Marguerite Abouet : « Les Ivoiriennes sont moins libres qu’avant »
Après l’immense succès de la BD, Marguerite Abouet et clément Oubrerie ont porté les aventures d' »Aya de Yopougon » sur grand écran. Bienvenue dans la Côte d’Ivoire des années 1970 ! Bonne humeur garantie.
Un immense succès en moins de dix ans. D’abord en France, ensuite en Afrique et plus particulièrement en Côte d’Ivoire, puis dans le monde entier avec des traductions en 15 langues à ce jour. Les six volumes de la bande dessinée Aya de Yopougon sont un véritable phénomène d’édition. Inspirées des souvenirs d’enfance de Marguerite Abouet – la scénariste – en Côte d’Ivoire, dessinées par son ex-compagnon Clément Oubrerie, ces histoires qui se déroulent à la fin des années 1970 dans le quartier de Yopougon à Abidjan sont désormais adaptées au grand écran. Avec les mêmes auteurs et la matière des deux premiers albums.
Marguerite Abouet, comme son héroïne Aya, 19 ans, à laquelle, lui dit-on, elle ressemble de plus en plus, ce qui la ravit – « Ça me rajeunit, tant mieux ! » –, aime beaucoup rire, mais répond avec application aux questions qu’on lui pose. Décontractée mais sérieuse. Au contraire des deux meilleures amies d’Aya, Adjoua et Bintou, qui aiment « gazer », comme on dit à Abidjan pour « sortir » et « s’éclater ». À tel point que la première tombe enceinte « par mégarde ». Mais de qui ? Le sait-elle d’ailleurs elle-même ? Ce film est joyeux, amusant et très documenté – les années 1970, publicités d’époque comprises, comme si on y était ! – même s’il est sans prétention. Idéal pour les vacances.
Jeune Afrique : Quel est votre public ? Des Africains ou des Blancs ?
Marguerite Abouet : Au début, en 2005, lors des séances de dédicace en France, il n’y avait que des Blancs qui venaient. Puis sont arrivés des couples mixtes et des Métis. Et enfin, longtemps après, des Noirs. Cela m’a beaucoup frappée, car je me demandais pourquoi les Africains se sentaient si peu concernés alors que je parlais d’eux. Aujourd’hui, en France, il y a autant de Noirs que de Blancs qui lisent Aya. Même des Antillais ou des Brésiliens me disent se retrouver dans ce que j’écris. Je suis assez fière d’avoir touché des publics aussi divers.
Êtes-vous célèbre en Côte d’Ivoire ?
Presque tout le monde a entendu parler de moi, mais on ne me reconnaît quand même pas dans la rue. Les Ivoiriens sont très fiers que l’une des leurs connaisse ce succès. Mes histoires ne les surprennent pas, bien sûr, c’est ce qu’ils vivent tous les jours. Je ne leur apprends rien. Mais ils les aiment. Et c’est très important pour moi. Car je suis ivoirienne avant tout, même si je vis en France depuis longtemps.
Aya de Yopougon est en salles depuis le 17 juillet. © UGC distribution
Passer de la bande dessinée au dessin animé, comment cela s’est-il décidé ?
Clément Oubrerie a monté une société de production – Autochenille Production – avec d’autres auteurs, notamment Joann Sfar, et l’intention de faire des films d’animation à partir de leurs albums. Je me suis demandé si le film ne serait pas plus intéressant. Mais ce qui fait le succès de la bande dessinée, c’est que les gens, qu’ils soient noirs ou blancs, s’identifient aux personnages. Avec des acteurs en chair et en os, l’identification aurait sans doute été moins automatique. L’expérience a cependant déjà été tentée, et avec succès, puisqu’il y a eu une adaptation théâtrale avec une troupe d’amateurs au Mans, et leur spectacle était à mourir de rire.
L’histoire se passe il y a plus de trente ans. Cela a-t-il été difficile de reconstituer l’époque dans un film d’animation ?
C’est plus facile que pour un film. Même si je triche un peu – les thèmes abordés sont contemporains et je magnifie certainement un peu le passé –, c’est important pour moi de situer l’histoire à cette époque, celle de mon enfance en Côte d’Ivoire. J’ai quitté mon pays à l’âge de 12 ans, pour aller poursuivre mes études en France chez mon oncle maternel, qui avait demandé à m’emmener « pour mon bien ». J’étais alors une sorte de garçon manqué, je jouais et je traînais beaucoup dans la rue, et j’étais heureuse dans mon quartier de Yopougon. Je n’ai jamais voulu oublier ces moments. Je ne voulais pas effacer cette partie de ma vie. J’aimerais qu’on arrête d’associer l’Afrique à la misère et à la violence. Au risque d’être taxée d’idéalisme, je préfère parler des petits problèmes du quotidien, au sein du couple, de la famille… Ces questions sont universelles.
