Nigeria : l’héritage économique de Buhari en douze graphiques

« Buhari, le bilan économique » (1/5). Après deux mandats à la tête de l’État mais aussi du ministère du Pétrole, le président sortant affiche un bilan en demi-teinte. La diversification de l’économie reste un vœu pieu et le premier producteur de pétrole du continent semble prisonnier d’une rente pétrolière faussée par la dette et les subventions.

Muhammadu Buhari à Kano pour la libération de 500 détenus, en 2017. © Twitter/Buhari

Publié le 3 août 2022 Lecture : 6 minutes.

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Nigeria : Muhammadu Buhari acte II, quel bilan économique ?

En poste depuis 2015, le chef de l’État devait redresser l’économie et endiguer l’insécurité. À la veille de la prochaine élection présidentielle prévue en février 2023, l’heure est aux bilans. 

Sommaire

Muhammadu Buhari avait accédé à la magistrature suprême en 2015, puis il a été réélu quatre ans plus tard, notamment sur la promesse de redresser l’économie. À quelques mois de la prochaine élection à laquelle il ne sera pas candidat, retour sur les échecs et les succès du mandat de celui dont le slogan de campagne disait : « Si nous ne tuons pas la corruption, la corruption tuera le Nigeria ».

>> À lire sur The Africa Report – Buharinomics : 12 graphs to understand Buhari’s economic legacy

  • Croissance économique

Sous la présidence Buhari, l’économie du Nigeria est entrée en récession deux fois en cinq ans. Celle de 2016 était la première en 25 ans, provoquée par la chute des prix du pétrole et la réduction de la capacité de production. En 2020, la pandémie a fortement fait baisser la demande de pétrole, ce qui a entraîné le plongeon des prix, de 60 dollars le baril en décembre 2019, à 18 dollars en avril 2020. Comme Muhammadu Buhari supervise également le ministère fédéral des Ressources pétrolières dont Timipre Silva est le secrétaire d’État, sa gestion inefficace du secteur pèse lourd à l’heure des bilans.

Avant la récession de 2016, certains analystes s’attendaient à ce que le président supprime la subvention sur le carburant, qui continue de plomber les recettes publiques. Au lieu de cela, il l’a doublée, négligeant l’occasion de protéger l’économie contre les chocs à venir liés aux baisses du prix du pétrole.

Le vandalisme, ainsi que les vols de pétrole à grande échelle, ont considérablement réduit la production de brut du pays et ont poussé de nombreuses compagnies pétrolières, étrangères telles que Shell et Eni, à déclarer la force majeure dans certains de leurs points de vente, réduisant toujours plus la production.

Alors que les prix du pétrole avoisinent aujourd’hui les 100 dollars le baril pour la première fois en sept ans, le Nigeria ne parvient pas à atteindre le quota qui lui a été attribué par l’Opep et, par conséquent, ne peut pas bénéficier de la flambée des prix du pétrole.

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  • Diversification économique

La dépendance excessive aux recettes pétrolières et les résultats insuffisants de la campagne de diversification du gouvernement ont exacerbé les crises de 2016 et 2020. Le pétrole ne contribue qu’à hauteur de 10 % à l’économie du pays, mais il a généré la majeure partie des recettes et des gains en devises.

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Selon la Banque mondiale, et pour les cinq dernières années, il représente 50 % des recettes et génère 80 % des devises étrangères détenues par le pays. Même si la part des recettes pétrolières dans les recettes totales n’a cessé de diminuer, l’augmentation du pourcentage des recettes non pétrolières n’est pourtant pas entièrement le fruit de la diversification économique. En effet, comme le montre le graphique ci-dessus, alors que le secteur pétrolier a diminué en moyenne de 3,83 % au cours des sept années considérées, le secteur non pétrolier n’a augmenté que de 1,31 %.

Les recettes fiscales non pétrolières ont toutefois presque doublé en sept ans, même si leur part (68,65 %) du total des recettes fiscales reste à peu près la même qu’en 2015 (65,53 %). On peut en conclure que les efforts de diversification de l’économie n’ont pas vraiment fonctionné.

  • Chômage

Sous la présidence Buhari, le taux de chômage a quadruplé, passant de 7,98 % en 2014 à 33,3 % en 2020. En 2021, 23,2 millions de Nigérians étaient au chômage et 42,5 %, soit plus de 12,7 millions de jeunes, sont au chômage.

La stratégie de création d’emplois du président Buhari s’est largement appuyée sur des programmes gouvernementaux, comme le N-Power qui employait temporairement des jeunes, principalement dans des écoles primaires, contre une allocation. Mais aussi, sur les emplois dans un secteur agricole encore largement consacré à la subsistance, sans vision plus large de la chaîne de valeur dans son ensemble.

Cette politique de l’emploi est critiquée par ceux qui déplorent la participation négligeable du secteur privé dans cette lutte et alertent sur le manque de capacité du gouvernement à assumer durablement la masse salariale des millions de personnes qu’il tentait d’enrôler.

