Tunisie : un référendum entaché d’irrégularités et d’erreurs

La polémique sur la réalité de la participation au référendum sur le projet de nouvelle Constitution ne cesse d’enfler. Explications.

Conférence de presse de Farouk Bouasker, le président de l’Isie, à Tunis le 26 juillet, pour annoncer les résultats du référendum. © Yassine Gaidi/Anadolu Agency via AFP

Publié le 29 juillet 2022 Lecture : 4 minutes.

Les résultats du référendum sur la nouvelle Constitution en Tunisie annoncés par l’Instance supérieure indépendante des élections (Isie) font, depuis le 26 juillet, l’objet de tous les doutes. En cause : des chiffres peu concordants avec la réalité observée sur le terrain mais aussi une série de dépassements, dont l’instance ne semble pas faire pas grand cas mais qui jettent le discrédit sur le processus et les résultats. Des suspicions renforcées par le fait que tous les membres actuels de l’Isie ont été nommés en mai par le président.

  • Des recours difficiles
    « Adressez-vous aux tribunaux », lance le président de l’Isie, Farouk Bouasker, face aux critiques et aux doutes sur la véracité des résultats du référendum. Mais le décret organisant le référendum réduit la possibilité de recours. Seules les listes de personnes physiques ou morales ayant été homologuées par l’Isie pour participer à la campagne référendaire peuvent ainsi introduire des recours. L’ONG I Watch, observatoire anti-corruption, a lancé la procédure de recours auprès du tribunal administratif par l’intermédiaire d’une personne qui a l’habilitation de l’Isie.
  • Un texte introuvable
    L’organisation du référendum prévoyait que le vote se ferait sur le projet de la Constitution dans son ensemble et qu’il serait mis au préalable, et dans son intégralité, à disposition du corps électoral. Le premier texte, publié au Journal Officiel le 30 juin, a été amendé mais il a été difficile de trouver une mouture de la nouvelle loi fondamentale ayant intégré ces modifications, qui ne portent pas uniquement sur des corrections de coquilles. Résultat, beaucoup ont voté sans avoir lu le projet dans son intégralité.
  • Utilisation des moyens de l’État
    Le « oui » au référendum a clairement bénéficié d’une mise à disposition de moyens de l’État. On ignore les sources de financement des affiches, autocollants et drapeaux, mais l’opinion a eu tout loisir de constater que les partisans du projet présidentiel étaient surreprésentés dans les médias publics et que des voitures administratives ont été utilisées pour la campagne. Les moyens humains ont aussi été mis à contribution, des soutiens au projet du président Kaïs Saïed délaissant leur mission pour faire campagne, comme Ezzeddine Chelbi, gouverneur de Ben Arous. À l’encontre d’un principe de neutralité, des agents de certains départements en contact avec le grand public se sont mobilisés pour convaincre les usagers de voter « oui ».
  • Kaïs Saïed et le silence électoral
    La veille du référendum, le 24 juillet au soir, d’immenses affiches appelant à voter « oui » sont apparues dans certains centres urbains. Pourtant, depuis plus de douze heures, le silence électoral était de mise. Parmi les premiers votants au bureau de son quartier d’Ennasr, Kaïs Saïed a violé à son tour le silence électoral en faisant une déclaration retransmise directement par la chaîne publique El Watanya 1. Mais pour le porte-parole de l’Isie, Mohamed Tlili Mansri, le contrevenant, en l’espèce, est le média et non le président.
  • Surévaluation de l’Isie
    Dès les premières estimations, l’Isie annonce un niveau de participation peu concordant avec les témoignages de bureaux de vote peu fréquentés, voire vides pour certains. Elle a d’abord indiqué 25 % de participation à la fermeture des bureaux à 22 h, puis 27,5 % dans la nuit et enfin 30,5 % le lendemain, à la présentation des résultats préliminaires. Une différence que l’Isie explique notamment par la chaleur, celle-ci ayant obligé une majorité de votants à se rendre dans les bureaux de vote sur une fourchette horaire réduite. L’Isie explique ainsi que plus de 500 000 votants sur tout le territoire national se sont rendus aux urnes entre 20 h et 22 h. Un chiffre conséquent, qui ne correspond pas aux observations sur le terrain.
  • Fraude
    Certains des tableaux montrant la répartition des voix dans les bureaux comportent des erreurs grossières. à Tozeur, par exemple, le nombre de votants dépasse le nombre d’inscrits. Mais l’Isie assure que ce sont les instances régionales qui ont remonté des chiffres erronés. Dès le 29 juillet, plusieurs cadres de l’instance nationale ont été limogés.
  • Qu’en sera-t-il du référendum ?
    Les résultats définitifs seront annoncés fin août, mais, d’ores et déjà, l’ONG I Watch exige un recomptage des bulletins sans la participation de l’Isie. Le président Kaïs Saïed pencherait plutôt pour l’organisation d’un nouveau vote, mais il nuirait ainsi à sa propre image en reconnaissant implicitement la fraude qui visait à faire adopter son projet de constitution. « Si ces résultats sont entérinés, c’est une honte. Si on revote, c’est aussi une honte. Un vrai politique, pour s’assurer un plébiscite, déciderait de surseoir au processus référendaire », estime un ancien constituant de gauche.

Les Tunisiens retiennent leur souffle en attendant l’issue de cette situation confuse et extrêmement tendue. Les pressions sont d’autant plus grandes que le faible taux de participation affaiblit la légitimité de la nouvelle Constitution. Les milieux diplomatiques, eux, réservent leur jugement. Mélanie Joly, ministre canadienne des Affaires étrangères, met en balance la participation du Canada au Sommet de la francophonie de Djerba prévu en novembre 2022 et précise qu’il « doit avoir lieu dans un pays qui incarne, en paroles et en actes, les principes de la déclaration de Bamako sur le bilan des pratiques de la démocratie, des droits
et des libertés dans l’espace francophone… »

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