Nigeria : flambée des prix, chômage, pauvreté… Dans « le fief » de Buhari, les limites criantes du populisme

« Buhari, le bilan économique » (5/5). Dans son fief politique, au nord du pays, le président laisse ses soutiens sceptiques devant le peu d’efficacité de sa politique de protectionnisme agricole. Reportage.

Muhammadu Buhari arrive à la 74e session de l’Assemblée générale des Nations unies à New York, le 24 septembre 2019. © REUTERS/Carlo Allegri

Publié le 7 août 2022 Lecture : 5 minutes.

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Nigeria : Muhammadu Buhari acte II, quel bilan économique ?

En poste depuis 2015, le chef de l’État devait redresser l’économie et endiguer l’insécurité. À la veille de la prochaine élection présidentielle prévue en février 2023, l’heure est aux bilans. 

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C’est ici que Muhammadu Buhari a remporté l’élection présidentielle en 2015, sur cette terre du nord qui lui apporte un soutien indéfectible. Ici que sa rhétorique a été éprouvée et que ses promesses ont soulevé l’enthousiasme : de bons emplois, des revenus solides et un sentiment de fierté retrouvée. Ici aussi que le coût de la vie augmente proportionnellement au mécontentement à son égard.

>>À lire sur The Africa Report – Has Buharinomics delivered for northern Nigeria ?

Malgré des investissements substantiels dans l’agriculture et les infrastructures, la flambée des prix des denrées alimentaires et des carburants ainsi que l’insécurité permanente, pèsent sur le fief de Buhari et ont entamé sa réputation. Chômage, pauvreté et réduction de la production agricole nourrissent les déceptions.

Malgré cette réalité, le président et son équipe économique continuent à appeler les Nigérians à adopter l’agriculture comme solution aux problèmes économiques du pays. « Tout ce que je sais, c’est que nous devons permettre aux gens d’avoir accès à la ferme. Nous devons simplement retourner à la terre », a déclaré Muhammadu Buhari lors d’une interview télévisée en janvier 2022. « Si nous investissons davantage dans l’agriculture, les gens ne crieront pas au chômage ».

Prix et coûts trop élevés

En août 2019, le gouvernement nigérian a pris de court les communautés frontalières et les partenaires commerciaux ouest-africains en annonçant la fermeture des frontières terrestres. Son objectif était d’empêcher la contrebande de riz et d’autres produits alimentaires qui, selon le gouvernement, attaquait la compétitivité du secteur. L’idée était de persuader les Nigérians d’acheter des produits agricoles locaux, en particulier du riz, pour soutenir l’agriculture nationale en souffrance.

Pourtant, cette politique n’a pas convaincu tout le monde : Abubakar Usman, propriétaire de Halal Global Concepts dans l’État de Kaduna, a cultivé 120 sacs de riz l’année dernière. « En tant qu’agriculteur, je suis heureux de la fermeture de la frontière. Elle m’a permis de trouver un marché pour mes produits », estime-t-il. « Mais le président n’a pas subventionné le coût de production des agriculteurs, donc les prix restent élevés. Malgré l’augmentation de notre rendement local, ni les prix, ni les coûts de production ne baissent. »

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Usman trouverait nécessaire que le gouvernement subventionne les intrants, et ne se contente pas de créer une pénurie : « Soit il faut fournir des subventions aux agriculteurs, soit protéger le naïra et rendre notre monnaie plus forte », souhaite-t-il.

Riz de contrebande meilleur marché

Malgré la fermeture des frontières, le riz étranger, notamment en provenance de Thaïlande, continue de circuler sur les marchés de Katsina. La céréale est acheminée en petites quantités, par motos, le long des sentiers pédestres pour éviter les contrôles douaniers.

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Yusuf Ishaq a 36 ans et travaille comme chauffeur dans une ONG à Kaduna. Tous les deux mois, il se rend dans les villes frontalières de Katsina pour acheter un ou deux sacs de riz étranger sur le marché, pour sa famille, soit une distance totale d’environ 600 km. « Le riz étranger est toujours moins cher, mieux traité et contient plus de grains dans un sac de 50 kg que le riz local », explique-t-il. Même en comptant les coûts du voyager, « il est toujours moins cher de nourrir ma famille de cette façon que d’acheter du riz fait maison », explique-t-il.

La faim ? Quelle faim ?

À rebours de ces récits, celui du président Buhari veut que l’approvisionnement alimentaire du Nigeria soit sécurisé. En 2019, Muhammad Sabo Nanono, alors ministre de l’Agriculture a déclaré que la faim n’existait pas au Nigeria et que la nourriture était si bon marché qu’avec 30 ₦ (0,07 $), un Nigérian pouvait manger à sa faim dans une cantine d’un État comme Kano. Or cette année là, le prix des aliments a explosé : une miche de pain coûte désormais plus de 1 dollar et une mesure de riz en plastique se vend plus de 5 dollars.

Pour illustrer le récit de la sécurité alimentaire, la présidence Buhari a organisé des pyramides de riz, puis d’arachide et de maïs, pour incarner son programme gouvernemental de micro-crédit à destination des petits exploitants. Cette initiative devait aider les petits agriculteurs à doubler leur capacité de production entre 2015 et 2021. Ceux qui cultivaient des céréales (riz, maïs, blé, etc.), du coton, des racines et tubercules, de la canne à sucre, des cultures arboricoles, des légumineuses, des tomates et du bétail, tous censés en bénéficier.

Les pyramides étaient censées symboliser la richesse agricole du Nigeria et la réussite de la mise en œuvre des politiques. En effet, la production de riz avait augmenté – mais les prix avaient également continué à grimper. Ce qui était censé incarner un symbole de réussite agricole est devenu la marque de mesures politiques confuses, dépourvues d’une approche globale susceptible de faire baisser les coûts de production et les coûts pour le consommateur.

Abubakar Usman estime que ces pyramides n’étaient qu’une mise en scène pour les associations de producteurs de riz et de maïs afin d’obtenir encore plus de fonds de la Banque centrale. « J’ai assisté une fois à la réunion de l’association des riziculteurs : il n’y avait aucun agriculteur sur place, seulement des politiciens et leurs copains. Malheureusement, ce sont ces personnes qui ont accès à ces fonds et c’est à cela que servaient ces pyramides. Pour leur permettre d’obtenir plus d’argent la prochaine fois de la CBN », ajoute-t-il, amer.

Des entreprises en souffrance

Pour Fatima Ibrahim, étudiante en troisième année de licence en administration des affaires à l’université d’État de Kaduna, qui gère une petite boulangerie-cantine, la hausse continue des prix des produits alimentaires a entraîné une réduction des bénéfices. Elle a géré son entreprise de cantine pendant six mois dans un centre technologique de Kaduna avant d’être obligée de la fermer. « Le prix des marchandises augmente tous les jours », déplore-t-elle. « Ce que vous achetez aujourd’hui sera différent de ce que vous achèterez demain et je ne peux pas vendre en dessous du prix de revient, donc j’ai dû finir par fermer et me concentrer sur mes études. »

Les investissements substantiels dans l’agriculture et les infrastructures ont manqué leur cible : les prix des denrées alimentaires continuent de grimper en flèche dans un contexte d’insécurité permanente.

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