´élection présidentielle et soixante jours après sa mise en place, le nouveau gouvernement du Mali entamera des pourparlers de paix avec toutes les communautés du Nord ».
« Si le président est bien élu, il sera en position de force car, en face, le MNLA et le HCUA sont fragilisés. Ils ne peuvent plus vraiment compter sur le soutien de la France et disposent d´une puissance de feu très relative, note un bon connaisseur de la question, qui a participé aux négociations de Ouagadougou. Mais s´il est mal élu, ces deux groupes en profiteront. Ils n´ont pas dit leur dernier mot. »
À Kidal, les leaders du HCUA et du MNLA continuent de parler d´indépendance de l´Azawad, la partie septentrionale du Mali. Certes, les premiers semblent plus enclins que les seconds à accepter le principe d´une simple autonomie. « Mais tous ont le même but : l´indépendance », poursuit notre source.
Si les accords de Ouagadougou évoquent sept questions à aborder, les discussions devraient surtout porter sur trois enjeux : le statut des régions du Nord, l´intégration des rebelles dans les forces armées maliennes et l´annulation des poursuites judiciaires émises en début d´année à l´endroit de plusieurs leaders de ces groupes. « Ce ne sera pas simple et cela prendra du temps », concède un diplomate européen en poste à Bamako.
Le nouveau président devra faire un certain nombre de concessions aux rebelles touaregs sans donner l´impression de brader la souveraineté du pays. Il devra aussi s´attaquer aux maux qui ont permis aux groupes islamistes radicaux de s´implanter dans le Nord : pauvreté, absence de structures étatiques, trafics divers…
>> Lire : IBK et Soumaïla Cissé : grands frères et rivaux
2. La décentralisation
S´il intègre les rebelles touaregs dans l´armée mais laisse sur le bord de la route les membres des autres milices à caractère ethnique (arabes ou peules) apparues dans le Nord ces vingt dernières années, le nouveau chef de l’État s´exposera aux critiques. De même, s´il accorde une large autonomie aux régions du Nord sans inclure le Sud, il risque de se couper d´une grande partie des Maliens. « On l´a vu durant la campagne : dans le Sud, le ressentiment contre les gens du Nord, et surtout contre les Touaregs, est très fort », explique un candidat. « Si on répond aux revendications du Nord et qu´on néglige le Sud, si l´on crée le sentiment qu´il y a du favoritisme, on va droit dans le mur », ajoute Soumeylou Boubèye Maïga, conseiller spécial d´Ibrahim Boubacar Keïta (IBK). Pour Maïga, originaire du nord du pays, la « stabilisation du Sud » est même une priorité : « Il faut s´occuper de ces masses de jeunes qui sont dans la rue », soutient-il. La décentralisation dont il sera question au cours des négociations devra donc concerner l´ensemble du pays et conférer aux collectivités locales un vrai pouvoir d´action.
3. La renaissance de la démocratie
Un autre chantier s´imposera par la force des choses. Des législatives doivent suivre la présidentielle. Elles pourraient être organisées en octobre prochain, en janvier 2014… ou plus tard. « La communauté internationale souhaite qu´elles se tiennent le plus vite possible, explique un analyste indépendant. Mais le président voudra peut-être se donner du temps pour s´organiser et assurer la victoire de son camp. Et l´opposition, si elle est mécontente du scrutin présidentiel, pourrait exiger qu´on actualise le fichier électoral. Un scénario à la guinéenne n´est pas exclu. »
Quoi qu´il en soit, la classe politique s´accorde sur un point : ne pas perpétuer les erreurs de l´ancien président. « Sous ATT [Amadou Toumani Touré], il n´y avait pas d´opposition. Tout était consensus. On voit où cela nous a menés », déplore un candidat, pour qui « le pays a besoin d´une opposition, gage de démocratie ».
Pour redonner des couleurs à la vie publique, il faudra en outre la moraliser, et notamment s´attaquer à la corruption, qui gangrène tous les rouages du système, mettre fin aux trafics qui ont transformé au fil du temps le Nord en zone de non-droit, et redorer le blason de la justice.
4. La réforme de l´armée
Le nouveau président devra poursuivre ce chantier, lancé depuis plusieurs mois avec l´appui de l´Union européenne notamment. En lambeaux après ses défaites successives dans le Nord en 2012, la troupe a repris du poil de la bête depuis l´intervention de la France, en janvier dernier. Les hommes sont retournés au front, et des officiers ont fait leurs preuves. « Il n´empêche : nous devons revoir tout le système », convient un ancien ministre de la Défense.
Plus délicat encore, il faudra se débarrasser des anciens putschistes. En un an, l´ex-junte a placé ses hommes à tous les postes clés : ministères de la Défense, de l´Administration territoriale, de la Sécurité intérieure ; état-major ; services de renseignements… Si le pouvoir de nuisance de ces sous-officiers est moindre depuis quelques mois, il n´est pas annihilé. « Il faudra agir avec doigté, estime un diplomate. Savoir conserver ceux qui sont compétents et se débarrasser de ceux qui ne le sont pas. »
Reste le cas Sanogo, dont le soutien à IBK est un secret de polichinelle. Depuis février, le capitaine préside un « Comité militaire de suivi de la réforme des forces de la défense et de sécurité », dont les missions restent floues.
5. La présence étrangère
Le Mali devrait compter plus de 12 000 Casques bleus d´ici à la fin de l´année. Cette forte présence étrangère commence à se faire sentir, surtout depuis l´arrivée de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation du Mali (Minusma). À Bamako, certains hôtels ont été privatisés. Bientôt, les loyers augmenteront.
Tout cela pourrait réveiller le patriotisme chatouilleux des Maliens. Leur futur président devra veiller à ce que le Néerlandais Bert Koenders, représentant de l´ONU à Bamako, ne se comporte pas en vice-roi. C´est en partie afin d´éviter cela que la France a insisté pour que le scrutin se déroule au plus vite. « En continuant avec un gouvernement de transition, on prenait le risque de voir le représentant de l´ONU empiéter sur la souveraineté du Mali », explique-t-on à Paris.
Le nouvel élu devra enfin tenir tête aux bailleurs – qui ont promis 3,25 milliards d´euros d´aide mais n´entendent pas fermer les yeux sur l´utilisation de cette manne – et surtout à la France, qui devrait compter encore 1 000 soldats sur le terrain fin 2013 (contre 3 200 aujourd´hui), et qui a parfois tendance à se comporter en terrain conquis depuis qu´elle a évité le pire au Mali.
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