Succession de Bouteflika : Zéroual, le président qui dit non

Certains voient dans le prédécesseur de Bouteflika l’homme providentiel dont l’Algérie a aujourd’hui besoin. Mais lui, Liamine Zéroual, exclut tout net de reprendre du service à la tête de l’État.

Liamine Zéroual (à dr.) et Abdelaziz Bouteflika, le lendemain de son investiture le 28 avril 1999. © New press/SIPA

Liamine Zéroual (à dr.) et Abdelaziz Bouteflika, le lendemain de son investiture le 28 avril 1999. © New press/SIPA

FARID-ALILAT_2024

Publié le 19 juillet 2013 Lecture : 6 minutes.

Après vingt minutes d’une audience qui durera près de trois heures, Liamine Zéroual fond en larmes. « En me proposant de faire un nouveau mandat, vous me faites honneur. Je devrais en principe sauter de joie. Mais je suis triste, très triste pour l’Algérie, que vous me proposiez de revenir au pouvoir après que je l’ai quitté en 1999. Mes enfants, j’ai 72 ans. Même avec toutes les bonnes volontés du monde, un président âgé et malade ne peut accomplir convenablement ses missions. L’Algérie a des jeunes, il faut qu’on leur donne l’occasion de prendre le pouvoir, comme l’a fait Barack Obama. » C’était le 3 juillet, le jour de son anniversaire. Liamine Zéroual, ex-chef de l’État, reçoit dans le salon de sa villa à Batna, sa ville natale, dans les Aurès (400 km à l’est d’Alger). Une délégation d’enfants de chouhada (martyrs de la révolution) est venue lui demander de se porter candidat à la présidentielle de 2014.

Courtois, Zéroual repousse encore une fois la sollicitation : « Il faut en finir avec les présidents cooptés. » Ses hôtes insistent, le supplient de rempiler, même pour un intermède de quelques mois, le temps d’assurer une transition… L’homme ne cède pas : « Je ne veux pas casser ce que j’ai construit. L’Algérie a des institutions, une Constitution et des lois qui ne peuvent pas être violées. En quittant mes fonctions en 1999, j’ai insisté sur l’alternance au pouvoir. Et je m’y tiens. »

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Alors que s’éternise la convalescence d’Abdelaziz Bouteflika, depuis son hospitalisation, le 27 avril, pour un accident vasculaire cérébral, de grandes incertitudes planent sur l’avenir du pays. À dix mois de la présidentielle, prévue en avril 2014, Bouteflika, 76 ans, a-t-il encore les capacités physiques pour achever son troisième mandat ? Va-t-on devoir appliquer l’article 88 de la Constitution et déclarer la vacance du pouvoir ? Bouteflika accepterait-il de passer le flambeau plus tôt que prévu ? Et qui pour lui succéder ? Car pour l’instant aucune personnalité d’envergure, comme par exemple les anciens Premiers ministres Ali Benflis ou Mouloud Hamrouche, ne s’est encore officiellement déclarée candidate…

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Sans concession

Autant d’inconnues qui expliquent en partie que Zéroual, pourtant en total retrait de la vie politique depuis son départ d’El-Mouradia, soit aujourd’hui qualifié d’« homme de la situation ». S’il n’a passé que cinq ans à la présidence (contre treize pour Boumédiène, douze pour Chadli et quatorze pour Bouteflika), son capital sympathie est resté intact. « Il a accepté de diriger le pays alors que celui-ci était plongé dans le terrorisme, que le baril du pétrole n’était qu’à 10 dollars, que les caisses de l’État étaient vides et que l’Algérie était boycottée par les étrangers, explique à Jeune Afrique l’un de ses plus proches collaborateurs entre 1994 et 1999. Zéroual disait un jour que même Dieu était contre les Algériens en leur envoyant la sécheresse. Il fallait du courage pour assumer ces responsabilités. Zéroual les avait assumées avec courage. On comprend pourquoi il continue d’être un exemple, mais aussi un recours en temps de crise. »

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Patriote, désintéressé, ouvert au dialogue et au compromis, l’homme est également réputé têtu, comme peuvent l’être les Chaouis, les habitants des Aurès. Trapu, moustache et cheveux grisonnants, ce père de trois enfants ne fait pas de concession quand il s’agit de défendre ses idées. Ce fut le cas, en 1990, lorsqu’il démissionna de l’armée après un différend avec le président Chadli Bendjedid sur la réorganisation de l’armée. Nommé ambassadeur en Roumanie quelques mois plus tard, il y séjourna huit mois et, s’y ennuyant ferme, démissionna pour rentrer à Batna – « Je ne suis pas fait pour ce métier, je ne veux pas être payé à ne rien faire », avait-il dit à ses proches.

