Afrique du Sud : le jour où Cyril Ramaphosa n’a pas perdu l’ANC
On s’attendait à un règlement de comptes entre les fidèles du chef de l’État et ceux de son prédécesseur, Jacob Zuma, à l’occasion de la conférence nationale de l’ANC. Pourtant, Ramaphosa est parvenu à s’en tirer sans trop de dommage.
Ça sonnait creux dans le centre de conférences de Nasrec, à Johannesburg. « Camarades, il y a trop de chaises vides ! », a grondé Gwede Mantashe, le ministre de l’Énergie et numéro trois du Congrès national africain (ANC). Les quelque deux mille délégués venus des neuf provinces du pays n’ont pas suffit à remplir l’immense salle. En dehors de quelques refrains, les chants, d’ordinaire si nombreux, ont fait place au silence. Pour cette sixième conférence nationale programmatique, censée réviser la doctrine du parti, l’heure n’était pas à la fête.
Le Congrès national africain, qui fête ses 110 ans cette année, est en crise. « L’ANC n’a jamais été aussi faible et vulnérable depuis l’avènement de la démocratie » [en 1994], a constaté le président, Cyril Ramaphosa. Pour la première fois de son histoire, le parti a recueilli moins de 50% des voix lors des élections locales de novembre 2021. « Nos faiblesses se mesurent à la méfiance, à la désillusion et à la frustration qui s’expriment contre notre mouvement et notre gouvernement », a-t-il ajouté.
Fidélité à Zuma
La présence d’un chauffeur de salle n’aurait pas été de trop pour réveiller une assemblée apathique. Quand Ramaphosa monte au pupitre, il est accueilli dans l’indifférence. Un moindre mal pour celui qui avait été hué, la semaine précédente, lors de son intervention au congrès régional de l’ANC, dans le KwaZulu-Natal. Inféodés à l’ancien président Jacob Zuma, les membres de la région avaient alors passé leur temps à chanter « Wenzeni uZuma ? » (« Qu’a fait Zuma ? ») Les militants considèrent en effet que leur mentor est littéralement persécuté. Condamné, en 2021, à quinze mois de prison pour outrage à la justice, l’ex-chef de l’État attend l’ouverture de son procès pour corruption, dans lequel il est mis en cause aux côtés de l’industriel français Thalès. En terre zouloue, ces affaires sont perçues comme des règlements de comptes.
La faction fidèle à Zuma est surnommée « les talibans » en raison de la combativité de ses membres
La province du KwaZulu-Natal – l’une de celles qui comptent le plus de membres de l’ANC – résiste au président Ramaphosa. Ses électeurs ont évincé l’ancienne direction au profit d’une faction fidèle à Zuma et surnommée « les talibans » en raison de la combativité de ses membres. À 80 ans, le retraité de la vie politique n’est pourtant pas en lice pour reprendre la tête du parti. La province pourrait soutenir Zweli Mkhize, l’ancien ministre de la Santé, tombé pour des soupçons de corruption en pleine crise du Covid-19.
L’affaire Phala Phala
Élu sur la promesse d’une aube nouvelle où la corruption n’existerait (presque) plus, Cyril Ramaphosa agace à force de donner des coups de balai dans ses rangs. Ses opposants lui reprochent de diriger sa croisade contre ses seuls rivaux. Pourtant, le voici à son tour empêtré dans une sombre affaire. En février 2020, des cambrioleurs s’introduisent dans sa ferme, où il élève et vend du bétail, et tombent sur plusieurs millions de dollars en espèces. Pourquoi cachait-il autant d’argent ? D’où viennent ces fonds ? Ont-ils été dûment déclarés ?
L’affaire Phala Phala – du nom de la ferme – est révélée au début de juin 2022 après qu’une plainte a été déposée par Arthur Fraser, qui fut responsable des services de renseignements sous Jacob Zuma. Fraser accuse Ramaphosa d’avoir étouffé l’affaire en soudoyant les cambrioleurs pour récupérer l’argent et acheter leur silence. Il reproche également au président de ne pas avoir déclaré l’infraction à la police pour garder secrète l’origine de ses fonds. L’enquête, en cours, plonge Ramaphosa dans l’embarras. Ses opposants mettent l’ANC au défi de lui demander des comptes.