  • Investissements étrangers

Les flux de capitaux vers le Nigeria ont diminué de plus de moitié, passant de plus de 20 milliards de dollars en 2014 à plus de 9 milliards de dollars en 2015. Ils ont encore diminué de près de moitié l’année suivante, après quoi ils ont constamment augmenté jusqu’à ce que le pays connaisse une nouvelle récession en 2020. Il est depuis tombé à 6,7 milliards de dollars en 2021, contre plus de 22 milliards de dollars en 2019.

L’année dernière, 24 états sur 36, ainsi que le territoire de la capitale fédérale, ont attiré zéro investissement. 10 de ces 24 états n’avaient pas attiré d’investissements au cours des trois dernières années.

La chute des capitaux étrangers a été largement provoquée par l’aggravation de l’insécurité, qui s’est étendue à de nouvelles régions sous la présidence Buhari. En outre, le manque de fiabilité de l’administration des changes et l’imprévisibilité de l’environnement politique dissuadent les investisseurs de prendre le moindre risque.

  • Dépenses publiques

Ces mandats rentreront dans l’Histoire pour avoir été ceux où le Nigeria a moins dépensé dans des investissements, que dans le fonctionnement de son administration : Muhammadu Buhari a doublé les dépenses récurrentes en sept ans.

D’autre part, les dépenses en capital ont triplé, même si leur part totale reste inférieure à 25 %.

Sur cette période, le gouvernement a toujours été déficitaire mais l’administration Buhari a presque multiplié le déficit par neuf.

  • Dette 

Le gouvernement a dû recourir à l’emprunt, car il ne génère pas assez de recettes et n’attire pas suffisamment de capitaux étrangers. L’administration Buhari a doublé le ratio dette/PIB qui passera de 17,5 % en 2014 à 35 % en 2020. En comparaison, le ratio dette/PIB de l’Afrique du Sud est de 69,45 %, celui de l’Égypte à 89,84 %, de l’Éthiopie à 57,92 % et du Kenya à 67,57 %.

Selon les données mises à disposition par le Bureau de gestion de la dette du Nigeria, la dette extérieure totale du gouvernement fédéral et des États a explosé.

Par conséquent, le rapport annuel entre les services publics et les recettes du gouvernement fédéral est passé de 25 % en 2014 à plus de 60 % en 2020, et plus de 76 % en 2021 (de janvier à novembre). Cette situation pourrait s’avérer insoutenable, étant donné que le pays ne peut se permettre de dépenser la quasi-totalité de ses revenus au service de la dette. La présidence fait valoir que la plupart des dettes qu’elle contracte sont consacrées à des infrastructures essentielles, qui, selon elle, soutiendront la croissance économique.

Compte tenu de la volatilité de l’économie, les investisseurs exigent une prime de risque plus élevée pour les euro-obligations nigérianes, ce qui continue de creuser le service de la dette. Le gouvernement Buhari a admis que cela représentait un problème parce qu’il n’est pas en mesure d’augmenter les recettes à un niveau suffisant pour faire face à la hausse des emprunts.

  • Balance commerciale 

Les points forts de la politique commerciale de Buhari ont été la fermeture des frontières terrestres et l’interdiction de l’accès au marché des changes pour plus de 40 articles. L’interdiction d’importer du riz afin d’atteindre l’autosuffisance en est un exemple.

Les importations ont commencé à augmenter et ont même atteint un pic de 100 milliards de dollars après la récession de 2016, mais ont commencé à décliner après la fermeture des frontières en 2019.

  • Inflation

L’inflation est l’un des principaux échecs de Buhari, notamment auprès des pauvres qui constituent sa base électorale la plus fidèle. En 2017, le taux d’inflation avait déjà doublé pour atteindre 16,5 %. En mars 2021, il a atteint 18,17 % mais a commencé à baisser.

Sachant que les Nigérians dépensent 56,65 % de leur revenu en achats alimentaires en nourriture, la hausse des prix de l’alimentation se fait sentir dans toute l’économie.

En tant que président dont les messages politiques et l’agenda économique ont tourné autour du soutien aux Nigérians pauvres et ordinaires, on se souviendra peut-être de Buhari pour l’augmentation du coût de la vie qui a mis sous pression de larges pans de l’électorat.

  • Devises étrangères et taux de change

Depuis 2014, les niveaux de réserves de change sont restés relativement stables en raison d’une gestion stricte des changes. Par exemple, les Nigérians ne peuvent pas dépenser plus de 20 dollars sur leur carte locale pour des transactions à l’étranger.

Aujourd’hui, la valeur officielle de la monnaie équivaut à 413 naïras pour 1 dollar, alors qu’elle se négocie à plus de 580 naïras sur le marché parallèle. Afin d’encourager les exportations non pétrolières et l’entrée de devises étrangères, le gouvernement fédéral a lancé une politique de rabais visant à verser aux exportateurs non pétroliers 65 naïras pour chaque dollar qu’ils font entrer officiellement dans le pays.

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