La retraite sera de courte durée. Rappelé en juillet 1993 pour prendre le poste de ministre de la Défense dans le gouvernement du Haut Comité d’État (HCE) – il avait décliné le poste de secrétaire général de la présidence -, il est nommé à la tête de l’État par le HCE le 30 janvier 1994. Aux heures les plus sombres de la guerre civile. Pour sortir l’Algérie de la crise, l’armée avait, dans un premier temps, misé sur l’ex-ministre des Affaires étrangères Abdelaziz Bouteflika, mais, lâchés par ce dernier, les militaires se rabattent sur Zéroual. En présence de quatre généraux réunis au ministère de la Défense – dont Khaled Nezzar, qui lui lance : « Assume tes responsabilités… » -, il accepte. Les larmes aux yeux.

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Contrairement à ses prédécesseurs, Zéroual a été massivement élu lors de la présidentielle de 1995, « malgré l’interdit de participer au scrutin posé par les Groupes islamiques armés [GIA] », souligne Abdelaziz Rahabi, ex-ambassadeur d’Algérie en Espagne. Son bilan à la présidence ? « Il a fait voter la loi de la rahma ["clémence"] en faveur des repentis et mené la lutte contre le terrorisme, continue Rahabi. Il a été le premier à doter la République d’une Assemblée et d’un Sénat, il a maintenu le dialogue avec les partis de l’opposition et, surtout, fait adopter en 1996 une nouvelle Constitution, qui limite à deux le nombre de mandats présidentiels. On ne le souligne pas assez, mais c’était une vraie révolution dans le monde arabe. »


Liamine Zérouale a souvent été rappelé au gouvernement. © Jeune Afrique

Une grande aura et un patriotisme prononcé

Si les Algériens raillent sa manière ennuyeuse d’ânonner ses discours en arabe classique et lui reprochent, encore aujourd’hui, d’avoir fait emprisonner injustement 3 000 cadres et jeter à la rue 500 000 travailleurs sous les injonctions du Fonds monétaire international (FMI), ils ne lui rendent pas moins grâce de s’être comporté dignement face au président Jacques Chirac. C’était en octobre 1995, à New York. « Nous étions à l’hôtel Intercontinental, et les Français rechignaient à l’idée d’une entrevue officielle entre Zéroual et Chirac, ils ne voulaient même pas qu’elle soit filmée, nous raconte un général à la retraite membre de la délégation algérienne. Excédé, le président nous a dit : "Il n’est pas question que je rencontre Chirac dans ces conditions, faites un communiqué officiel tout de suite." » Le président algérien refusant une rencontre avec son homologue français, voilà de quoi faire entrer Zéroual dans l’Histoire. « Ce geste symbolique lui a conféré une grande aura et a souligné son nationalisme, son patriotisme, confirme Rahabi. Les Algériens se souviennent de ce chef de l’État qui ne s’est pas laissé dicter sa conduite par Chirac et qui a refusé de se faire soigner en France, tandis que Bouteflika reçoit son Premier ministre et son chef d’état-major aux Invalides, une institution militaire française. Zéroual reste, dans le coeur de ses compatriotes, comme un homme qui avait le sens de l’État. » Plus de quatorze ans après sa démission, les Algériens s’en souviennent. L’ancien président pourrait-il et voudrait-il jouer un rôle dans la succession de Bouteflika ? « Allez élire un jeune président », a-t-il tranché, définitivement, ce 3 juillet.

Étonnamment désintéressé   

«Zéroual, c’est la négation du favoritisme, un exemple de droiture », assène Nacer Bouikni, ex-chargé d’études à la présidence de la République. Lors de son départ d’El-Mouradia, en avril 1999, malgré l’insistance de la haute hiérarchie de l’armée, Liamine Zéroual a en effet refusé, avec véhémence, de prendre possession de la résidence d’État, sur les hauteurs d’Alger. Pour financer la construction de sa villa à Batna, il a contracté un prêt bancaire – qu’il a remboursé au centime près – et « a même tenu à payer les meubles de sa chambre à coucher pour 330 000 dinars [3 200 euros], bien qu’ils aient été gracieusement mis à sa disposition », témoigne, de son côté, Mohamed Chafik Mesbah, colonel du Département du renseignement et de la sécurité (DRS) et conseiller à la présidence dans les années 1990. Pas de passe-droits non plus pour la famille. Alors qu’il était chef de l’État, Zéroual refusera qu’on octroie une bourse à l’un de ses deux fils étudiant au Canada, et s’est contenté de lui faire parvenir des devises échangées au marché noir, raconte l’un de ses proches. « J’ai rarement vu un haut responsable aussi peu porté sur l’argent, l’apparat ou les honneurs, confie ce dernier. La voiture offerte par Bouteflika ? Il l’a acceptée à contrecoeur, et elle reste dans le garage. » Et chaque fin de mois ou presque, c’est sa voiture personnelle qu’utilise Zéroual, accompagné de ses gardes du corps, pour aller distribuer un peu de sa pension aux familles démunies des villages des Aurès, sa région natale.

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