Tunisie : faut-il craindre un retour des anciens cadres du régime de Ben Ali ?

Certains politiques estiment qu’en libérant des hommes de Ben Ali, la justice tunisienne a ouvert la boîte de Pandore. Et redoutent un retour des membres du RCD aux affaires.

Le 7 juillet, Hamed Karoui (au centre) vice-président de l’ancien parti au pouvoir, à Tunis. © HICHEM

Le 7 juillet, Hamed Karoui (au centre) vice-président de l’ancien parti au pouvoir, à Tunis. © HICHEM

Publié le 30 juillet 2013 Lecture : 6 minutes.

Premiers mis en cause pour abus de pouvoir et malversations dans la gestion du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD, parti de l’ex-président Ben Ali, dissous en mars 2011), Abdallah Kallel, ancien président de la Chambre des conseillers, et Mohamed Ghariani, ex-secrétaire général du RCD, sont désormais libres. Ils n’ont bénéficié ni d’une grâce présidentielle ni d’une clémence de la justice à la faveur du ramadan. L’un a simplement purgé sa peine et l’autre a été blanchi.

Mais ces levées d’écrou en série ne sont pas du goût de tout le monde. La Ligue nationale de protection de la révolution (LNPR), qui a fait de la menace d’un retour de l’ancien régime son fonds de commerce, ne décolère pas. Cette milice islamiste soutenue par Ennahdha et par le Congrès pour la République (CPR), formations qui dirigent aujourd’hui la Tunisie, donne de la voix et ordonne au gouvernement tunisien de réincarcérer, ni plus ni moins, « ces assassins qui ont commis des crimes contre le peuple et le pays ». Elle exige « le nettoyage et le jugement » et menace de « s’en remettre à la rue ». Une position partagée par quelques leaders politiques, dont Abderraouf Ayadi, fondateur du mouvement Wafa (formé en mai 2012 par des dissidents du CPR), et Imed Daimi, secrétaire général du CPR, qui dénoncent le manque d’indépendance d’une justice encore noyautée par le RCD.

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Immunisation ou justice transitionnelle ?

Ils savent pourtant que plus rien ne peut être retenu contre Ghariani, et peut-être même pas contre Kallel. Mais cette libération très médiatisée est une occasion supplémentaire pour enfoncer le clou du projet de loi sur l’immunisation de la révolution, qui revient à exclure de la scène politique près de 10 000 Tunisiens, anciens cadres du RCD. Contestée aussi bien par la société civile que par les partis démocratiques, cette proposition soumise à l’Assemblée nationale constituante (ANC) doit être de nouveau débattue en plénière le 23 juillet. Si les formations politiques s’accordent, en général, à rejeter tout ce qui a trait à l’ancien parti au pouvoir, beaucoup préféreraient mettre en place un réel processus de justice transitionnelle qui soit capable de traiter les dossiers de l’ère Ben Ali de manière transparente et équitable.

>> Lire : Tunisie : Faut-il interdire d’interdire ?

Toutefois, certains s’entêtent à vouloir éloigner les « représentants d’un régime pourri », par crainte de voir ces derniers revenir sur la scène politique. Une crainte qui semble justifiée par l’annonce faite par Hamed Karoui le 7 juillet. À 85 ans, l’ex-Premier ministre (de 1989 à 1999) et ancien vice-président du RCD dissous a organisé un meeting à Tunis et a dit vouloir réunir la famille destourienne au sein d’une nouvelle formation politique.

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Par ailleurs, quand le néodestourien Béji Caïd Essebsi, Premier ministre de février à décembre 2011, clame que « l’exclusion des anciens du RCD est anticitoyenne », il est largement entendu. Le succès de son parti, Nida Tounes (« l’appel de la Tunisie »), en tête de tous les sondages ces derniers mois, le confirme. Enfin, en tentant de s’attirer les voix d’El-Moubadara (« l’initiative »), le mouvement centriste de Kamel Morjane, ancien ministre de la Défense (2005-2010) et chef de la diplomatie dans les gouvernements Ghannouchi (2010-2011), les islamistes ont eux-mêmes démontré que le paysage politique ne pouvait faire abstraction d’une tendance historique pour le pays, même si elle a été en partie pervertie par les années Ben Ali. En fait, c’est surtout l’entrée en scène inopinée de Hamed Karoui qui déconcerte les postulants aux prochaines élections. Ils ne sont pas dupes. Il ne s’agit pas d’une initiative de regroupement politique de plus.

