Football : les artistes africains du ballon rond en disgrâce

Les Africains ne sont plus des prodiges du football. En cause, le respect des standards internationaux, imposé pour jouer en Europe, qui uniformise et fait disparaître la magie.

Trésor Mputu Mabi, coupe d’Afrique des nations 2013 (RDC contre Mali). © FRANCISCO LEONG / AFP

Trésor Mputu Mabi, coupe d’Afrique des nations 2013 (RDC contre Mali). © FRANCISCO LEONG / AFP

Alexis Billebault

Publié le 30 juillet 2013 Lecture : 4 minutes.

Même si le sport le plus populaire du monde voit encore naître des joueurs hors norme, capables d’allier spectacle et efficacité, le football obéit désormais à une logique de rentabilité qui ne laisse plus beaucoup d’espace à la fantaisie, à la beauté du geste et même à l’indispensable futilité. Et « l’artiste » est en voie de marginalisation. L’Amérique du Sud reste la partie du monde la plus riche en joueurs d’exception, avec ­l’Argentin Lionel Messi (FC Barcelone), les Brésiliens Neymar (FC Barcelone) et Ronaldinho (Atlético Mineiro), voire le Colombien Radamel Falcao (AS Monaco). Alors que l’Europe, avec le Portugais Cristiano Ronaldo (Real Madrid), soutient tant bien que mal la comparaison depuis que le Français Zinédine Zidane et le Roumain Gheorghe Hagi ont remisé leurs crampons.

Le continent, lui, ne compte plus beaucoup de membres influents dans ce cercle restreint. Le Camerounais Samuel Eto’o, les Ivoiriens Didier Drogba ou Yaya Touré, joueurs de classe mondiale, semblent être les derniers représentants de cette élite africaine… et la retraite n’est pas loin. « Aujourd’hui, parmi les joueurs d’origine subsaharienne en activité, il n’y a guère que le Guinéen Pascal Feindouno (Elezigspor, Turquie) et le Congolais (RD Congo) Trésor Mputu Mabi (TP Mazembe) qui peuvent prétendre au titre d’artiste », estime l’ancien international camerounais Patrick Mboma (42 ans). Et de tempérer : « Cela ne signifie pas que l’Afrique n’est plus capable de produire de tels joueurs. Mais ils sont obligés de se conformer aux normes dès leur plus jeune âge, en intégrant les centres de formation européens. Et ceux qui arrivent plus tard se voient demander d’épurer leur jeu, de se plier aux standards » – comme sauter haut, courir vite et être endurant.

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Et même si quelques équipes comme le FC Barcelone ou la sélection espagnole choisissent de tourner le dos à cette dictature en vogue, « dans le football moderne, on préfère une sorte de robot qui passe la balle rapidement plutôt que celui qui va caresser le ballon trop longtemps et, parfois, faire le geste de trop », poursuit Patrick Mboma, qui se souvient : « Quand j’étais plus jeune, j’étais capable de dribbler cinq joueurs et d’aller marquer. Mais on m’a dit qu’au plus haut niveau, et surtout en Europe, cela ne passerait pas. Alors je suis entré dans le moule, comme d’autres… »

Un talent naturel chez les africains

Les champions en herbe sont pourtant toujours là. « En Afrique, ils sont assez nombreux, car beaucoup de joueurs ont découvert le football dans la rue ou sur des terrains vagues », remarque Michel Dussuyer, le sélectionneur de la Guinée. « Ils ont un talent naturel. Ils aiment le jeu, ce sont des épicuriens. Cela suppose une gestion individualisée. La relation de Feindouno avec le ballon est quasiment fusionnelle. Il en a toujours un avec lui, même pendant une conversation. Parfois, je me suis demandé s’il ne dormait pas avec », poursuit le technicien français.

« Un créateur a besoin de liberté. On doit le laisser improviser. C’est un joueur à risque, il faut accepter cette évidence quand on est entraîneur. Cela ne sert à rien d’avoir un tel profil dans une équipe si c’est pour le brider », déclare Claude Le Roy, l’ancien sélectionneur de la RD Congo. S’il ne se rappelle pas avoir pris à partie un joueur qui aurait trop dribblé, il estime néanmoins que « le football étant un sport collectif, l’artiste doit entrer dans ce cadre. Il ne peut pas tout se permettre. Même s’il est indispensable pour la beauté de son jeu, parce qu’il peut faire gagner un match et que les autres joueurs aiment évoluer avec lui ».

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Aujourd’hui, de nombreux entraîneurs privilégient les sportifs lisses et dociles, plus faciles à gérer. Or, « dans un groupe, il y a vingt-cinq personnalités différentes, on doit être présent pour chaque joueur. Mais certains entraîneurs ne savent pas composer avec le talent », estime Claude Le Roy. Patrick Mboma, qui a assisté à plusieurs compétitions de jeunes sur le continent, juge que les plus doués ne seront pas forcément les plus convoités par les clubs européens. « Quand on suit un peu leur évolution, on s’aperçoit souvent qu’ils sont rentrés dans le rang. C’est ça ou le risque de passer à côté d’une carrière en Europe, ce qui est l’objectif de tous les jeunes Africains. »

Plus de technique mais moins de fantaisie

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Michel Dussuyer se veut pourtant optimiste. « L’Afrique comptera toujours des footballeurs très forts techniquement. Mais il y a moins de fantaisie dans le jeu, on le constate notamment lors des phases finales de la Coupe d’Afrique des nations (CAN). C’est vrai de tous les continents, voire de tous les sports. » Et ce que le jeu a perdu en dimension spectaculaire est compensé par l’amélioration du niveau tactique. « La CAN fournit un football de haut niveau, plus athlétique qu’il y a trente ans. Comme il y a moins d’espace, les créateurs ont plus de difficultés à s’exprimer. » Pour Mboma, « on verra ressurgir des joueurs tels que Feindouno, [le Nigérian] Okocha ou même le Béninois Stéphane Sessegnon le jour où les Africains prendront en main leur formation et où des clubs paieront suffisamment bien leurs footballeurs pour qu’ils n’aient pas systématiquement envie de partir en Europe ou en Asie »…

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