Marcolino Moco : « Dos Santos doit partir »
Corruption, népotisme… L’ancien Premier ministre d’Angola, Marcolino Moco, est le seul au sein du parti au pouvoir à dénoncer ouvertement ces fléaux et à réclamer que le président Dos Santos prenne sa retraite.
Marcolino Moco est l´une des rares personnalités à faire autorité en Angola. Celui qui fut Premier ministre entre 1992 et 1996 reçoit chez lui, dans une spacieuse maison du quartier Alvalade, dans le centre-ville de Luanda. Ex-secrétaire général du Mouvement populaire de libération de l´Angola (MPLA), dont il est toujours membre mais non actif, il est le seul au sein du parti au pouvoir à critiquer ouvertement le président José Eduardo dos Santos, à la tête du pays depuis trente-trois ans. Sur un ton calme mais ferme, il explique être affligé par l´autoritarisme et la corruption du régime, dirigé par un homme omnipotent. Son engagement n´est pas politique mais éthique et social, dit-il. À 60 ans, cet avocat originaire de Huambo, ville située à environ 600 km au sud-est de Luanda, appelle le président à faire preuve de courage en renonçant à ses fonctions.
Jeune Afrique : Vu de l´extérieur, l´Angola semble sur le chemin du développement. Le pays vit en paix depuis onze ans et connaît une forte croissance économique. Qu´en est-il sur les plans politique et social ?
Marcolino Moco : Nous vivons dans un climat de tension très proche de celui qui régnait en Égypte et en Tunisie avant le Printemps arabe. L´Angola souffre des mêmes maux : un président au pouvoir depuis des décennies et qui ne veut pas le quitter, entouré d´un groupe d´une vingtaine de proches qui s´enrichissent de manière éhontée. Mais la manipulation, le contrôle des médias et la répression des manifestations ne peuvent durer indéfiniment. Si rien ne change, il y aura aussi un printemps bantou.
Comment éviter cette explosion sociale ?
Au XXIe siècle, un pays ne peut pas conserver le même chef de l´État pendant plus de trente ans. José Eduardo dos Santos doit partir. Il a fait du bon travail en assurant la paix et la reconstruction du pays. Mais en restant au pouvoir, il met en péril l´avenir du pays. Il y a suffisamment de personnes compétentes au sein du MPLA pour lui succéder, que ce soit parmi les anciens ou les plus jeunes. Beaucoup de membres du parti pensent comme moi, et sont préoccupés par la situation. Mais ils n´osent pas aborder le sujet publiquement par peur de représailles.
Dans ce contexte, les partis de l´opposition parviennent-ils à jouer un rôle ?
La pression exercée par l´opposition ne cesse de croître et n´a jamais été aussi forte. Elle se traduit par des plaintes déposées devant la justice, des critiques acerbes sur les inégalités sociales et, récemment, par des offensives médiatiques à l´étranger. Tout cela a d´ailleurs conduit dos Santos à accorder une interview à une télévision portugaise.
Reste le problème fondamental de l´opposition aujourd´hui : son incapacité à être entendue dans le pays en raison du contrôle qu´exerce le pouvoir sur l´ensemble des médias. La libération totale de la société, à commencer par la presse, devrait être son premier combat. Mais sans moyens financiers, en proie à des divisions internes et à des difficultés organisationnelles, il est très difficile de mener cette bataille. Sans parler de l´absence d´une société civile, qui pourrait défendre les libertés individuelles et obliger les hommes du régime à travailler pour la nation, et non pour leurs intérêts propres.
Entre la rébellion historique de l´Unita (Union nationale pour la libération totale de l´Angola) et le jeune parti Casa (Convergence ample de sauvetage de l´Angola), qui peut incarner l´avenir de l´opposition ?
L´Unita d´Isaías Samakuva est la seule à pouvoir le faire, grâce à son implantation nationale et ancienne. Le charismatique Abel Chivukuvuku a certes changé la donne en créant sa coalition Casa, mais il rencontrera des difficultés sur le terrain. Le blocage total auquel procède le parti au pouvoir empêche par ailleurs d´évaluer l´importance des autres acteurs politiques.
Est-il possible de s´attaquer à l´enrichissement illicite des caciques du régime et faut-il punir les coupables ?
C´est une exigence éthique qui devrait faire l´objet de discussions entre les responsables nationaux. Je suis convaincu qu´il ne faut pas entamer de poursuites pour les faits passés et actuels. Il faudrait déclarer une sorte d´amnistie, puis imposer une véritable tolérance zéro face à la corruption à partir de ce moment-là.
Beaucoup de capitaux angolais sont investis à l´étranger. Les partis de l´opposition et les organisations anticorruption dénoncent cette pratique, qui alimente des soupçons de blanchiment d´argent. La communauté internationale doit-elle agir dans ce domaine ?
Cette situation est intolérable, et pourtant l´Europe, et notamment le Portugal, l´acceptent avec un naturel déconcertant. L´argent de l´État, qui devrait être investi en Angola, part massivement au Portugal. Isabel dos Santos, la fille du président, détient près de 20 % de la banque portugaise BPI, entre autres. Kopelipa [Manuel Hélder Vieira Dias, ministre d´État et chef de la « Maison militaire »], Leopoldino [Leopoldino Fragoso do Nascimento, chef du renseignement auprès de la présidence] et Manuel Vicente [vice-président] sont présentés comme des chefs d´entreprise angolais à Lisbonne. Pour préserver ses intérêts économiques avec l´Angola, l´Europe ferme les yeux sur toutes ces malversations. Elle dit par ailleurs tenir au respect des libertés, mais elle ne cesse de réduire ses aides à la société civile angolaise.
>> Lire aussi : Angola : quand Dos Santos évoque sa succession
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Propos recueillis par Estelle Maussion, à Luanda
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