L’unité fissurée du Liban
Combats à Saïda, attentats à Beyrouth… Au Liban, les métastases du conflit syrien menacent de faire exploser la mosaïque communautaire.
«Syriens et Libanais forment un seul peuple dans deux États », aimait expliquer Hafez al-Assad, le père de l’actuel despote syrien, quand Damas tenait encore le pays du Cèdre sous sa botte. De même qu’Assad le vieux avait, pour régner au Liban, joué sur les divisions communautaires entre chrétiens et musulmans, sunnites et chiites, Palestiniens et nationalistes, Assad le jeune a volontairement « confessionnalisé » la crise syrienne pour mieux discréditer et écraser la révolution. Les failles qu’il a ouvertes ont fatalement fissuré, de l’autre côté des montagnes, la mosaïque libanaise.
Une dissociation entre communautés
La dernière déflagration a eu lieu le matin du 9 juillet, aux abords de Beyrouth. Un 4×4 piégé avec 35 kg de C4 a sauté au coeur de Dahiyé, banlieue chiite au sud de la capitale, où règne en maître le Hezbollah, dont la branche armée a été placée par l’Union Européenne, le 22 juillet, sur la liste des organisations terroristes. À la fois parti politique et milice confessionnelle, le mouvement s’est engagé massivement aux côtés d’Assad en Syrie depuis le 19 mai. L’attentat, qui a fait 53 blessés (par miracle, aucun mort), n’a pas été clairement revendiqué. Les uns accusent les extrémistes sunnites, les autres la rébellion syrienne, beaucoup pointent le doigt vers Israël, et quelques-uns vont jusqu’à soupçonner une manipulation du Hezbollah lui-même. L’objectif de l’attaque ne fait quant à lui aucun doute : défier le « parti de Dieu » et exacerber la discorde communautaire. « L’implication du Hezbollah en Syrie a entraîné un divorce affectif et psychologique rarement vu entre les communautés », confirme Joseph Bahout, professeur à Sciences-Po Paris.
Le jour même, le Conseil de sécurité des Nations unies appelait « tous les Libanais à préserver l’unité nationale face aux tentatives pour nuire à la stabilité du pays » et « tous les partis libanais [à] respecter la politique de dissociation » du conflit syrien soutenue par les autorités libanaises.
Portée à bout de bras par le Premier ministre Najib Mikati depuis 2011, la doctrine de la « dissociation » (ou « distanciation ») n’a pas résisté à la démission de son instigateur, en mars dernier, ni à l’incapacité du nouveau Premier ministre à former un gouvernement. Dès sa promotion, cette politique avait déjà été mise à mal par le flot de réfugiés civils ou en armes, ainsi que par les trafics en tout genre qui, depuis le Liban, alimentent la rébellion syrienne.
Le conflit syrien a divisé la société libyenne. © Jeune Afrique
Les premiers heurts confessionnels se sont produits quelques semaines après le début de la contestation syrienne, en mars 2011, à Tripoli, la grande ville sunnite du nord du Liban, historiquement et géographiquement liée à la Syrie. Tout en revendiquant un engagement non partisan, le Tripolitain Fadi Sukkari, professeur à l’Université arabe, explique : « On ne peut empêcher les solidarités familiales transfrontalières, j’ai moi-même deux cousines mariées en Syrie et je ne peux rester indifférent à leur sort. » En juin 2011, un premier affrontement avait fait sept morts entre le quartier de Jabal Mohsen, peuplé d’Alaouites (confession des Assad), et celui de Bab el-Tebbaneh, sunnite et favorable à l’insurrection anti-Assad. Depuis, une douzaine de batailles ont opposé les milices des deux camps. La dernière d’entre elles a duré du 19 au 26 mai et fait plus de 30 morts. « Notre ville n’est pourtant pas une ligne de démarcation majeure dans la géopolitique des communautés », précise Sukkari.
>> Lire aussi : Syrie : Bachar al-Assad, dictateur sanguinaire au pays des "terroristes"
Une menace fantasmée
Ces lignes de démarcation, on les trouve dans les zones plus « mixtes », notamment à Beyrouth ou à Saïda. Les 23 et 24 juin, cette ville traditionnellement sunnite bordant les régions sud contrôlées par le Hezbollah a été le théâtre d’une véritable guerre urbaine. L’armée libanaise est venue en découdre avec la milice du cheikh salafiste Ahmad al-Assir, lequel, depuis mars 2012, prêche l’autodéfense des sunnites face au Hezbollah et multiplie les déclarations sectaires. Les combats ont fait 17 morts du côté de l’armée, qui est parvenue à vaincre la milice… sans toutefois réussir à mettre la main sur l’extrémiste en fuite. « Le cas Assir était un épiphénomène, mais il est révélateur du malaise profond de la rue sunnite, commente Joseph Bahout. Il y a un imaginaire de la menace et de la vengeance qui se construit dans les zones de confrontation. » Pour Fadi Sukkari, le sunnite de Tripoli, « le rêve d’un grand État chiite allant de Téhéran à Beyrouth en passant par Damas n’a jamais été aussi près de se concrétiser, et le Hezbollah ne laissera pas tomber cette occasion historique ». Justifiée ou fantasmée, cette peur d’un grand dessein chiite est, selon Bahout, symptomatique de la discorde nationale qui s’accentue dangereusement au Liban, entre chiites et sunnites essentiellement.
Zone tampon des grandes confrontations géopolitiques régionales au siècle dernier, le Liban pourrait bien devenir aujourd’hui l’autre champ de bataille de l’arc chiite (Téhéran-Bagdad-Damas-Hezbollah) contre le triangle sunnite (Ankara-Riyad-Le Caire). Résistera-t-il au séisme régional promis par Assad ? Le 7 juillet, à l’issue d’une visite à Beyrouth, l’ex-Premier ministre français François Fillon se déclarait « un peu moins pessimiste qu’à [son] arrivée, car à Beyrouth, à la différence des pays vivant sous la dictature, où seule la violence a cours, le dialogue fait partie intégrante du système libanais qu’il faut préserver ».
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