Dans l’ancienne gare d’Addis-Abeba, des retraités lancent la boule

Construite par les Français, la ligne reliant Addis-Abeba à Djibouti a été fermée en 2008. Aujourd´hui, dans la capitale éthiopienne, les ouvriers du rail continuent à faire vivre le lieu grâce à un sport bien hexagonal : la pétanque.

Le jeu de boule est l’animation principale du site. © Antoine Galindo et Justine Boulo

Le jeu de boule est l’animation principale du site. © Antoine Galindo et Justine Boulo

Publié le 13 août 2013 Lecture : 2 minutes.

En ce dimanche matin, les tables ont été nettoyées et les verres astiqués. Il est 9 heures, et aujourd´hui c´est tournoi de pétanque au club des cheminots d’Addis-Abeba. Les sexagénaires scrutent le terrain, un bac à sable de 200 m2. En attendant le tirage au sort des équipes, certains inspectent chaque millimètre tandis que d´autres se prennent à rêver du premier prix. « Ce soir, il sera remis par madame Son Excellence l´ambassadrice de France à Addis-Abeba en personne », explique fièrement un papi, dans un costume tiré à quatre épingles. Pour rien au monde, la petite centaine de membres du club ne raterait ça.

Ce sont les Français qui, entre 1897 et 1917, ont construit la ligne de chemin de fer Addis-Abeba – Djibouti. « Pour avoir une bonne place, il fallait parler la langue de Molière », explique Getachew, le président de l´amicale de pétanque. Ce père de cinq enfants a occupé tous les postes, de la gestion du trafic au guichet, en passant par la maintenance des voies. Dans ce temple de la francophilie, les plus âgés parlent tous le français. « Aujourd´hui, les Chinois ont pris la relève et construisent de nouvelles lignes », soupire Getachew. Depuis 2008, la gare d´Addis, ou « lagahar » comme on l´appelle ici, a fermé ses portes, laissant à ses retraités tout le loisir de s´adonner aux boules, dernier héritage français en terre abyssine.

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Le quartier menacé de destruction

Les derniers retardataires arrivent enfin, et la compétition peut commencer. Chaque triplette (équipes de trois) compte un tireur (qui cherche à dégager la boule d´un joueur adverse) et deux pointeurs (qui cherchent à marquer des points en se rapprochant d´une bille de bois de 25 millimètres de diamètre). Plus la journée avance, plus on pinaille. On en vient presque aux mains. Mais on applaudit aussi les beaux coups, par des « konjo ! » et des « bravo ! ».

Si le lieu vivote encore, le quartier est menacé de finir sous un bulldozer, afin de faire place à une route à quatre voies et à un quartier flambant neuf. Des vestiges de la ligne de chemin de fer, les autorités ne garderaient que le bâtiment de la gare. Depuis 2008, la décision reste en suspens. « On ne sait pas quand tout cela sera détruit. Mais quand ça arrivera, je ne veux pas être là pour le voir », soupire Salomon, un ancien cheminot. Du haut de ses 68 ans, dont « trente-sept dans le chemin de fer », son ami Sisay ne peut qu´acquiescer, plein d´amertume.

L´ambassadrice n´a pas fait faux bond. Elle est venue remettre les prix et surtout écouter les doléances. Cette dernière, qui n´a pas été informée du projet de démolition, estime que « la municipalité d´Addis est seule responsable de la modernisation
de la ville. » Et qu´il revient « au club d´en discuter avec elle ».

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Modestement, Paul, l´un des finalistes français ayant participé au tournoi, fera don de ses gains : 500 birrs (20 euros). La retraite mensuelle d´un cheminot s´élève, elle, à 800 birrs. Le club cherche surtout de nouveaux fidèles. « Nous avons besoin des Français », martèle Getachew. Ce dimanche, ils étaient une petite dizaine. Le lieu se vide tandis que les derniers détachent du mur une affiche sortie pour l´occasion. « Le club des cheminots d´Addis s´est bien distingué par ses jeux de pétanque. Venez nous rejoindre ! » peut-on y lire. En français, bien sûr.

– Photos : Antoine Galindo et Justine Boulo

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