Maroc : Khouribga, un festival de cinéma pas mineur
Ses mines de phosphate sont les plus importantes au monde… Mais la ville marocaine de Khouribga est aussi connue pour son festival du cinéma africain.
La seizième édition du Festival du cinéma africain de Khouribga, qui s’est tenue du 22 au 29 juin, a été l’occasion pour les cinéphiles du continent de se retrouver pour faire le point sur la dernière actualité de la production locale. Créé en 1977 par une bande de passionnés, ce grand raout, désormais annuel, est présidé par Noureddine Saïl. Cet ancien professeur de philosophie – il a eu pour élève au lycée Moulay-Youssef un certain Abdelilah Benkirane, l’actuel chef du gouvernement – a d’abord été président de la Fédération nationale des ciné-clubs du Maroc en 1973, puis directeur des programmes de la TVM en 1984 et de Canal+ Horizons en 1990, avant de devenir directeur général de 2M en 2000 et directeur du Centre cinématographique marocain (CCM) depuis 2003.
Pour ce passionné de cinéma, le festival de Khouribga n’entre pas en compétition avec le Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco). « En réalité, il n’y a que deux événements spécialisés sur l’Afrique dans tout le continent. Les Égyptiens s’y intéressent enfin, ce qui est un aveu tardif de leur conscience africaine. Et les Journées cinématographiques de Carthage ne sont pas à proprement parler dédiées au continent », tranche-t-Âil. Là où le Fespaco bénéficie du soutien de l’État burkinabè et de financements internationaux, Khouribga ne peut compter que sur un partenaire important : l’Office chérifien des phosphates (OCP). « Auparavant, Khouribga était la capitale mondiale des phosphates et… un désert culturel », se souvient Noureddine Saïl. Dans cette cité ouvrière façonnée par l’activité minière, les fondateurs ont voulu créer un espace de rencontres et d’échanges. « Cela faisait partie d’un cheminement esthétique, politique et militant », ajoute-t-Âil. Toute une époque. Dans l’équipe de départ, il y avait de vrais cinéphiles, comme Guy Hennebelle de la revue Cinémaction, Serge Daney et Serge Toubiana des Cahiers du cinéma.
Fine fleur de la scène africaine
La première édition, en 1977, se fait avec les moyens du bord. Profitant des vacances de printemps, les participants squattent l’internat du lycée de la ville. L’OCP met à disposition une salle de projection. Les festivaliers déjeunent au réfectoire des cadres. Le soir, de longues discussions mi-sérieuses mi-improvisées se prolongent jusqu’à l’aube. Cela deviendra une tradition : les débats de minuit. « Tous les participants étaient des passionnés. Et chacun y allait de sa petite cotisation. » La fine fleur de la scène africaine naissante est déjà là : Souleymane Cissé, Ababacar Samb Makharam. Il en est resté un esprit militant, une communauté. Pour monter la deuxième édition, il faudra cinq années, et encore autant pour la troisième.
Depuis que le festival est passé à une fréquence annuelle, au milieu des années 2000, il est moins évident d’arrêter la sélection des films qui concourent pour la compétition officielle et le Grand Prix Ousmane-Sembène. Mais Khouribga a le mérite d’offrir chaque année la dernière actualité, là où le Fespaco reste une biennale. « J’ai dit aux amis du Burkina qu’il serait plus stratégique de passer en rythme annuel, remarque le cinéphile. Mais le Fespaco a beaucoup grandi, en s’ouvrant à toutes les formes d’expression audiovisuelle. » En marge de la compétition, on parle aussi économie du secteur. Noureddine Saïl est convaincu de la nécessité, pour chaque pays, de développer son industrie locale. Pour lui, la stratégie marocaine tant vantée sur le continent est simple : un système d’avance sur recettes au niveau national et une garantie de la liberté d’écriture. Cela a permis un décollage de la production du royaume, qui est passée ainsi de 5 à 25 films par an. « On ne peut pas faire l’économie de l’échelon national. Regardez la cinématographie européenne, elle n’est que l’addition des productions française, italienne, allemande, etc. »
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