L’Afrique à la une des journaux
Les magazines français et anglo-saxons consacrent de plus en plus souvent des numéros ou des dossiers spéciaux au continent. Mais quelle image en proposent-ils ?
«L´Afrique n´est pas celle que vous croyez », « Le réveil d´un continent », « Afrique 3.0 », « L´Afrique qui bouge »… La presse française semble frappée d´une fièvre contagieuse et d´un intérêt croissant pour le continent. Le Point (août 2012), GEO (le mois suivant), Courrier international (en mars 2013) puis Alternatives internationales (en mai) ont consacré leur couverture à une « nouvelle Afrique ».
Dans un ensemble rédactionnel assez équilibré, tantôt centré sur un pays, tantôt transversal, Alternatives internationales énumère pêle-mêle des exemples qui autorisent l´espoir d´un avenir meilleur, illustrent les réussites et indiquent les nombreux défis à relever. C´est ainsi que le magazine décèle des signes de développement dans la révolution technologique du mobile banking ou dans la démocratisation du téléphone portable. Pragmatique, le hors-série subventionné par l´Agence française de développement (AFD) n´élude pas les nombreux combats qui restent à gagner çà et là : contre la corruption en Ouganda, les violences sexuelles faites aux femmes en Afrique du Sud ou le déficit céréalier au Burkina Faso.
Les dynamiques sociales (mouvements de protestation, fractures religieuses et ethniques mais aussi promotion d´un esprit de création fertile) sont au menu d´« Afrique 3.0 ». En s´efforçant d´adopter une neutralité de ton, Courrier international a voulu présenter une Afrique telle qu´elle se donne à voir, entre une perception catastrophique et une vision positive, plus rare mais bien trop partielle, à l´image de ce que propose Le Point, qui a mis l´accent uniquement sur ce qui fonctionne. En couverture, la chanteuse franco-malienne Inna Modja, séduisante allégorie d´une Afrique jeune, dynamique, rayonnante, invite à la lecture d´un dossier sur les modèles de réussite économique, les élites à l´oeuvre de ce miracle et les promesses que permettent ces constats. Avec un peu plus de mesure, les photoreportages de GEO commentent sur 120 pages ces perspectives d´avenir, à l´exact opposé du discours fataliste longtemps reproché aux médias occidentaux. Approche photographique semblable pour le mook Muze paru mi-juin avec l´intention de mettre en évidence un « dynamisme culturel des pays subsahariens porté par les femmes ».
Des figures telles que la chanteuse malienne Rokia Traoré, l´Ivoirienne Marguerite Abouet (auteure de la BD Aya de Yopougon) ou l´écrivaine d´origine camerounaise Léonora Miano sont mises à l´honneur.
La presse anglo-saxonne se laisse également enchanter par « la nouvelle dynamique du continent ». Dans sa livraison du 3 décembre 2012, Time Magazine a choisi de promouvoir son dossier consacré à l´« Afrique qui s´élève » (« Africa Rising »). Un titre identique au numéro du magazine The Economist paru exactement un an plus tôt. Ce qui n´a pas empêché cet hebdomadaire britannique de vanter de nouveau « un continent plein d´espoir » dans une édition spéciale de 16 pages consacrée à « l´Afrique émergente », en mars 2013.
Une introspection dans la presse africaine
Bien loin du discours moralisateur des failed States (« États défaillants »), théorie géopolitique qui a longtemps imposé sa grille de lecture aux médias anglo-saxons, Time et The Economist parviennent à s´extasier sur la croissance galopante et la montée de la classe moyenne qui s´observent de façon générale. Ils n´omettent pas cependant d´examiner dans le détail les freins à cette émergence.
« Il s´agissait de parler de problèmes que l´on élude souvent, considère Ousmane Ndiaye, chef de la rubrique Afrique à Courrier international, à propos du hors-série publié le trimestre dernier. Il y a des Africains qui pensent leur société, et on ne perçoit pas cela dans les médias occidentaux. » C´est pourquoi le périodique français a tenté, selon sa formule bien connue (des articles sélectionnés dans la presse locale de préférence), de mobiliser des auteurs et des sources locales, se différenciant de concurrents franco-centrés. Au travers de portes d´entrée inhabituelles telles que l´architecture ou les nouvelles technologies, ce hors-série réalise une introspection africaine. Parlant d´un « succès d´estime » au sujet de cette publication, Ousmane Ndiaye est sorti convaincu de l´aventure que l´Afrique n´était pas « une matière journalistique invendable ».
Constat semblable pour Mireille Duteil, en charge du dossier spécial très afro-optimiste du Point. Cette journaliste passée par Jeune Afrique se réjouit du succès éditorial de la livraison. Plus de 90 000 exemplaires vendus, un chiffre légèrement au-dessus des moyennes, surtout pour un mois d´août – traditionnellement « mauvais pour les ventes », insiste-t-elle. « Nous avons eu beaucoup de retours sur ce dossier spécial, les lecteurs souhaitent que l´on renouvelle l´expérience. On nous demande régulièrement quand l´Afrique fera de nouveau la une. »
Entre optimisme et pessimisme, la vérité est pleine de nuances
Quant au numéro spécial de GEO, « il s´est vendu ni très mal ni très bien », annonce son rédacteur en chef Éric Meyer. Selon l´OJD, association professionnelle de certification de la diffusion, 239 404 exemplaires du numéro spécial se sont écoulés, le classant neuvième parmi les douze ventes de l´année. « Les photoreportages sur l´Afrique intéressent, mais moins qu´un sujet sur la France ou l´Italie », conclut Éric Meyer.
Antoine de Ravignan, maître d´oeuvre du hors-série d´Alternatives internationales, évoque un choix militant à propos d´un « sujet qui n´est pas encore vendeur ». Démentant tout calcul commercial ou adhésion à une nouvelle mode, il rappelle l´inclination de son journal pour les questions de développement. « Ce regard vaut aussi pour l´Afrique. Nous avons voulu montrer ses évolutions politiques et économiques sans le faire de façon naïve », assure-t-il. Au travers des plumes de nombreux correspondants et quelques auteurs locaux, une vision assez juste transparaît.
Plus qu´un afro-optimisme béat, c´est en défenseur d´un afroréalisme lucide que s´inscrit ce journalisme qui révèle une autre Afrique. « En mettant le doigt uniquement sur ce qui marche, on ne rend pas service au continent, raisonne Ousmane Ndiaye. Le parti pris optimiste ou pessimiste est à côté de la vérité. Il y a des raisons d´espérer comme des raisons de ne pas y croire. »
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus – Culture
- Émigration clandestine : « Partir, c’est aussi un moyen de dire à sa famille qu’on...
- RDC : Fally Ipupa ou Ferre Gola, qui est le vrai roi de la rumba ?
- Fally Ipupa : « Dans l’est de la RDC, on peut parler de massacres, de génocide »
- À Vertières, les esclaves d’Haïti font capituler les troupes de Napoléon
- Les « maris de nuit », entre sorcellerie et capitalisme