Ahmed El Haij, la philo et le marteau
À 57 ans, Ahmed El Haij prend la tête de l’Association marocaine des droits humains. Ne pas se fier à son air placide : l’ancien syndicaliste pourrait surprendre.
Un autre Maroc ?
« Je ne suis qu’un membre de l’association parmi d’autres. » C’est ainsi qu’Ahmed El Haij tient à se présenter, gêné à l’idée même d’évoquer sa vie et son parcours. Ce professeur de philosophie a été élu, le 11 mai, président de l’Association marocaine des droits humains (AMDH) pour un mandat de trois ans. Il succède à Khadija Ryadi, qui dirigeait l’organisation depuis 2007. « Il a tendance à jouer les conciliateurs et gère bien les conflits internes, dit-elle. Très calme, il se maîtrise parfaitement. » L’ancien syndicaliste n’en est pas moins monté au créneau à maintes reprises. Depuis l’adolescence, il a le militantisme chevillé au corps.
À 57 ans, Ahmed El Haij fait partie de la vieille génération, celle des années de plomb sous le règne de Hassan II. Fils d’un « indigène » ayant combattu pour la France libre lors de la Seconde Guerre mondiale, il est issu d’une famille nombreuse et modeste de Khémisset (70 km à l’est de Rabat). Au lycée, il fréquente les mouvements syndicalistes clandestins. Après son bac, le jeune homme, passionné de littérature, s’inscrit à la faculté de lettres de Rabat. Il y poursuit son engagement politique et syndical, adhérant pendant quatre ans à l’Union nationale des étudiants du Maroc (Unem). Il devient membre de l’AMDH dès sa création, en 1979. C’est aussi l’époque d’une intense effervescence culturelle. Haij pratique alors le théâtre très régulièrement, jouant notamment dans une association dirigée par le célèbre dramaturge Abdelkrim Berrechid. Une fois son diplôme obtenu, il est nommé professeur de philosophie dans un lycée d’Oued Zem, ville minière du centre du royaume.
En novembre 1985, sa vie bascule. Il est arrêté par les forces de l’ordre pour appartenance à Ila Al Amame (« en avant »), mouvement politique d’inspiration marxiste-léniniste réprimé sous Hassan II. « J’ai passé six ans en prison avec une bonne partie de mes camarades ; nous avons connu des moments très durs, mais nous avons continué à lutter, notamment en faisant plusieurs grèves de la faim pour améliorer nos conditions de détention », se souvient-il.
Déterminé
Le professeur et ses compagnons bénéficient d’une grâce générale en août 1991. Loin d’abandonner son combat politique, Ahmed El Haij sort plus déterminé que jamais de son expérience carcérale. De retour à Khémisset, où il enseigne dans son ancien lycée, il reprend ses activités au sein de l’AMDH et de l’Union marocaine du travail (UMT). Marié et père d’une fille de 2 ans, ce féru de philosophie dit ne pas avoir de maître à penser. « En ce moment, je m’intéresse beaucoup aux Allemands de l’école de Francfort, mais j’apprécie aussi les auteurs français comme Derrida, Foucault ou Deleuze », précise-t-il, tout en avouant, aussi, un penchant pour le poète palestinien Mahmoud Darwich.
Très impliqué dans la défense des droits culturels et sociaux, le nouveau président de l’AMDH a notamment été l’un des artisans de la reconnaissance officielle de la langue amazigh dans la nouvelle Constitution. Protection des libertés, combat contre la montée de la répression policière depuis février 2011, mais aussi contre l’illettrisme, le coût de la vie et la progression de la pauvreté : Ahmed El Haij veut renforcer l’action de l’AMDH. Il sait qu’il a fort à faire mais qu’il pourra aussi s’appuyer sur un bureau central rajeuni et féminisé. Un choix « crucial et stratégique pour l’avenir de l’association », selon son nouveau président.
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Benjamin Roger
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