L’Afrique à la une des journaux

Les magazines français et anglo-saxons consacrent de plus en plus souvent des numéros ou des dossiers spéciaux au continent. Mais quelle image en proposent-ils ?

Quelques unes des couvertures que l’on pouvait trouver en kiosue ces douze derniers mois. © DR

Quelques unes des couvertures que l’on pouvait trouver en kiosue ces douze derniers mois. © DR

Publié le 1 août 2013 Lecture : 4 minutes.

«L´Afrique n´est pas celle que vous croyez », « Le réveil d´un continent », « Afrique 3.0 », « L´Afrique qui bouge »… La presse française semble frappée d´une fièvre contagieuse et d´un intérêt croissant pour le continent. Le Point (août 2012), GEO (le mois suivant), Courrier international (en mars 2013) puis Alternatives internationales (en mai) ont consacré leur couverture à une « nouvelle Afrique ».

Dans un ensemble rédactionnel assez équilibré, tantôt centré sur un pays, tantôt transversal, Alternatives internationales énumère pêle-mêle des exemples qui autorisent l´espoir d´un avenir meilleur, illustrent les réussites et indiquent les nombreux défis à relever. C´est ainsi que le magazine décèle des signes de développement dans la révolution technologique du mobile banking ou dans la démocratisation du téléphone portable. Pragmatique, le hors-série subventionné par l´Agence française de développement (AFD) n´élude pas les nombreux combats qui restent à gagner çà et là : contre la corruption en Ouganda, les violences sexuelles faites aux femmes en Afrique du Sud ou le déficit céréalier au Burkina Faso.

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Les dynamiques sociales (mouvements de protestation, fractures religieuses et ethniques mais aussi promotion d´un esprit de création fertile) sont au menu d´« Afrique 3.0 ». En s´efforçant d´adopter une neutralité de ton, Courrier international a voulu présenter une Afrique telle qu´elle se donne à voir, entre une perception catastrophique et une vision positive, plus rare mais bien trop partielle, à l´image de ce que propose Le Point, qui a mis l´accent uniquement sur ce qui fonctionne. En couverture, la chanteuse franco-malienne Inna Modja, séduisante allégorie d´une Afrique jeune, dynamique, rayonnante, invite à la lecture d´un dossier sur les modèles de réussite économique, les élites à l´oeuvre de ce miracle et les promesses que permettent ces constats. Avec un peu plus de mesure, les photoreportages de GEO commentent sur 120 pages ces perspectives d´avenir, à l´exact opposé du discours fataliste longtemps reproché aux médias occidentaux. Approche photographique semblable pour le mook Muze paru mi-juin avec l´intention de mettre en évidence un « dynamisme culturel des pays subsahariens porté par les femmes ».

Des figures telles que la chanteuse malienne Rokia Traoré, l´Ivoirienne Marguerite Abouet (auteure de la BD Aya de Yopougon) ou l´écrivaine d´origine camerounaise Léonora Miano sont mises à l´honneur.

La presse anglo-saxonne se laisse également enchanter par « la nouvelle dynamique du continent ». Dans sa livraison du 3 décembre 2012, Time Magazine a choisi de promouvoir son dossier consacré à l´« Afrique qui s´élève » (« Africa Rising »). Un titre identique au numéro du magazine The Economist paru exactement un an plus tôt. Ce qui n´a pas empêché cet hebdomadaire britannique de vanter de nouveau « un continent plein d´espoir » dans une édition spéciale de 16 pages consacrée à « l´Afrique émergente », en mars 2013.

Une introspection dans la presse africaine

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Bien loin du discours moralisateur des failed States (« États défaillants »), théorie géopolitique qui a longtemps imposé sa grille de lecture aux médias anglo-saxons, Time et The Economist parviennent à s´extasier sur la croissance galopante et la montée de la classe moyenne qui s´observent de façon générale. Ils n´omettent pas cependant d´examiner dans le détail les freins à cette émergence.

« Il s´agissait de parler de problèmes que l´on élude souvent, considère Ousmane Ndiaye, chef de la rubrique Afrique à Courrier international, à propos du hors-série publié le trimestre dernier. Il y a des Africains qui pensent leur société, et on ne perçoit pas cela dans les médias occidentaux. » C´est pourquoi le périodique français a tenté, selon sa formule bien connue (des articles sélectionnés dans la presse locale de préférence), de mobiliser des auteurs et des sources locales, se différenciant de concurrents franco-centrés. Au travers de portes d´entrée inhabituelles telles que l´architecture ou les nouvelles technologies, ce hors-série réalise une introspection africaine. Parlant d´un « succès d´estime » au sujet de cette publication, Ousmane Ndiaye est sorti convaincu de l´aventure que l´Afrique n´était pas « une matière journalistique invendable ».

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Constat semblable pour Mireille Duteil, en charge du dossier spécial très afro-optimiste du Point. Cette journaliste passée par Jeune Afrique se réjouit du succès éditorial de la livraison. Plus de 90 000 exemplaires vendus, un chiffre légèrement au-dessus des moyennes, surtout pour un mois d´août –  traditionnellement « mauvais pour les ventes », insiste-t-elle. « Nous avons eu beaucoup de retours sur ce dossier spécial, les lecteurs souhaitent que l´on renouvelle l´expérience. On nous demande régulièrement quand l´Afrique fera de nouveau la une. »

Entre optimisme et pessimisme, la vérité est pleine de nuances

Quant au numéro spécial de GEO, « il s´est vendu ni très mal ni très bien », annonce son rédacteur en chef Éric Meyer. Selon l´OJD, association professionnelle de certification de la diffusion, 239 404 exemplaires du numéro spécial se sont écoulés, le classant neuvième parmi les douze ventes de l´année. « Les photoreportages sur l´Afrique intéressent, mais moins qu´un sujet sur la France ou l´Italie », conclut Éric Meyer.

Antoine de Ravignan, maître d´oeuvre du hors-série d´Alternatives internationales, évoque un choix militant à propos d´un « sujet qui n´est pas encore vendeur ». Démentant tout calcul commercial ou adhésion à une nouvelle mode, il rappelle l´inclination de son journal pour les questions de développement. « Ce regard vaut aussi pour l´Afrique. Nous avons voulu montrer ses évolutions politiques et économiques sans le faire de façon naïve », assure-t-il. Au travers des plumes de nombreux correspondants et quelques auteurs locaux, une vision assez juste transparaît.

Plus qu´un afro-optimisme béat, c´est en défenseur d´un afroréalisme lucide que s´inscrit ce journalisme qui révèle une autre Afrique. « En mettant le doigt uniquement sur ce qui marche, on ne rend pas service au continent, raisonne Ousmane Ndiaye. Le parti pris optimiste ou pessimiste est à côté de la vérité. Il y a des raisons d´espérer comme des raisons de ne pas y croire. »

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