La Côte d’Ivoire d’aujourd’hui n’est-elle pas complètement différente de celle que vous décrivez ?
Quand je suis retournée, adulte, en Côte d’Ivoire, j’ai à peine reconnu le quartier de mon enfance. C’était un petit quartier résidentiel avec des maisons pour la classe moyenne, qui profitait de l’essor du pays. Mais avec la crise, les gens ont mis des étals devant ces maisons, les rues qui étaient larges sont devenues étroites, d’autant qu’il a fallu agrandir les constructions pour accueillir des familles élargies dont la plupart des membres n’ont pas de travail. Maintenant, il y a 1 million d’habitants à Yopougon et la vie est beaucoup plus difficile. Mais il reste la solidarité, la vie collective.
La scénariste évoque des problèmes du quotidien, auxquels chacun peut s’identifier.
© UGC distribution
Qu’est-ce qui, dans la BD, a été le plus difficile à adapter ?
Le plus dur a été de faire des choix, car on n’a pas le temps de tout raconter dans un film. D’autant que l’animation coûte très cher. Je me suis recentrée sur une problématique et j’ai choisi le thème de la maternité, avec Adjoua qui se retrouve enceinte. Puis il a fallu ajouter des éléments pour s’adapter à la durée des séquences qui montrent le vécu des personnages dans ce quartier d’Abidjan. Les dialogues sont en revanche presque restés les mêmes. Tout comme le style du dessin. Yopougon, qui est le vrai héros des albums comme du film, se prête à ce type de dessin volontairement très simple.
Qui s’est chargé des voix ?
C’est moi. Grâce à ce travail, j’ai rencontré des gens magnifiques : Aïssa Maïga, mais aussi cet acteur extraordinaire qu’est Émile Abossolo, qui fait cinq voix… dont celle d’une femme, « la dame qui enlève les grossesses ».
Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire a-t-elle retrouvé la sérénité ?
Il y a évidemment quelque chose qui bouillonne encore. D’autant que l’élection a montré que les électeurs étaient divisés en deux camps à peu près égaux. Et qu’une bonne partie des Ivoiriens pense qu’il y a une grosse injustice avec « l’ostracisation » de Gbagbo. Mais il y a des changements, et il se fait des choses. Même si les pratiques de pouvoir ne sont pas toujours différentes.
N’auriez-vous pas envie de parler de cela, de la situation du pays depuis le début de la crise, dans un album avec de l’humour ? Et toujours peut-être avec Aya…
On manque de recul. Mais je crois qu’Aya, pendant la crise, aurait fait des meetings. Elle aurait réuni les gens pour leur demander de ne pas rentrer dans le jeu des politiciens. Elle leur aurait dit qu’on a toujours tous vécu ensemble et qu’il faut conserver cela. Et non pas se demander qui est qui ou quoi. Je suis née dans une communauté où l’on rit de tout, même d’un enterrement. Même si je suis d’accord pour dire que l’on peut rire de tout, je pense cependant qu’on ne peut pas rire avec n’importe quoi. Pas avec cela encore.
Diriez-vous qu’avec Aya vous soutenez un point de vue féministe ?
Je ne suis pas du tout féministe. Ou du moins je suis féministe… quand cela m’arrange. Quand, pour les femmes, la liberté et la justice sont menacées, oui. Mais cela s’arrête là. J’aime bien qu’on me tienne la porte ou que l’on m’invite à dîner. Dans Aya, les femmes ont une certaine liberté parce que, dans les années 1970, elles étaient vraiment plus libres qu’aujourd’hui. C’était en particulier le cas de ma mère, qui portait des pantalons pattes d’ef, qui avait sa voiture… Aujourd’hui, malheureusement, les filles sont beaucoup plus opprimées, ont beaucoup plus de mal à s’en sortir.
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Propos recueillis par Renaud de Rochebrune
Une femme puissante
C’est un joli exploit auquel est parvenu l’ancien dessinateur du journal satirique ivoirien Gbich, Abel Kouamé. Pendant deux ans, sur fonds propres, il a réalisé le premier film d’animation en images de synthèse de l’Afrique de l’Ouest. Pokou, princesse ashanti retrace, dans un dessin original, avec humour et magie, les intrigues qui ont mené, au XVIIIe siècle, cette femme extraordinaire à fuir, en compagnie des siens, ce qui deviendra le Ghana. Lors d’une terrible guerre de succession pour le trône ashanti, Abla Pokou a dû, dit-on, sacrifier son fils pour pouvoir traverser la Comoé. En sécurité sur les terres ivoiriennes, la paix lui était promise, mais « Baouli » (« l’enfant est mort »), s’exclama-t-elle, donnant ainsi son nom au peuple baoulé. Séverine Kodjo-Grandvaux.
Un film historique uniquement réalisé en images de synthèse. © PROD
>> Lire aussi : Pokou, le premier long-métrage d’animation ouest-africain est né
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