Idriss El Mehdi : du piano au guembri
Folk, country, rock, blues et musique gnawa : le pianiste franco-marocain produit un savant mélange de ses cultures multiples dans son premier album solo, Wild Bird.
Wild Bird, « oiseau sauvage », c’est le titre du premier album d’Idriss El Mehdi. Ce pianiste marocain installé à Paris depuis une vingtaine d’années surprend en plaçant le guembri, la basse à trois cordes traditionnelle des maîtres gnawas, au centre de son projet solo… Au grand dam de sa mère, qui a eu « beaucoup de mal » à le voir mettre de côté les 88 touches du piano classique et jazz. Une manière, pour lui, de revendiquer l’africanité des musiques populaires américaines, avec un son très blues inspiré de Ben Harper et de Keziah Jones. « J’ai énormément travaillé le guembri pour obtenir ce son rock’n’roll, arriver à quelque chose de massif et lui donner le rôle de la basse. » Un instrument qu’il a découvert voici une quinzaine d’années avec le maalem d’Essaouira Mahmoud Guinea, à qui il rend hommage : « Il m’a accepté au sein de sa famille, m’a légué mes premiers instruments. Je savais qu’un jour le guembri serait au centre de mon projet, j’ai essayé de ne pas m’enfermer dans l’apprentissage de la musique traditionnelle mais de développer ma propre technique. J’aime aussi l’apport du Dobro, l’instrument de la Louisiane et de la Nouvelle-Orléans, et du slide, qui amènent ce côté folk, country. »
Teofilo Chantre, Cap-Verdien à la voix et aux doigts de velours qu’il côtoie depuis près d’une vingtaine d’années, n’est pas surpris : « Il m’a accompagné sur scène dès mon premier album, et a été invité sur mes différents disques. C’est le genre de pianiste qui sait lier l’harmonie au rythme, il a toujours su s’adapter aux rythmes du Cap-Vert. Ça ne m’a pas étonné qu’il prenne ce virage inspiré des musiques gnawas. » Sur « Guembaia », tous deux soulignent la parenté liant les musiques de l’Atlantique, du Maroc jusqu’au Brésil, avec l’évocation des saints comme base commune. « C’est un morceau que je chante depuis dix ans : au début c’était très world, proche des musiques brésiliennes, se souvient El Mehdi… Et à force de le jouer, la version est devenue plus rock, avec au final un texte en anglais, mais aussi un motif gnawa. » Autre invité de marque présent sur l’album, le pape du groove afro, Tony Allen, qui l’invitait voici deux ans sur scène et le rejoint sur « No Problem ».
Wild Bird est l’aboutissement d’un long parcours pour Idriss El Mehdi Bennani (son vrai nom). L’histoire commence dans un appartement du boulevard Zerktouni (Casablanca), tapissé des toiles de son père, et où Leïla, sa sœur, et Françoise, sa mère, demeurent ses premières fans. Y trône toujours le vieux Bord du XIXe sur lequel il a fait ses gammes, déconcertant ses professeurs par son talent… « Il a grandi entre Bach et Oum Kalsoum, se souvient sa mère, Angevine d’origine protestante élevée au Maroc, enseignante comme son époux. À Noël, il improvisait sur l’orgue du temple. » Adolescent, il dirigeait son premier groupe, entouré de musiciens bien plus chevronnés, répétant dans l’un des salons, reprenant les plus grands et échafaudant ses premières compositions.
Il débute de bonne grâce des études de commerce, mais découvre les clubs lors de son premier stage à Paris, et se rend vite compte qu’il va lui falloir bifurquer. Au début des années 1990, il intègre le CIM, d’où sont issus nombre de musiciens maghrébins de la scène parisienne. Avant de rejoindre l’American School of Modern Music et de terminer un cursus impeccable à la Bill Evans Piano Academy… Il se voit même féliciter par la veuve du célèbre pianiste un soir de concert et côtoie Herbie Hancock lors d’une master class.
À 24 ans, il intègre le groupe d’Amar Sundy aux claviers, puis devient le pianiste de Calogero, avec qui il travaille pendant une douzaine d’années. Le temps de peaufiner son projet solo. Il chante d’abord en français et se produit sur les scènes marocaines, Tanjazz, Essaouira avec les Wailers. Avant de revenir au son blues et rock anglo-saxon qui caractérise ce premier album. « J’ai essayé d’écrire dans l’esprit de la protest song américaine. Je pense à “Goddamn the Pusher Man”, inspiré du morceau de Steppenwolf, sur la bande originale d’Easy Rider, et à Curtis Mayfield, qui parle de ce genre de dealers et des personnages interlopes, ambigus qu’on trouve dans le milieu. “Wild Bird”, qui donne son titre à l’album, est une histoire personnelle, un vieux poème qu’avait écrit ma sœur et sur lequel je suis tombé, l’histoire de quelqu’un qui se bat contre la maladie. Ça parle d’espoir : même dans une cage, un oiseau entrevoit toujours le ciel. »
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