Les transfuges de l’ancien régime sont porteurs de propositions concrètes, ils ont des réseaux assez solides pour fédérer les citoyens autour de solutions de sortie de crise pour le pays. Béji Caïd Essebsi et Hamed Karoui sont des hommes d’appareil, ils connaissent la musique. Et ils ne ferment pas la porte aux discussions – « les partis politiques sont condamnés à travailler ensemble », disent-ils en substance. Ils dérangent, mais il serait bien difficile de les arrêter. À moins de les exclure…

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"Suppôts du RCD"

Le seul argument pour leurs rivaux politiques est d’en faire des « suppôts du RCD ». Erreur d’appréciation qui assure aussi leur popularité dans un contexte de crise socio-économique. Mais la crainte qu’inspirent les fantômes du RCD est telle qu’Abdallah Kallel et Mohamed Ghariani, libérés le 10 juillet, ont été sommés de ne pas paraître et de ne pas intervenir sur la scène publique. « Tout ramener à une éventuelle renaissance du RCD est une vue de l’esprit. Il est mort bien avant le départ de Ben Ali. En revanche, le système est toujours en place. Et il est utilisé par le pouvoir actuel, qui redoute qu’on l’accuse d’utiliser des pratiques qu’il décrie », explique l’analyste Raouf Oueslati.

Ils ont été libérés…

Mohamed Ghariani, 51 ans, ex-secrétaire général du RCD

Arrêté le 11 avril 2011, libéré le 10 juillet 2013 Cet apparatchik a construit sa carrière autour du parti et doit son ascension au cours des dernières années de l’ancien régime notamment à Sakhr el-Materi, gendre de Ben Ali. Arrêté dans le cadre d’une enquête sur des abus de pouvoir et des malversations dans la gestion financière du RCD, il a construit sa défense en démontrant qu’il n’avait pas la responsabilité de cette dernière, et il maintient qu’il a été détenu abusivement. Aucune charge n’a jamais été retenue contre lui.  Photo : Hichem

                                           
Abdelwahab Abdallah 73 ans, ex-ministre de l’Information, des Affaires étrangères et ancien conseiller chargé des affaires politiques

Arrêté le 12 mars 2011, libéré le 12 juillet 2013 Personnage parmi les plus craints de l’ancien régime, l’ex-ministre de l’Information a façonné, muselé et mis au pas les médias tunisiens et étrangers. Accusé de détournement et extorsion de fonds, malversation, spoliation et abus de pouvoir ayant porté préjudice à l’administration, le chef d’orchestre de la communication de Ben Ali a été innocenté et relaxé. Photo : Hichem

Abdallah Kallel 70 ans, ex-ministre de l’Intérieur et ancien président de la Chambre des conseillers

Arrêté le 12 mars 2011, libéré le 10 juillet 2013 Ministre de l’Intérieur pendant la période de la chasse aux islamistes (1991), ce Sfaxien est l’un des rouages du montage de l’affaire Baraket-Essahel, dans laquelle 244 gradés de l’armée avaient été accusés de préparer un coup d’État en 1992. Dans ce dossier, il a été condamné fin novembre 2011 à quatre ans de prison (ramenés à deux ans mi-2012) pour crime de torture. En tant que membre du bureau politique et du comité central, il a été également poursuivi pour détournement de fonds.
Photo : EVERETT KENNEDY BROWN / POOL / AFP

  • Mongi Safra, 65 ans, ex-ministre de la Fonction publique

Arrêté le 31 mai 2011, libéré sous caution le 11 juin 2013 Discret conseiller de Ben Ali, cet économiste est la cheville ouvrière des affaires financières de l’ancien président et de sa famille. Il est poursuivi pour malversations dans l’octroi de marchés publics.

… Ils sont encore sous les verrous

Abdelaziz Ben Dhia 77 ans, ex-conseiller spécial et porte-parole officiel de la présidence

Arrêté le 12 mars 2011 Ancien doyen de la faculté de droit de Tunis, nommé ministre d’État et conseiller spécial du président fin 1999, il a cumulé les portefeuilles ministériels jusqu’à devenir le numéro deux du régime. Évincé du pouvoir à la veille de la révolution (la rumeur le disait victime d’une crise cardiaque), il a été inculpé de corruption. Poursuivi pour des malversations immobilières, il est toujours en détention. Photo : Hichem.

10px;" alt="" src="https://www.jeuneafrique.com/photos/072013/023072013170949000000Ridha-Grira.jpg" />Ridha Grira, 58 ans, ex-ministre de la Défense et des Affaires foncières

Arrêté le 20 septembre 2011 Des associations humanitaires et des hommes politiques, dont Hamma Hammami, ont demandé la grâce pour le centralien, atteint d’un cancer à un stade avancé. Ministre des Domaines de l’État et des Affaires foncières de 1999 à 2011, Grira est poursuivi pour malversations dans 70 affaires relatives à des cessions de terrains ou à leur déclassement. Quant à son rôle et à ses actes en tant que ministre de la Défense lors de la révolution, ils suscitent encore de nombreuses interrogations. Photo : FETHI BELAID / AFP

Parmi ceux qui restent incarcérés… Rafik Belhaj Kacem (ministre de l’Intérieur de 2004 à 2011), Mohamed-Lamine el-Abed (ancien commandant de la garde nationale) et le général Ali Seriati (ex-directeur général de la sûreté, puis de la garde présidentielle de 2001 à 2011). 

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