Égypte : petits arrangements avec la révolution

Réconcilier les Égyptiens, sortir du marasme économique, amender la Constitution : les défis à relever d´ici à novembre sont énormes… Une mission à haut risque pour les nouvelles autorités.

Pro-Morsi poursuivi par des partisans de l’armée, dans le centre du Caire, le 22 juillet. © Fayez Nureldine/AFP

Pro-Morsi poursuivi par des partisans de l’armée, dans le centre du Caire, le 22 juillet. © Fayez Nureldine/AFP

Publié le 2 août 2013 Lecture : 6 minutes.

S´il est une qualité dont les nouvelles autorités égyptiennes ne semblent pas dépourvues pour le moment, c´est l´efficacité. Il faut dire qu´elles n´ont guère le choix. Moins de deux semaines après la destitution du président Mohamed Morsi, le 3 juillet, le pays s´est doté d´un président par intérim désigné par l´armée, Adly Mansour, d´une déclaration constitutionnelle détaillant les étapes de la transition à venir, et d´un gouvernement de technocrates qui a prêté serment le 16 juillet. Quatre jours plus tard, lors de son premier entretien à la télévision publique, le Premier ministre, Hazem al-Beblawi, ne manquait pas de souligner : « Ce gouvernement a la plus dangereuse des missions, il doit conduire le pays d´un ancien à un nouveau régime. »

Certains n´ont toutefois pas manqué de faire remarquer que plusieurs personnalités, parmi ses 33 ministres, étaient liées au régime de Hosni Moubarak, notamment la ministre de l´Information, Dorreya Sharaf Eddine, qui faisait partie du bureau politique du Parti national démocratique (dissous en avril 2011) du dictateur déchu, ou encore le ministre des Finances, Ahmed Galal, proche de Gamal Moubarak, l´un des fils de l´ancien président. Le parti salafiste Al-Nour estime quant à lui que le nouveau gouvernement réitère les erreurs commises par Mohamed Morsi et ses Frères, en ce qu´il est « totalement biaisé » au profit d´une seule formation politique : le Front du salut national (FSN). Principale coalition des partis libéraux et de gauche, le FSN est dirigé par des chefs de file de l´opposition, tel que l´ancien chef de l´Agence internationale de l´énergie atomique Mohamed el-Baradei.

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Selon Chehab Waguih, porte-parole du Parti des Égyptiens libres, membre du Front, ces propos sont exagérés : « Les ministères ont été proposés à tout le monde, avec une totale ouverture pour accueillir des candidats d´Al-Nour ou du Parti de la liberté et de la justice [PLJ, des Frères musulmans], mais ils ont refusé. » Et d´ajouter que les ministres « n´ont pas été choisis pour leur appartenance politique mais pour leurs compétences concernant les portefeuilles qu´ils ont à gérer ».

ORDRE

Alors que dans le Sinaï les attaques visant les forces de sécurité sont quasi quotidiennes et que dans les rues du Caire continuent d´éclater des affrontements meurtriers entre partisans et opposants du président Morsi, la priorité du nouveau gouvernement est sans aucun doute de restaurer l´ordre et la stabilité. Car tant que l´insécurité durera, il sera impossible d´attirer les investisseurs, les touristes, et de relancer l´économie, qui est au plus mal.

Cette priorité implique que les nouvelles autorités se penchent sérieusement sur une revendication majeure faite lors de la révolution : la réforme du ministère de l´Intérieur et des appareils de sécurité, tristement connus pour bafouer les droits de l´homme et pratiquer la torture. « La philosophie du ministère n´a pas évolué », estime Alaa al-Din Arafat, chercheur associé au Centre d´études et de documentation économiques, juridiques et sociales (Cedej). Pour le moment, le sujet n´a pas été abordé. Et aujourd´hui le peuple et les forces de l´ordre semblent encore marcher main dans la main, après que les policiers ont été accueillis en héros sur la place Al-Tahrir lors des manifestations du 30 juin. « Mohamed Morsi et les Frères musulmans ont poussé le peuple et les différentes institutions de l´État à s´allier », explique Alaa al-Din Arafat. Avant de préciser que cette union ne devrait pas durer indéfiniment et que le débat ne manquerait pas d´être ouvert prochainement.

