Modibo Sidibé : « Le Mali a besoin d’un second souffle »
Modibo Sidibé, le candidat des Forces alternatives pour le renouveau et l’émergence fait partie des favoris du scrutin de la prochaine présidentielle malienne. Entre deux meetings, il s’est confié à « Jeune Afrique ».
Il a remisé au placard son allure martiale de docteur en criminologie et de policier austère. Le commissaire Modibo Sidibé, 60 ans, membre du gouvernement depuis la révolution démocratique de mars 1991, jusqu’à le diriger en qualité de Premier ministre, entre le 28 septembre 2007 et le 3 avril 2011, se frotte au suffrage universel pour la première fois de sa longue carrière. Il a désormais le visage avenant, ne scrute plus son interlocuteur comme un présumé coupable, et sourit.
Après des études en sciences pénales et en criminologie au Mali, en France et en Italie, Modibo Sidibé devient l’officier de police le plus diplômé du pays. Ce qui lui vaut d’intégrer, au milieu des années 1980, le cabinet du ministre de la Sécurité. Quand la rue s’embrase contre le régime de Moussa Traoré et que le lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré (ATT) prend le pouvoir, le 26 mars 1991, il fait appel à lui. Sidibé devient directeur de cabinet du président de la transition, avec rang de ministre. Il gardera ce statut durant deux décennies. Un record inégalé au Mali. Son premier portefeuille, celui de la Santé (entre 1993 et 1997), lui permet de sillonner le pays profond pour y implanter des centres de santé communautaires (Cescom), réformer les hôpitaux et généraliser l’accès aux soins de base. Son second maroquin (la diplomatie, entre 1997 et 2002) contribue à affirmer sa stature d’homme d’État, à étoffer son carnet d’adresses et à lui permettre de présider, au nom du Mali, le Conseil de sécurité des Nations unies. Une véritable consécration.
Revenu aux affaires après avoir remporté le scrutin présidentiel, en 2002, ATT sollicite à nouveau son « flic préféré ». Sidibé est nommé secrétaire général de la présidence, toujours avec rang de ministre. Durant cinq ans, il apprend à mieux connaître les rouages de l’État, se familiarise avec la machine complexe de l’administration. En 2007, il devient Premier ministre et quitte ses fonctions un an avant l’élection présidentielle… Mais tout se complique lorsque la junte, en mars 2012, met fin au processus démocratique en renversant ATT. Convaincus que ce dernier préparait Sidibé à sa succession, les putschistes l’arrêtent, pillent son domicile et détruisent minutieusement tout son matériel électoral. Relâché au bout d’une semaine de détention, Modibo Sidibé, toujours harcelé par les militaires, fait le dos rond en attendant des jours meilleurs.
Ses ambitions nationales sortent finalement intactes de cette épreuve, et il décide de lancer un parti, les Forces alternatives pour le renouveau et l’émergence (Fare). Engagé dans la course à la présidentielle, dont le premier tour aura lieu le 28 juillet, il fait désormais partie des favoris du scrutin. Dans son QG de campagne, à Lafiabougou, un quartier populaire de Bamako, il a répondu à nos questions.
L’ancien premier ministre malien lors du lancement
de la campagne, à Kayes, le 7 juillet. © Moussa Sogodogo
Jeune Afrique : Vingt-sept candidats se sont présentés. Comment expliquer une telle diversité dans un pays qui traverse une crise sans précédent ?
Modibo Sidibé : Je ne pense pas que cela soit inédit. Une élection qui promet une alternance provoque, par définition, une recrudescence de l’offre politique. Il en a été ainsi en 2002 quand, à l’issue des deux mandats du président Alpha Oumar Konaré, il fallait élire un successeur. Nous avions alors enregistré 24 candidatures à la présidentielle. Si nous en avons un peu plus aujourd’hui, cela ne doit pas être source d’inquiétude car c’est un signe de vitalité démocratique. Pour notre part, nous nous sommes lancés dans l’arène politique en créant un parti, les Forces alternatives pour le renouveau et l’émergence (Fare), qui envisage, avec d’autres formations, d’édifier un nouveau pôle politique visant à consolider une démocratie durable.
La quasi-totalité des candidats partage le même slogan : refonder l’État. Qu’est-ce qui vous différencie d’eux ?
