Derrière Bernard Tapie, l’ombre du « cardinal » Guéant

Rebondissement dans le différend qui oppose Bernard Tapie au Crédit lyonnais : ses biens ont été saisis. Et c’est Claude Guéant qui devrait bientôt se retrouver dans le collimateur des juges.

L’ancien patron de l’Olympique de Marseille, au Stade-Vélodrome, le 26 mai. © Karine Villalonga/SIPA

L’ancien patron de l’Olympique de Marseille, au Stade-Vélodrome, le 26 mai. © Karine Villalonga/SIPA

ProfilAuteur_AlainFaujas

Publié le 25 juillet 2013 Lecture : 4 minutes.

Pour justifier la saisie des biens de Bernard Tapie, le 28 juin, les juges Serge Tournaire et Guillaume Daïeff écrivent dans leur ordonnance que l’homme d’affaires mis en examen « apparaît comme le principal bénéficiaire des sommes versées par le CDR [Consortium de réalisation, chargé de solder le passif du Crédit lyonnais] au terme d’une escroquerie dont il apparaît comme l’un des organisateurs ».

Il fallait donc cette mesure conservatoire pour préserver les intérêts de l’État, partie civile, et éviter que le bénéficiaire présumé n’organise son insolvabilité. N’avait-il pas, naguère, vidé son hôtel particulier de ses meubles avant une saisie ? Mais qui était l’organisateur en chef du plan qui, en 2008, a contraint l’État à verser à Tapie 403 millions d’euros pour en finir avec le contentieux qui opposait celui-ci au Crédit lyonnais dans l’affaire de la cession de la firme Adidas ?

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Le scénario tel que l’ont reconstitué les juges conduit tout droit à l’Élysée, où Tapie s’est rendu à vingt-deux reprises entre 2007 et 2009. Les comploteurs auraient d’abord imaginé recourir à l’arbitrage pour sortir du bourbier judiciaire : Christine Lagarde, alors ministre de l’Économie et des Finances, et Stéphane Richard, son directeur de cabinet, aujourd’hui patron d’Orange, se sont laissé convaincre par les conseillers du président de la République de la validité de cette procédure.

Tout porte à croire que c’est Claude Guéant, qui fut secrétaire général de l’Élysée de 2007 à 2011 – Tapie, paraît-il, l’ "aime beaucoup" -, qui était à la manoeuvre.

Il fallait ensuite obtenir la désignation d’un arbitre « ami ». Or Me Maurice Lantourne, l’avocat de Tapie, avait des liens de longue date avec l’ancien magistrat Pierre Estoup. C’est donc celui-ci qui, sous la pression de l’Élysée, a été choisi comme rédacteur de l’arbitrage favorable à l’homme d’affaires. Tout porte à croire que c’est Claude Guéant, qui fut secrétaire général de l’Élysée de 2007 à 2011 – Tapie, paraît-il, l’« aime beaucoup » -, qui était à la manoeuvre. Le cardinal, comme on le surnomme parfois, devrait être bientôt entendu par les juges.

Le Tapie indestructible, le phénix qui toujours renaît de ses cendres, l’homme qui a résisté à des condamnations pour abus de biens sociaux, fraude fiscale ou trucage d’un match de football, et même à une incarcération, est donc de retour. Alors que le montant de sa fortune avoisine 300 millions d’euros, il a avancé des chiffres variables concernant le montant de la somme qu’il a obtenue de l’arbitrage. « Nettement moins que 100 millions », a-t-il déclaré au Parisien. Puis « 180 millions », au micro d’Europe 1. Toujours est-il que les juges ont fait saisir son hôtel particulier de la rue des Saints-Pères, sa villa La Mandala, à Saint-Tropez, un compte d’assurance-vie, un yacht ancré à Marseille (le Reborn), un jet, ainsi que des biens le plus souvent domiciliés dans des paradis fiscaux. La valeur de l’ensemble est d’environ 280 millions d’euros, somme correspondant à peu près à ce que l’État entend récupérer. Le couple Tapie conserve la jouissance de ces biens, mais ne peut plus les vendre.

Roublard

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Comédien hors pair, l’homme d’affaires riposte en déclarant que « la France ressemble de plus en plus à la Corée du Nord : on flingue d’abord et on jugera plus tard ». Il jure être dépouillé et que cela menace trois mille emplois dépendant de lui, notamment les salariés du quotidien La Provence. Tour à tour, il affiche son patriotisme (« quand ils m’ont ruiné, je suis quand même resté là ») ou son envie d’ailleurs, à l’instar d’un Gérard Depardieu devenu citoyen russe (« on est quelques-uns à vouloir se casser et vous laisser entre Français »).

Menaçant, il prévient que « si on annule l’arbitrage, cela coûtera dix fois plus cher ». Roublard, il a proposé au Parti radical de gauche (PRG), membre de l’actuelle majorité, dont il fut naguère le député à Marseille, de reprendre du service contre le Front national, que les sondages annoncent en deuxième position aux municipales dans cette ville. Mais Jean-Michel Baylet, le président du PRG, a estimé qu’il était impossible de faire campagne avec Tapie tant que celui-ci n’aurait pas été « reconnu innocent ».

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Oubliant que l’homme d’affaires fut naguère (1994) son adversaire acharné, Jean-Claude Gaudin, le maire UMP de Marseille, indique une piste quand il déclare : « Je suis très surpris de cette saisie, étonné de cet acharnement. Si Bernard Tapie n’avait pas apporté son soutien à Nicolas Sarkozy, les choses seraient sans doute allées autrement. » Veut-il dire que l’arbitrage n’aurait pas été décidé si l’homme d’affaires n’avait pas appelé à voter pour l’ancien président ?

Car derrière Claude Guéant se profile l’ombre de celui-ci. Tapie nie avoir jamais parlé de ses démêlés judiciaires avec Sarkozy, jure que celui-ci n’était pas « à la manoeuvre » pour l’aider, mais suppose qu’il était informé. Il conclut que l’affaire est politique : « C’est lui qu’on visait dans les faits. » Ici commence l’énigme. Guéant ne peut avoir agi sans l’aval du président. Mais quel aurait été l’intérêt de celui-ci d’avantager un débatteur certes redoutable, mais à la réputation sulfureuse ? Un financement électoral ? La récupération par la droite des radicaux de gauche ? Des conseils pour des coups tordus ? Peu plausible.

Reste la fascination. Ne dit-on pas que François Mitterrand répondit un jour à l’un de ses proches qui lui reprochait d’avoir fait de Bernard Tapie son ministre de la Ville : « Que voulez-vous, j’ai un faible pour les voyous » ?

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