Mise à l’écart
Ainsi inquiété, Cyril Ramaphosa ne sera-t-il pas contraint de se soumettre à la résolution de mise à l’écart (« step-aside rule ») de l’ANC qu’il avait si ardemment défendue ? Cette résolution, votée en 2017, stipule qu’un membre du parti mis en cause dans une affaire criminelle doit se mettre en retrait de la formation politique le temps de la procédure judiciaire. Elle a été appliquée pour la première fois l’année dernière. Et c’est Ace Magashule, le secrétaire général de l’ANC – et proche de Jacob Zuma –, qui a été le premier à en faire les frais.
Les délégués du KwaZulu-Natal veulent abroger cette mesure, qu’ils perçoivent comme un instrument politique destiné à se débarrasser des voix discordantes. « La mise à l’écart n’est qu’une campagne de communication ! Ça n’apporte rien au quotidien des Sud-Africains », conteste Bheki Mtolo, secrétaire provincial de l’ANC dans le KwaZulu-Natal.
Cette mesure a été discutée au cours du week-end, mais n’a pas donné lieu à la guerre de tranchées à laquelle on s’attendait. Les représentants du KwaZulu-Natal n’étaient pas en position de force pour passer à l’offensive. Ils promettent néanmoins de revenir à la charge lors de la conférence élective de décembre. L’absence de contestation a permis au président de savourer sa victoire. « La conférence s’est exprimée largement en faveur du maintien de la résolution de mise à l’écart afin de renforcer l’intégrité du mouvement et de sa direction, a-t-il affirmé. Le renouveau de l’ANC est inéluctable. »
Cyril Ramaphosa tient toujours ses rangs, il est à l’abri
Mis sous cloche, ce congrès a protégé le président des attaques fomentées depuis les provinces rebelles. La sous-représentation des délégués issus des branches (la base du parti) a permis de diluer la composition de l’assemblée. Alléchés par la perspective d’un conflit, les médias avaient accrédité 450 de leurs membres. Finalement, ils n’ont pas eu grand chose à se mettre sous la dent. Rigoureusement tenue à l’écart des débats, la presse en a été réduite à essayer d’intercepter des confidences fuitant des sessions à huis clos.
Tous les voyants sont au rouge
L’ANC ne voulait surtout pas offrir le spectacle de la division. Mission réussie pour sa direction. « Cyril Ramaphosa tient toujours ses troupes, il est à l’abri », observe Susan Booysen, auteure de plusieurs livres sur l’ANC. Pourtant, tous les ingrédients sont réunis pour faire tomber le président et son gouvernement. Coupures d’électricité records, chômage atteignant un niveau inédit, infrastructures en déliquescence, hausse de la criminalité… Les voyants sont au rouge.
Le parti présidentiel, au pouvoir depuis 1994, ne se porte pas mieux. Une partie de ses employés a manifesté devant le centre de conférences pour réclamer le paiement des salaires non réglés. Les donateurs se raréfient. Le dîner de gala organisé pour récolter des fonds a dû réduire la voilure faute de participants. En revanche, l’ANC peut toujours compter sur Patrice Motsepe. Le milliardaire, président de la Confédération africaine de football (CAF) et beau-frère de Cyril Ramaphosa, était présent à l’ouverture de la conférence.
« Peu importent les défis auxquels nous faisons face. Malgré nos lacunes, l’ANC est en vie », s’est réjoui Ramaphosa lors de son discours de clôture. En quittant la conférence, un groupe d’une cinquantaine de militants, pour l’encourager, a défilé en entonnant une chanson à sa gloire. Toute manifestation de soutien est bonne à prendre avant d’affronter la conférence élective de décembre. Cyril Ramaphosa devrait alors briguer un nouveau mandat. Cette fois-ci, toutes les chaises du centre des congrès devraient être occupées. Il se pourrait même qu’on en voit voler.
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