Le retard, c’est dans nos têtes

Fouad Laroui © DR

Publié le 19 juillet 2013 Lecture : 2 minutes.

C’est une amie algérienne, écrivain de son état – « écrivain » ou « écrivaine », les deux se disent maintenant, paraît-il, mais je trouve le mot « écrivaine » bien disgracieux… Bref, restons-en à « écrivain », même quand il s’agit de dames… Donc, c’est une amie algérienne, écrivain de talent, qui m’a raconté l’histoire suivante, que j’ai d’abord trouvée amusante, puis qui m’a semblé être une métaphore de ce qui se passe dans nos sociétés du Maghreb.

Donc, me dit mon amie, depuis quelque temps Air Algérie a fait de grands progrès et ses avions sont prêts au décollage à l’heure dite : l’équipage est là, les uniformes bien repassés, les chaussures bien cirées, les moteurs ronronnent, on n’a plus qu’à s’élancer dans les azurs immenses. Et pourtant, on part quand même en retard. Pourquoi ? Parce que ce sont les passagers qui sont en retard. Persuadés par des années de pratique qu’aucun avion ne part jamais à l’heure, la moitié des passagers sont à peine arrivés à l’enregistrement à l’heure où le vol aurait dû partir. Et comme on ne peut pas s’envoler avec seulement la moitié des passagers – on risque une émeute dans ce bel aéroport tout neuf – force est d’attendre les retardataires. Et voilà comment le retard est devenu une institution – oserons-nous dire une tradition ?

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Cette petite histoire m’a d’abord fait rire. Puis elle m’a laissé songeur. Changeons les mots « compagnie aérienne » par « État » et le mot « passagers » par « société » et on obtient une image de ce qui se passe – hélas – dans nos pays. Pendant longtemps, l’État, désinvolte ou insolent, ne respectait rien, ni horaires, ni règlements, ni même la loi. On s’y était habitué. Puis, sous la pression des événements, des luttes sociales, de la mondialisation, de Facebook, l’État a mis de l’ordre dans ses affaires. Désormais, il essaie de faire comme Air Algérie, de « partir à l’heure » : il y a des Constitutions, des règlements, des lois et des organismes qui contrôlent l’État lui-même. Mais les mauvaises habitudes ont la peau dure. Et c’est nous, la société, qui les perpétuons. 

Passons de l’Algérie au Maroc. Il y a quelques jours, devant le théâtre Mohammed-V, à Rabat, j’ai failli être tué par un automobiliste, un malotru qui m’a foncé dessus alors que je traversais tranquillement le passage clouté. Je n’ai eu la vie sauve que grâce à un saut-réflexe qui m’a évité le choc avec sa voiture. Le plus extraordinaire, c’est que c’est lui, le conducteur, qui a sorti sa tête par la portière pour m’insulter. Des décennies d’État brutal continuaient de faire des dégâts dans sa tête – et en plus, il doit se croire « démocrate ». L’État de droit qui se met en place n’a pas encore chassé l’idée de la loi du plus fort, de la loi de la jungle, qui sévit encore dans la tête de nos concitoyens. Il faudra encore quelques décennies pour que nos avions partent à l’heure…

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