États-Unis – Affaire Trayvon Martin : le verdict de la honte
Il s’appelait Trayvon Martin et portait une capuche. Un soir de février 2012, l’adolescent noir a été abattu par un vigile nommé George Zimmerman. Le 13 juillet 2013, ce dernier a été acquitté par un tribunal de Floride. Retour sur une affaire qui fait resurgir les démons du racisme et de la ségrégation aux États-Unis.
On se saura jamais ce qui s’est passé le 26 février 2012, vers 19 heures, dans un lotissement de Sanford, en Floride. Seule certitude : Trayvon Martin, un adolescent noir de 17 ans, a trouvé la mort alors qu’il rentrait chez lui, la capuche de son blouson rabattue sur la tête – il pleuvait – et un sac de bonbons dans la poche. L’histoire retiendra que son meurtrier, George Zimmerman, un Hispanique de 29 ans (sa mère est péruvienne), qui était garde bénévole du lotissement et rêvait d’être policier, a été acquitté. Cette décision, rendue le 13 juillet, a relancé l’éternel débat sur le racisme en Amérique et provoqué des manifestations de protestation dans la plupart des grandes villes. Les 15 et 16 juillet, celles de Los Angeles ont mal tourné.
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Une loi inique protège l’accusé
Car beaucoup en sont convaincus : s’il avait été noir, Zimmerman serait aujourd’hui en prison. Las, au terme de seize heures de délibération, les six jurées, cinq Blanches et une Hispanique (leur identité a été tenue secrète), ont estimé qu’il avait agi en légitime défense. C’est que la loi Stand Your Ground, en vigueur en Floride comme dans près de la moitié des États américains, ressemble aux lois ségrégationnistes en vigueur jusqu’en 1964. Elle autorise l’utilisation d’une arme à feu, même hors de son domicile, en cas de péril pour sa vie ou d’un dommage corporel.
Au lendemain des faits, cette loi inique avait permis d’étouffer dans l’oeuf toute enquête contre Zimmerman, qui n’a été arrêté, six semaines plus tard, qu’après le renvoi du chef de la police de Sanford, la nomination d’un nouveau procureur et l’ouverture d’une nouvelle enquête. Le tollé avait alors gagné la Maison Blanche, Barack Obama allant jusqu’à déclarer que s’il avait eu un fils, il aurait ressemblé à Trayvon Martin.
Ce procès laisse donc un goût amer. En raison de son verdict, bien sûr, mais aussi des nombreuses erreurs qui ont marqué l’instruction. La première est imputable au procureur, qui, plutôt que l’homicide, a choisi de retenir la qualification de crime aggravé, qui implique que Zimmerman ait été mû « par un esprit dépravé ». Pas facile à prouver ! Par ailleurs, le fameux sweat à capuche de Trayvon n’a pas été conservé dans de bonnes conditions. Résultat : de précieuses traces d’ADN ont disparu. Et ne parlons même pas d’une série de déclarations plus ou moins surréalistes comme celle de Zimmerman, qui, avant son arrestation, a estimé que la mort du jeune Noir avait été décidée par Dieu ! Ou celle de la jurée B37 (son numéro pendant le procès), qui, deux jours après le verdict, a expliqué sur CNN que « George », comme elle l’appelle, avait été attaqué par Martin. Avant d’annoncer qu’elle avait signé un contrat pour l’écriture d’un livre…
Encore la défense a-t-elle, au dernier moment, refusé d’exploiter le fait que des traces de marijuana ont été découvertes dans le corps du défunt. Avant le procès, elle avait pourtant tout fait pour tenter de salir sa mémoire, le présentant comme peu assidu à l’école et fasciné par les gangs, bien que son casier judiciaire fût vierge.
Des questions resteront à jamais sans réponse. Pourquoi, par exemple, alors que Zimmerman prétend que l’adolescent a saisi le revolver qu’il portait à la ceinture, l’ADN de ce dernier n’a-t-il pas été retrouvé sur l’arme ? Ou pourquoi l’arrière de la tête du vigile ne portait-il aucune blessure sérieuse alors que, à en croire celui-ci, Martin le lui a cogné à vingt-cinq reprises contre le bitume ?
Des preuves trop légères
Plusieurs éléments ont pesé lourd, comme le témoignage d’un expert en balistique qui a estimé que la trajectoire de la balle corroborait le récit de Zimmerman. Ou celui du seul témoin visuel, un riverain qui, bien que se trouvant loin de la scène, a juré avoir vu Martin, placé au-dessus de Zimmerman, lui asséner plusieurs coups. Les fluctuations de Tracy, le père de l’adolescent, concernant un appel au secours que l’on entend distinctement sur un enregistrement téléphonique ont également pesé lourd. Ce cri est impossible à identifier en raison de sa brièveté. Dans une première déposition, Tracy Martin avait estimé qu’il ne s’agissait pas de la voix de son fils, avant de changer d’avis. L’attitude désinvolte du principal témoin à charge, l’adolescente avec laquelle Martin était au téléphone juste avant sa mort, a également déplu aux jurées. La jeune fille a plusieurs fois menti et souvent utilisé à la barre des mots d’argot…
Ce procès n’aura donc pas permis – mais pouvait-il en être autrement ? – de faire reculer les préjugés qui, selon toute vraisemblance, ont poussé Zimmerman à juger suspecte l’attitude de Martin et à le suivre, alors que la police lui avait intimé l’ordre de rester dans sa voiture. Qu’avait-il en tête quand, sur un enregistrement, on l’entend déclarer que « ces vauriens s’en sortent toujours à bon compte » ? Simple allusion aux cambriolages dont le lotissement avait été le théâtre au cours des mois précédents, ou jugement péremptoire selon lequel un adolescent noir à capuche n’y avait pas sa place ?
L’élément racial est, à l’évidence, omniprésent dans cette affaire – y compris dans la bouche de Martin, lequel, au téléphone avec son amie, qualifie Zimmerman de cracker, mot péjoratif pour désigner les Blancs. Cela n’empêche pas la jurée B37 d’affirmer qu’il n’a joué aucun rôle dans le procès. Ce que conteste une bonne partie du pays. Les Noirs sont constamment l’objet de contrôles agressifs. En 2012, 136 d’entre eux ont été tués par des policiers ou des vigiles. Pour nombre d’Américains blancs, ils demeurent d’éternels suspects. À l’inverse, nombre d’Africains-Américains sont favorables à un nouveau mouvement pour les droits civiques, qui, cette fois, n’aurait pas le visage de Rosa Parks, mais celui un peu poupin de Trayvon Martin.
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