« Nope » de l’Africain-Américain Jordan Peele : ciel, un ovni !
Le premier cow-boy était-il Africain-Américain ? Vous le saurez en allant voir le dernier film du réalisateur de « Get out » et de « Us », un mélange réussi de western, de comédie, d’horreur et de SF.
Il n’en est qu’à son troisième long-métrage et, pourtant, l’Africain-Américain Jordan Peele, à peine quadragénaire, est devenu en l’espace de cinq ans un réalisateur star aux États-Unis et dans le monde. Voire le nouveau maître du film d’horreur, dans une veine atypique puisqu’il laisse courir son imagination fertile et son style virtuose bien au-delà des lois du genre : il ne dédaigne ni les traits d’humour ni les scènes inattendues, et fait référence à tous les types de cinémas pour mixer thriller, comédie, satire, divertissement et prises de position sociétales ou politiques.
Succès surprise
Il y eut d’abord, en 2017, Get out, qui racontait comment un Africain-Américain venu rendre visite à sa future belle-famille avec sa compagne tombait dans un horrible piège tendu par ses hôtes, qui se révélaient être des suprémacistes, ultra-racistes et adeptes des pires tortures. Un film sous forme de huis clos, donc à petit budget (4,5 millions de dollars), qui allait rapporter plus de cinquante fois la mise avec 255 millions de dollars de recettes. Presque un score de blockbuster !
Il y eut ensuite, en 2019, Us, où une famille d’Africains-Américains voyait ses vacances virer au cauchemar. Parents et enfants étaient aux prises avec des agresseurs qui n’étaient autres que des doppelgängers, autrement dit des doubles d’eux-mêmes. Cette histoire, aussi invraisemblable que spectaculaire, a été un succès, certes moins inattendu que le premier, mais du même ordre, avec un box office de 275 millions de dollars.
Jordan Peele récidivera-t-il avec son nouveau long-métrage qui, malgré son titre minimaliste (« nope » est une façon familière de dire « non », en anglais), est beaucoup plus ambitieux que les précédents ? La major Universal n’a en tout cas pas craint de lui accorder un budget de 65 millions de dollars pour le tourner. Le film a déjà rapporté 44 millions lors de son premier week-end d’exploitation aux États-Unis, à la fin de juillet. Un pari qui n’était pas gagné d’avance avec un long-métrage qui lorgne une nouvelle fois vers l’horreur, mais aussi vers le western, le suspense, la comédie et, surtout, la science-fiction la plus débridée.
Nuage immobile
Le pitch : un frère et une sœur africains-américains héritent d’un ranch dans une région désertique de Californie après la mort mystérieuse de leur père, Otis Haywood. Celui-ci, qui élevait et montait ses chevaux comme ses propres parents avant lui pour les louer à des producteurs de films ou de séries, a été atteint par un projectile apparemment tombé du ciel.
Ses enfants, Otis junior (alias « Oj ») et Emerald (alias « Em ») ne partagent pas la même vision de l’avenir. Le premier veut perpétuer l’affaire familiale. La seconde ne rêve que de trouver célébrité et fortune à Hollywood, quitte à vendre la propriété et les chevaux « artistes » qu’elle abrite.
Ils devront toutefois faire cause commune quand ils apprennent que le décès de leur père a été très probablement provoqué par un ovni, mi-soucoupe volante mi-créature féroce, se cachant derrière un nuage immobile et menaçant les résidents des environs. L’obsession commune d’Oj et d’Em sera alors, outre de rester en vie, de réussir à obtenir des images de cet ovni pour les diffuser sur les réseaux sociaux afin de sauver le ranch et de se couvrir de gloire grâce à cet incroyable scoop.
De Lupita Nyong’o à Keke Palmer
Au fil du scénario, plutôt complexe, l’on évoque ou l’on croise des personnages pour le moins étonnants. Par exemple, cet Asiatique, ancien enfant-acteur célèbre, qui, après avoir échappé de justesse à la mort lors d’un tournage au cours duquel il avait été agressé par un gorille, a créé un manège géant où l’on rejoue des scènes de westerns, et qui rêve désormais d’acheter le ranch des Haywood. Ou encore ce chef opérateur, vedette de Hollywood, qui aide à capter des images de l’ovni au péril de sa vie grâce à un appareil des débuts du cinéma. Ou encore et surtout, un ancêtre des Haywood qui, selon ses descendants, a été le premier cavalier à apparaître dans une série d’images animées à la fin du XIXe siècle, ce qui démontrerait que le premier cow-boy de l’histoire du cinéma fut un Africain-Américain.
Le secret des succès de Jordan Peele ? Proposer, avec grand talent, des histoires haletantes, habitées par des personnages dignes des séries B, ce qui pimente et confère un côté décalé au récit. Son sens du casting et de la direction d’acteurs – y compris des plus connus, comme l’oscarisée Lupita Nyong’o dans Us – nous vaut des performances de comédiens exceptionnelles.
Dans Nope, comment ne pas être enthousiasmé par le jeu de Keke Palmer, qui incarne la très déjantée Emerald avec un entrain « no limit », et par celui de Daniel Kaluuya, qui, après avoir été le héros de Get Out, interprète aussi sobrement que puissamment le rôle d’Otis junior ?
Mythes hollywoodiens tournés en dérision
Venu assez tard à la réalisation, Jordan Peele s’était surtout fait connaître comme acteur, notamment avec le duo plein de fantaisie Key and Peele. Ceci explique sans doute l’aisance avec laquelle il parvient à glisser ses comédiens dans la peau de personnages peu communs, en évitant – presque toujours – de tomber dans la farce. Ses films sont en outre conçus de manière à faire réfléchir les spectateurs, fût-ce à leur insu. Dans chacun d’eux en effet, et sans tenir un discours militant, Peele évoque la situation des Africains-Américains et s’offre le luxe de tourner en dérision plusieurs mythes hollywoodiens ou la société du spectacle magnifiée par les réseaux sociaux. S’il s’estime privilégié, c’est parce qu’il peut, dit-il, faire financer par Universal un film d’horreur à gros budget dans lequel « le premier rôle est Noir ». Nul doute qu’après Nope, il n’aura aucun mal à poursuivre dans cette voie.
Nope, de Jordan Peele, sortie en France le 10 août 2022
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