Nous n’avons pas attendu la crise et mon programme de renouveau démocratique a été conçu et proposé avant le 22 mars 2012 [date du coup d’État militaire marquant le début de la crise institutionnelle]. Un an auparavant, quand j’ai quitté mes fonctions de Premier ministre, j’ai été sollicité par de nombreuses associations de jeunes et de femmes pour me présenter à la présidentielle. J’ai entrepris un vaste périple à travers villes et villages, à la rencontre des populations. Les pulsions du pays profond m’ont permis d’établir un diagnostic sur les dangers qui guettaient le Mali, son État et ses institutions. J’ai compris à quel point nos conquêtes démocratiques, acquises depuis deux décennies, avaient besoin d’un second souffle. Quelques semaines avant le putsch militaire, j’ai rendu publique ma déclaration de candidature dont le point central relevait cette fragilité. Le renouveau que je proposais, et que je soumets aujourd’hui aux électeurs, repose sur la nécessité d’édifier un État fort et juste, de renforcer notre démocratie à travers l’émergence de contre-pouvoirs efficaces pour éviter les dérives. Ces deux objectifs passent par l’implication du citoyen et sa réconciliation avec la politique.
Au cours de ces vingt dernières années, nous avons connu des avancées indéniables : multiplication des routes, les centres de santé, le triplement du taux de scolarité, la production de riz augmentée de moitié…
Les Maliens imputent la responsabilité de la crise à leurs dirigeants. Vous avez été ministre puis Premier ministre de 1991 à 2011. Comment convaincre les électeurs de votre bonne foi ?
En leur recommandant de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain ! En leur rappelant tout ce qui a été fait au cours de ces vingt dernières années. Nous avons connu des avancées indéniables : la multiplication des routes, les centres de santé communautaires, le triplement du taux de scolarité, la production de riz augmentée de moitié, les aménagements hydroagricoles, la capacité énergétique, les infrastructures de télécommunication… Pourquoi n’en serions-nous pas fiers ? Moi, en tout cas, j’en suis fier pour le peuple du Mali, le vrai artisan de ces succès. Fier pour sa jeunesse qui en a été le moteur.
>> Lire aussi la précédente interview de Modibo Sidibé : "Tout n’est pas mauvais dans l’héritage d’ATT"
Un militant aux couleurs du Fare. © Moussa Sogodogo
Quelles sont les grandes lignes de votre programme Mali Horizon 2030 ?
Il s’adresse à la jeunesse qui sera aux affaires à l’échéance 2030. Mon programme vise à préparer les meilleures conditions possibles pour cette transmission générationnelle. L’ampleur de la crise nécessite une stratégie à moyen et long termes. Il s’agit d’identifier le type de croissance qui contribuerait à créer de la richesse, à résorber le chômage et à faire face à l’évolution démographique. Pour ce faire, des fondamentaux doivent être mis en place : un édifice institutionnel solide, une administration réformée, une justice efficace, un système de santé rénové, une décentralisation et une structure éducative réadaptée. Tout cela ne peut se faire sans une amélioration des compétences. Nul développement n’est possible sans innovation et nulle croissance sans compétitivité.
La décentralisation que vous préconisez serait-elle la solution au problème du Nord-Mali ?
Elle l’est en grande partie. Il est impératif de reconfigurer les institutions, de réviser les rapports entre l’État régalien et les assemblées locales élues pour que les Maliens soient impliqués dans la gestion des affaires qui ont une incidence directe sur leur quotidien. Le schéma d’aménagement du territoire que nous préconisons n’est pas uniquement à vocation politique. Il prévoit une complémentarité régionale à travers l’émergence de pôles économiques spécialisés. L’une de mes premières actions serait d’organiser un forum ouvert à toutes les composantes de la société pour réfléchir ensemble à ce projet. Je rêve de ce jour où l’État signerait un contrat de performance avec une assemblée élue et une administration locale autour d’un plan de développement économique impliquant aussi bien la région que la nation. Cela signifierait que nous aurions réussi à réconcilier gouvernants et gouvernés. Pas seulement dans le nord du Mali mais de Kidal à Kayes, et de Tombouctou à Sikasso.
Votre parti est-il engagé dans une alliance électorale ?
Le Fare est membre du FDR [Front uni pour la sauvegarde de la démocratie et de la République, opposé au coup d’État militaire] et, à ce titre, signataire d’une plateforme électorale baptisée Alliance pour la démocratie et la République (ADR), avec un certain nombre de partenaires dont les grands partis traditionnels, notamment Adema, URD. Ce document engage les signataires à donner des consignes de vote au profit du candidat du FDR présent au second tour. S’agissant de ma candidature, elle est portée par le Fare, mais également par d’autres formations et plus de 275 associations de la société civile organisées autour de Convergence pour un nouveau pôle politique (CNPP). Preuve que nous souhaitons que de nouveaux acteurs entrent dans le champ politique. Avez-vous des inquiétudes particulières à propos du scrutin du 28 juillet ? Il faut qu’il soit transparent et honnête, à l’abri de toute influence endogène ou exogène. Qu’on laisse les Maliens choisir. Et que l’on respecte leur choix.
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Propos recueillis à Bamako par Cherif Ouazani
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