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Le gouvernement doit également faire face à la polarisation de la rue égyptienne, qu´est censée résoudre la création d´un ministère de la Justice transitionnelle et de la Réconciliation nationale. Sa tâche s´annonce délicate.

Parmis les portefeuilles senisbles :

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Nabvil Fahmi, ministre des Affaires étrangères, Dorreya Sharaf Eddine, ministre de l’information et Ahmed Galal, ministre des finances.

SACRIFICES

Inflexibles, les Frères refusent toute négociation tant que leur président ne revient pas au pouvoir. Les médias, eux, livrent une guerre ouverte aux partisans de Morsi, auxquels la majorité de la population est hostile. Un sondage publié le 22 juillet par le Centre égyptien pour la recherche sur l´opinion publique (Baseera) révèle que seuls 20 % des Égyptiens éprouvent de la sympathie pour les manifestations des Frères. Ces derniers jours, l´exaspération populaire envers eux s´est accrue, avec les rassemblements récurrents organisés par la confrérie sur des axes et carrefours stratégiques de la capitale pour en paralyser la circulation.

Sur le plan économique, les chantiers ne manquent pas et sont pharaoniques. Selon l´agence statistique égyptienne Capmas, le déficit public a atteint plus de 29,2 milliards de dollars (soit 11,8 % du PIB) sur les onze premiers mois de l´année fiscale 2012-2013. En juin, l´inflation était de 10,9 % et les réserves en devises du pays étaient tombées à 14,9 milliards de dollars. Un niveau inférieur au seuil de sécurité fixé par le Fonds monétaire international (FMI) pour assurer trois mois d´importations.

Il y a bien sûr les quelque 12 milliards de dollars d´aide promis par l´Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et le Koweït, immédiatement après la chute de Morsi. Mais, comme le souligne Nagla Rizk, professeure d´économie à l´université américaine du Caire : « Les aides étrangères sont salutaires, mais on ne peut pas en dépendre indéfiniment. On ne peut pas non plus toujours dépendre des ressources extérieures, que ce soit via le tourisme, les revenus du canal de Suez ou les travailleurs immigrés ; il faut donc développer les secteurs de production. » Elle estime qu´aujourd´hui la priorité du gouvernement est de gagner la confiance de la population. « Il y a des défis économiques importants et la population va devoir faire des sacrifices. Mais pour qu´elle puisse supporter la rigueur, il faut l´inclure dans la prise de décision et faire preuve de transparence, partager avec elle les informations disponibles et montrer ce qui peut être accompli et ce qui ne peut pas l´être. »

VICES DE FORME

Enfin, autre principal défi à relever : l´amendement de la Constitution, adoptée en décembre 2012 par les Frères musulmans et leurs alliés malgré la levée de boucliers suscitée au sein de l´opposition. Le 20 juillet, le président par intérim Adly Mansour annonçait la formation d´un comité composé de dix experts, juristes et représentants des principales institutions judiciaires du pays.

Ce premier comité dispose de trente jours pour apporter des modifications au texte. Un second comité de 50 membres (représentants des partis politiques, des syndicats et de la société civile) devra examiner les amendements proposés dans un délai de soixante jours, avant que le nouveau projet de Constitution soit soumis à un référendum populaire par le chef de l´État. « Mettre en place une Constitution avant l´arrivée d´un nouveau pouvoir permet de la protéger de toute influence que pourrait vouloir exercer ce pouvoir », affirme Raafat Fouda, directeur du département de droit constitutionnel de l´université du Caire.

Cependant, la voie choisie pour former le comité d´experts soulève des interrogations. Le général Mamdouh Chahine, spécialiste des questions constitutionnelles et juridiques au sein du Conseil suprême des forces armées, aurait ainsi joué un rôle important dans le choix des personnalités désignées. « En tant que directeur du département de droit constitutionnel, je n´ai pas été consulté, alors que légalement j´aurais dû l´être. Et trois des quatre experts représentant le domaine universitaire au sein du comité n´ont légalement pas le droit d´y siéger car ils sont à la retraite », affirme Raafat Fouda, qui met en garde contre les conséquences que peuvent avoir de tels vices de forme : « Ce comité aura le même sort que la précédente Constituante. Elle a été dissoute par la Haute Cour constitutionnelle à cause du mode de désignation de ses membres. »

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